La Belgique, championne des déclenchements des accouchements: «C’est humain, sinon les soignants deviendraient fous»
Le déclenchement artificiel de l’accouchement est très pratiqué en Belgique. L’acte est nécessaire dans certains cas, mais il y a de plus en plus de déclenchements faits à la convenance du médecin.
A l’instar de la plupart des pays à haut niveau de revenus, la pratique des déclenchements artificiels de l’accouchement augmente depuis une dizaine d’années en Belgique.
La Belgique francophone présente des taux particulièrement élevés. En 2022, la proportion d’inductions (le fait de déclencher l’accouchement de manière artificielle) a atteint les 32,6 % en Wallonie et 34,5 % en Région bruxelloise, selon le rapport de données 2023 du Cepip (Centre d’épidémiologie périnatale). Si le taux est relativement stable depuis 2014 en Wallonie, il a progressé de 5 % en région bruxelloise. La pratique est un peu moindre en Flandre avec un taux de 28,1 % en 2022, mais la hausse est aussi significative (23,9 % en 2013).
L’acte est bien sûr nécessaire dans certains cas, pour éviter de mettre en danger la vie de la mère et du nouveau-né: la perte prématurée des eaux avant le début du travail, qui peut entraîner une infection chez le bébé, le dépassement du terme (au-delà de 41 semaines de grossesse), ou certaines caractéristiques de santé chez la femme enceinte (hypertension, diabète, ou encore grossesse après 35 ans).
Déclenchements de convenance
Outre ces indications médicales, le déclenchement est effectué pour convenances personnelles ou par convenance pour les professionnels dans un peu plus de 10 % des cas en Belgique, selon une enquête de la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée (PCNR).
Cette tendance s’est manifestée depuis la parution de l’étude américaine «Arrive» dans la revue The New England Journal of Medicine en 2018. Elle avait démontré que le déclenchement à 39 semaines permettrait de réduire le taux de césarienne à 18,6 %, contre 22,2 % dans les cas où le travail se déclenche de façon naturelle. Même si le col de l’utérus était totalement fermé. Et le dernier rapport du Cepip confirme les résultats de l’étude américaine. Malgré un taux d’induction plus élevé, le taux de césarienne n’a pas augmenté, confirme le docteur Frédéric Chantraine, gynécologue-obstétricien au CHU de Liège et membre du Cepip.
Si l’OMS ne préconise de procéder au déclenchement artificiel du travail qu’en présence d’indications médicales précises, il faut dire que la pratique est avantageuse pour les praticiens qui peuvent alors mieux gérer leur agenda de travail. Il y a encore sans doute beaucoup de suivi de grossesse personnalisé, où le gynécologue traitant peut proposer à la patiente une induction planifiée pour être sûr d’être présent, avance le docteur Chantraine. C’est le cas au CHU Saint-Pierre à Bruxelles, où 80 % des grossesses sont suivies par un gynécologue-obstétricien. «C’est humain de planifier les accouchements, sinon les soignants ne dorment jamais et deviennent fous. C’est compliqué d’être réveillé la nuit, les weekends… Quelque part, ça participe à l’organisation du soin, d’autant plus qu’on n’a pas vu d’augmentation des effets secondaires, défend Clémence Vital-Durand, sage-femme au CHU Saint-Pierre. La médicalisation n’est pas non plus mal perçue, elle rassure les Belges».
Il est possible que les petites maternités y recourent davantage pour s’assurer de disposer de suffisamment de personnel sur le pont lors des accouchements, suppose encore le gynécologue liégeois. La proportion d’inductions varie effectivement fortement d’une maternité à l’autre, passant de 19,2 % à 43,3 %, pour les deux régions francophones, sans que l’on puisse assurer que la taille de l’établissement soit un facteur.
La Belgique est d’ailleurs particulièrement performante en matière de déclenchements artificiels en Europe. Chez sa voisine française, le taux d’induction est de 26 % en 2021, par exemple. Sans doute lié au système de santé belge, qui laisse davantage de liberté aux médecins, contrairement à la France réglementée par la Haute autorité de santé, précise Frédéric Chantraine.
La pratique de l’induction se traduit dans les dates de naissance. Les jours fériés sont ceux où il y a le moins de naissances, ressort-il des chiffres de Statbel. Le 25 décembre en tête, avec seulement 198 nouveaux-nés en moyenne, suivi par le 1er janvier, le 1er novembre, le 11 novembre, le 15 août ou encore le 21 juillet.
Ne pas oublier le consentement éclairé de la patiente
De son côté, la PCNR estime que le déclenchement non nécessaire est une pratique qui comporte des risques pour la santé des mères et de l’enfant quand il est réalisé sur un col non favorable. «Nous ne sommes pas contre le déclenchement, mais ce doit être fait pour les bonnes raisons», précise-t-elle en conformité aux recommandations de l’OMS. L’asbl rappelle également que l’acte doit être réalisé avec le consentement éclairé de la femme enceinte et dénonce des abus en ce sens.
D’autant plus que le déclenchement artificiel semble plus douloureux. «Lorsqu’il y a un démarrage spontané des contractions, des endorphines (NDRL: hormones du plaisir) se libèrent dans le cerveau. Si vous induisez l’accouchement, l’imprégnation n’a pas eu lieu et le ressenti est donc un peu plus douloureux», explique Frédéric Chantraine. «Il semble que les durées d’hospitalisation sont aussi plus longues», note Clémence Vital-Durand.
L’induction artificielle, comment ça marche?
Il existe deux méthodes pour déclencher artificiellement le travail: l’administration intravaginale d’un gel contenant des prostaglandines et la perfusion par voie intraveineuse d’ocytocine, associée à la rupture de la poche des eaux. Ces deux méthodes peuvent être employées séparément ou ensemble. Parfois, l’examen de la sage-femme ou du gynécologue, qui introduit un doigt dans le vagin pour évaluer l’ouverture du col, peut suffire à provoquer des contractions et lancer le travail.
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