«Le régime méditerranéen est un bon guide»

Kristina Norman, gérontologue: «Une alimentation saine prolonge la vie de 13 ans»

De nombreuses maladies sont déclenchées par de mauvaises habitudes alimentaires. La gérontologue Kristina Norman explique pourquoi nous devrions manger différemment en vieillissant, comment les asperges nous gardent jeunes et pourquoi la pizza protéinée est dangereuse.

Kristina Norman (50 ans) dirige le département de nutrition et de gérontologie de l’Institut allemand des sciences de la nutrition à Potsdam. Elle dirige également le département de biogérontologie translationnelle à la Charité de Berlin, le plus grand hôpital universitaire d’Europe. Elle est donc idéalement placée pour interpréter l’influence de la nutrition et de l’alimentation sur le vieillissement.

Faut-il manger différemment à 50 ans qu’à 30 ans ?

Kristina Norman: Absoluement. Plus on vieillit, plus la nutrition est importante. C’est surtout à partir de 60 ans que le corps change. La masse musculaire diminue, de même que la densité des organes et des os, tandis que le tissu adipeux augmente. Ce qui n’est pas très favorable: plus de muscles et moins de graisse représentent les meilleures conditions pour conserver sa vitalité.

En d’autres termes, nous devenons de plus en plus fragiles et de plus en plus gros.

Avec l’âge, les gens deviennent souvent moins actifs. Par conséquent, les muscles rétrécissent et le corps consomme moins de calories au repos. La conclusion logique serait alors de réduire l’apport calorique. Mais en général, les gens continuent à manger comme ils en ont l’habitude. En même temps, à un âge avancé, l’humain a toujours besoin – et même davantage – de nutriments. C’est pourquoi la situation est délicate. Les personnes de plus de 60 ans doivent se rendre compte que non seulement les habitudes de vie, mais aussi les processus de vieillissement modifient l’organisme. Je veux parler de ce que l’on appelle les «signes du vieillissement».

Il s’agit des douze mécanismes biologiques que les scientifiques citent comme causes du vieillissement.

Exactement. Au fil des ans, des dommages moléculaires se produisent et ne peuvent plus être réparés par l’organisme. Les mitochondries, nos centrales électriques internes, ne fonctionnent plus correctement non plus. Ces dommages, associés à l’alimentation, entraînent notamment une diminution de la masse musculaire, ce qui accroît la fragilité de l’individu. Tout cela peut ouvrir la porte à des maladies liées à l’âge telles que le cancer ou la maladie d’Alzheimer.

Devrions-nous alors apprendre à accepter que les choses se dégradent irrémédiablement?

En aucun cas. Il est impressionnant de constater à quel point la combinaison d’une activité physique et d’un régime alimentaire approprié peut ralentir les mécanismes du vieillissement.

C’est-à-dire?

Mangez beaucoup d’aliments d’origine végétale, comme les légumes, les fruits, les légumineuses et des produits à base de céréales complètes. Cela suffit à maintenir le tissu adipeux sous contrôle et à réduire le risque d’adiposité, c’est-à-dire d’obésité, et de syndrome métabolique, qui est un ensemble de troubles du métabolisme.

Cette approche permet également de contrer le problème de l’inflammation causée par le vieillissement du système immunitaire, appelé «inflammaging». Ce phénomène vous rend plus vulnérable aux maladies infectieuses.

Malheureusement, le mode d’alimentation occidental typique est très pro-inflammatoire. Trop d’acides gras saturés, trop de protéines animales, trop de sel, trop de glucides simples, trop d’aliments transformés industriellement. Et aussi trop de nourriture en général. Ces mauvaises habitudes alimentaires entraînent une augmentation du tissu adipeux, qui produit à son tour de la cytokine, une protéine pro-inflammatoire.

Faut-il renoncer à la viande pour vieillir en bonne santé ?

Manger beaucoup d’aliments d’origine végétale ne signifie pas nécessairement ne pas manger de viande. Il est toutefois important de noter que, dans les études, les personnes qui mangent peu de viande s’en sortent toujours mieux que les autres. Il en va de même pour le sucre. Une alimentation végétale fournit également des nutriments que les produits d’origine animale n’apportent pas. Il s’agit, par exemple, de substances précieuses comme les polyphénols et les caroténoïdes, que l’on trouve dans tous les fruits et légumes et qui protègent notamment contre le cancer. Si vous consommez beaucoup de ces bonnes substances, vous risquez moins de tomber malade.

Être vegan tout au long de sa vie est en fin de compte la chose la plus saine.

Si vous mangez beaucoup d’aliments d’origine végétale, il importe peu que la viande soit consommée une ou deux fois par semaine. Du moment que vous obtenez ces nutriments d’origine végétale. Il faut également des fibres alimentaires, qui procurent un sentiment de satiété et préviennent le surpoids. Le régime méditerranéen est un bon guide.

Peu de viande, beaucoup de légumes, de légumineuses, de poisson, de noix, d’huile d’olive. Accompagnés d’un peu de vin, mais avec modération.

Voilà. Le menu méditerranéen favorise incontestablement l’allongement de la durée de vie, comme le confirment de nombreuses études. Il lutte contre l’inflammation, aide à réduire la formation de tissu adipeux et contient une abondance de nutriments tels que des oligo-éléments, des vitamines et des polyphénols.

Quand faut-il commencer à manger consciemment pour rester en bonne santé plus longtemps? A partir de 30 ans? Plus tôt?

Le plus tôt possible, mais il n’est jamais trop tard pour commencer. La science affirme qu’une alimentation saine peut prolonger l’espérance de vie de treize ans pour ceux qui s’y mettent dès l’âge de 20 ans. Mais même si l’on ne passe d’une alimentation riche en viande et en aliments transformés industriellement à une alimentation optimale, riche en légumes et en produits à base de céréales complètes, qu’à l’âge de 60 ans, il est possible de gagner environ neuf années de vie.

Dans la vie de tous les jours, rares sont ceux qui parviennent à manger sainement de manière constante. Un steak-frites est vite commandé.

Les effets sur la santé se manifestent dès que l’on prête un peu attention à ce que l’on mange. Il suffit de cuisiner plus de poisson que de viande, et plus de légumes que de pain blanc.

Ne serait-il pas plus pratique de prendre des pilules qui contiennent tout?

Ce n’est pas si simple. Il a été démontré à plusieurs reprises que les composés végétaux, tels que les caroténoïdes, réduisent l’inflammation et ont des propriétés antioxydantes, ce qui signifie qu’ils nous protègent contre les redoutables radicaux libres.

Mais si vous les preniez sous forme de compléments, c’est-à-dire de manière isolée, ils pourraient avoir des effets néfastes, car ils seraient pro-oxydants. Il est donc préférable de les absorber par le biais d’une alimentation normale. Et cela contribue à renforcer le microbiome.

Le fameux microbiome. A quoi sert-il?

Le microbiome est constitué de milliards de bactéries, de virus et de champignons qui «habitent» notre système digestif. Il a un impact majeur sur d’autres fonctions de l’organisme. Par exemple, il agit sur le système immunitaire, le cerveau et les muscles squelettiques. Un microbiome déséquilibré est typique du vieillissement.

Comment l’influencer favorablement?

En mangeant des aliments bons pour les intestins. Les légumineuses, les baies ou les asperges sont très probiotiques, ce qui signifie qu’elles stimulent la croissance de bactéries intestinales saines. Les produits fermentés comme le yaourt sont également probiotiques, car ils apportent eux-mêmes les bactéries lactiques bénéfiques.

Quelle alimentation recommandez-vous aux personnes à partir de 50 ans?

Ils doivent veiller à consommer suffisamment de protéines. Pour les jeunes, 0,8 gramme de protéines par kilo de poids corporel par jour est suffisant. À partir de 65 ans, 1 à 1,5 gramme de protéines par kilo est recommandé, ce qui est nettement plus. Les protéines contribuent au maintien de la masse musculaire. C’est pourquoi, à un âge plus avancé, les protéines animales, que l’on trouve dans la viande, sont à nouveau importantes, car elles sont très similaires à nos propres protéines musculaires.

Manger trop de protéines n’est-il pas néfaste?

Oui, chez les jeunes. Une consommation excessive de protéines animales augmente le risque de cancer. C’est pourquoi il est problématique que les jeunes consomment souvent plus de protéines que l’apport journalier recommandé. Nous vivons dans une société folle de protéines. Au supermarché, on trouve des puddings protéinés et même des pizzas protéinées. Cela renforce l’impression qu’il est bon de consommer beaucoup de protéines.

D’où vient donc cet engouement pour les protéines?

Des études sur la manière de perdre du poids à court terme. Cela va relativement vite si le régime contient moins d’hydrates de carbone et plus de protéines. Je suppose que c’est vrai, mais continuer ainsi pendant longtemps n’est pas propice à une vie plus longue, bien au contraire.

L’âge avançant, le corps a-t-il davantage besoin de nutriments spécifiques?

La science de la nutrition mène des recherches intensives à ce sujet. Il existe des preuves convaincantes qu’à un âge avancé, chaque personne a des besoins différents. Une personne de 80 ans en pleine forme n’a pas les mêmes besoins qu’une personne de 60 ans souffrant de maladies.

Il faut des recommandations alimentaires différentes pour chacun?

Potentiellement. Surtout pour les personnes ayant des antécédents de maladies. Grâce aux nouvelles technologies de mesure et à l’intelligence artificielle, les besoins individuels peuvent être cartographiés beaucoup plus facilement. Par exemple, la composition du microbiome et le rôle de l’hérédité. J’espère qu’à l’avenir, nous serons en mesure d’élaborer des programmes nutritionnels personnalisés pour tout le monde.

Par Thomas Schulz – Der Spiegel.

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