Hôpital accrédité, patient choyé? A quoi servent les accréditations des hôpitaux
De plus en plus d’hôpitaux se lancent dans la course à l’accréditation. Un label qui vise à améliorer l’accueil, la qualité des soins et à impliquer le patient dans le processus décisionnel.
Un quasi sans faute: 99%. En février, les Cliniques de l’Europe se félicitaient d’avoir décroché haut la main une accréditation auprès d’un organisme international mondialement reconnu. Un gage de qualité que la structure hospitalière bruxelloise pourra faire valoir durant trois ans.
Régulièrement, mais depuis peu, les hôpitaux mettent en avant cette reconnaissance obtenue au terme d’un long parcours, à la fois coûteux pour la structure et énergivore pour l’ensemble du personnel. L’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Huderf), Erasme, les cliniques universitaires Saint-Luc, le Grand hôpital de Charleroi (GHdC), le centre hospitalier de Mouscron et celui de Wallonie picarde (CHwapi), le CHR de Huy, le CHU Ambroise Paré, le centre hospitalier EpiCura..: la liste des accrédités ne cesse de s’allonger.
Critère linguistique
Une reconnaissance qui compte certainement dans le secteur mais dont le patient ne saisit pas forcément la portée. Lors de sa visite, pourtant, certains procédés, certaines attitudes, auront changé. Si plus aucun soignant n’entre dans une chambre sans avoir frappé à la porte, si le patient peut être certain de retrouver tous ses effets personnels après son opération, ou que l’infirmière qui prendra le relais à son chevet dispose bien de l’ensemble des informations le concernant, c’est parce que l’hôpital s’est engagé à se conformer à certains standards et à satisfaire à des exigences prédéfinies très strictes.
Ces bonnes pratiques, d’où sortent-elles? Pour décrocher la précieuse attestation, les structures hospitalières ont le choix entre plusieurs organismes indépendants, lesquels sont contrôlés par une coupole internationale. Les labels sont obtenus au terme d’un trajet d’accréditation mais ne restent valables que pour une durée de trois à cinq ans. Ils sont renouvelables moyennant une nouvelle évaluation. Le programme s’étire sur trois cycles (autoévaluation, mise en conformité, contrôle par des experts-visiteurs) au cours desquels près de 3.000 critères sont vérifiés dans des domaines tels que la prévention, la gouvernance, la gestion des risques et des ressources humaines, le leadership ou encore la sécurité des patients.
Trois organismes se partagent le marché belge, la Joint Commission International (JCI), Qualicor Europe (anciennement Nederlands Instituut voor Accreditatie in de Zorg, Niaz) et Accreditation Canada International (ACI). Depuis peu, ils peuvent également faire appel à la Haute autorité de la santé (HAS), organisme français également accrédité par la coupole Isqua (International Society for Quality in Health Care). En France, comme dans d’autres pays européens, l’accréditation n’est pas une option mais une obligation pour l’ensemble du secteur des soins de santé.
En l’absence d’organisme d’accréditation belge, les hôpitaux wallons et bruxellois francophones ont donc tendance à se tourner vers l’ACI pour des questions de facilités d’implémentation, étant donné que toutes les procédures sont déjà disponibles en français (ce qui n’est pas le cas pour son concurrent américain, JCI).
Mais ce sont les hôpitaux flamands qui furent les premiers à se lancer dans des trajets d’accréditation voici une dizaine d’années. La majorité d’entre eux collaborent avec le Qualicor Europe qui, contrairement aux deux autres auditeurs, n’octroie de labels qu’aux établissements de soins en Flandre et aux Pays-Bas. Actuellement, une cinquantaine d’hôpitaux à travers le pays sont en cours d’évaluation ou ont déjà décroché le titre.
C’est le cas du Grand hôpital de Charleroi. Fin 2019, il a signé un contrat avec les Canadiens de l’ACI. Durant cinq jours, l’équipe de huit contrôleurs a mené des visites à blanc, épluchant tous les protocoles, évaluant toutes les habitudes du personnel soignant et inspectant l’hôpital dans ses moindres recoins. L’audit ne vise pas à évaluer les compétences médicales des soignants, le taux de réussite des opérations ou le suivi des patients. Ce qui est passé au crible, c’est l’accessibilité, la sécurité, les services au patient, la prévention des risques, l’efficacité du personnel ainsi que ses conditions de travail. Les études montrent que 10% des patients subissent un événement indésirable durant leur passage à l’hôpital, principalement en raison de facteurs humains, organisationnels ou situationnels.
«L’expérience du patient est importante est doit être prise en compte.»
Helena Lizza, directrice qualité-sécurité et partenariat patient au HUB.
Le patient, partenaire de soins
L’audit a permis, évalue le Dr Stéphane De Maeght, son directeur médical adjoint, de faire un grand pas en avant dans la qualité des soins: «Surtout en ce qui concerne la place du patient, qui est devenu partenaire de ses soins, précise-t-il. Au Canada, c’est un principe acquis depuis longtemps. Le patient est d’ailleurs représenté jusqu’au plus haut niveau. Les bénévoles soumis à la confidentialité sont impliqués dans différents comités, et donc dans la prise de décision concernant la prévention des chutes ou la gestion des événements indésirables, par exemple.»
A l’Huderf aussi, l’audit a abouti à la création de comités consultatifs de patients-partenaires. «L’expérience du patient est importante est doit être prise en compte. Nous le faisions déjà avant l’accréditation mais les exigences qu’elle impose nous poussent à aller plus loin dans son inclusion», considère Helena Lizza, directrice qualité-sécurité et partenariat patient à l’hôpital universitaire de Bruxelles (HUB).
«Le processus permet de mobiliser l’ensemble du personnel sur un même projet.»
Anna Groswasser, directrice générale adjointe de l’Huderf.
L’hôpital des enfants est l’une des trois branches du regroupement HUB. Il a décroché une première accréditation en 2019, une seconde en 2022. Erasme lui a emboîté le pas il y a peu. L’Institut Jules Bordet, lui, collabore avec un autre organisme certifiant international de référence pour la cancérologie. «Comme les deux hôpitaux impliqués dans le processus ne sont pas au même stade dans le trajet d’accréditation, il est intéressant d’observer comment le système et l’organisation évoluent de part et d’autre, constate Anna Groswasser. Le processus, poursuit la directrice générale adjointe de l’Huderf, permet de mobiliser l’ensemble du personnel sur un même projet, de façon transversale, alors que l’hôpital a plutôt l’habitude de travailler en silos.»
L’autre petite révolution, c’est la transition d’une culture de l’oral à une culture de l’écrit. Plus aucun protocole n’échappe à la règle. Tout acte et toute intervention sont formalisés, encodés, checkés, validés. Une lourdeur administrative qui risquerait d’épuiser un peu plus encore le personnel soignant, surtout lorsqu’il est numériquement déficitaire, dans un secteur où le taux de turn-over est particulièrement élevé. «Il y a eu quelques réticences au départ, confirme Anne Groswasser. Mais une fois que tout a été mis en place, les équipes se sont approprié les exigences et en ont retiré les bénéfices.»
Plus qu’une vitrine?
Ne serait-il pas possible d’atteindre ce niveau d’excellence en misant sur une collaboration entre les structures hospitalières et un échange de bonnes pratiques? Et par la même occasion d’économiser quelques dizaines de milliers d’euros – ce que coûte le contrat – en faisant l’impasse sur ce partenariat avec des organismes étrangers, surtout pour les hôpitaux dont les finances sont déjà dans le rouge? A force de multiplier les protocoles et les procédures, ne risque-t-on pas, aussi, de déshumaniser les hôpitaux, de consacrer plus de temps à l’administratif qu’à l’écoute des patients?
«L’accréditation est un outil mais un outil parmi d’autres. Certaines organisations fonctionnent très bien sans en passer par là. Disons que cela permet de consolider les acquis et de sécuriser notre personnel», expose-t-on à l’Huderf.
«Le retour que l’on en a, c’est moins d’événements indésirables à l’hôpital, moins de plaintes des patients et des soignants qui se sentent plus à l’aise», détaille de son côté le Dr De Maeght.
«Le processus génère des résultats mais qui restent difficilement objectivables, concède Denis Herbaux, directeur de la Plateforme pour l’amélioration continue de la qualité des soins et de la sécurité des patients (Paqs). Un hôpital accrédité a pu démontrer que ses procédures sont mises à jour et que les bonnes pratiques sont appliquées. Mais ces améliorations ne constituent en rien une garantie pour le patient de recevoir de meilleurs soins. Inversement, un centre non accrédité n’est pas forcément moins bon qu’un autre. L’accréditation n’est de toute façon pas un critère de choix pour le patient, qui va là où son médecin lui suggère d’aller. Là où les échos sont bons. Par ailleurs, le fait que l’hôpital a finalement peu la main sur toute une série de paramètres tels que les suppléments d’honoraires ou la protection des données rend ces adaptations difficiles à intégrer.»
«Le processus génère des résultats mais qui restent difficilement objectivables.»
Denis Herbaux, directeur de la Paqs.
L’accréditation serait, cependant, un léger incitant dans les procédures de recrutement, précise-t-on à l’Huderf. Le trajet exige beaucoup de temps et d’énergie de la part de l’ensemble du personnel, à qui il est demandé de s’impliquer totalement dans le projet. Un infirmier ayant déjà vécu cette transition n’aura probablement pas très envie de revivre cette expérience éreintante une seconde fois. Celui qui ne l’a pas vécue sera sans doute séduit par la culture de qualité mise en avant par l’hôpital accrédité.
En ce qui concerne le patient, en revanche, les bénéfices directs restent difficilement objectivables. De nombreux paramètres entrent en ligne de compte, y compris la compétence, l’accueil et l’écoute du personnel soignant. Ce qui compte avant tout à ses yeux, c’est sa santé, sa guérison. Ce qu’aucun protocole ne peut garantir.
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