© GETTY IMAGES

Génothérapie: comment sortir les aveugles du noir

Laetitia Theunis Journaliste

Devenu aveugle au cours de sa vie, un quinquagénaire a recouvré partiellement la vue grâce à l’optogénétique. Cette technique innovante, mise au point à Paris par une équipe internationale, n’avait jamais été testée sur les humains. Ce succès offre un immense espoir.

Après plusieurs années de cécité, un homme de 58 ans, atteint de rétinite pigmentaire, une maladie héréditaire et dégénérative détruisant les cellules photoréceptrices de l’oeil, est à nouveau capable de distinguer les formes. Si le patient, dont la maladie touche une personne sur quatre mille, a pu récupérer partiellement la vue, c’est grâce à la production de protéines sensibles à la lumière dans sa rétine. Pour stimuler cette production, ses médecins ont eu recours à une technique innovante, sinon révolutionnaire: l’optogénétique, qui associe thérapie génique et stimulation lumineuse.

« Si le patient est loin de pouvoir lire un livre, c’est toutefois une avancée extrêmement importante« , souligne Antoine Adamantidis, professeur en neurologie expérimentale à l’université de Berne. Lors de sa thèse de doctorat, réalisée à l’ULiège, il a participé à l’essor de l’optogénétique. « C’est la première fois que cette technique, très utilisée en recherche sur les rats et les souris pour faire avancer les connaissances sur le cerveau, est testée lors d’un essai clinique sur un humain. » Dans ce cas précis, le code génétique d’une protéine très sensible à la lumière a été inséré dans des neurones de la rétine du sujet, afin qu’elle joue le rôle des photorécepteurs de l’oeil. Ceux-ci avaient disparu, anéantis par la maladie.

L’optogénétique associe thérapie génique et stimulation lumineuse.

La revue Nature a fait la part belle à cette prouesse biotechnologique, réalisée par une équipe internationale menée par le professeur José-Alain Sahel à l’Institut de la vision à Paris, et qui se solde par un double succès. « Tout d’abord, il n’y a pas eu de complications à la suite de cette thérapie génique, l’oeil « implanté » ne s’est pas dégradé. Ensuite, sept mois après l’implantation optogénétique, la personne, précédemment aveugle, a pu distinguer un passage pour piétons, compter le nombre de tasses blanches présentes sur une table noire. Autrement dit, elle a pu voir des objets simples, peu nombreux et à haut contraste », précise Olivier Collignon, professeur en neurosciences cognitives à l’UCLouvain dont les travaux portent spécifiquement sur la circuiterie cérébrale des aveugles.

Le clinicien-chercheur français José-Alain Sahel se focalise sur des maladies de la rétine encore incurables.
Le clinicien-chercheur français José-Alain Sahel se focalise sur des maladies de la rétine encore incurables.© BELGA IMAGE

Les patients atteints de rétinite pigmentaire peuvent-ils espérer recouvrer davantage la vue et améliorer significativement leur qualité de vie? Une expérience menée pour l’instant par l’équipe du professeur Sahel devrait lever un coin de ce voile. En effet, les scientifiques ont implanté six patients non encore totalement aveugles. « En choisissant des personnes à un stade plus précoce de la maladie, soit avant la détérioration totale de leur rétine, les chances de succès du recouvrement d’une meilleure vision sont plus grandes », assure Olivier Collignon. L’étude, ralentie pour cause de crise sanitaire, se poursuit. Les résultats devraient être connus dans les prochains mois.

Autre note d’espoir: les personnes aveugles atteintes d’autres pathologies dégénératives des photorécepteurs que la rétinite pigmentaire pourraient, elles aussi, être éligibles à l’optogénétique. A condition, toutefois, que leur nerf optique demeure fonctionnel.

Plus compliqué chez les aveugles de naissance

Lors des tests de vision réalisés en laboratoire sur le patient qui a bénéficié de l’optogénétique, ce dernier était coiffé d’un bonnet d’électrodes permettant de suivre l’activité de son cerveau. L’ examen a révélé que son cortex visuel réagissait aux images de manière identique à celui d’un sujet avec une vision normale. Sans aucun doute, le patient a vu. Lorsqu’il a reçu l’information électrique, son cortex visuel a su comment l’interpréter, la travailler et recréer la perception visuelle. « S’il n’avait pas été voyant avant de perdre progressivement la vue, cela n’aurait probablement pas fonctionné, explique Olivier Collignon, professeur en neuroscience cognitive (UCLouvain). En effet, chez les personnes aveugles de naissance, après quelques mois de vie dans le noir, le cortex visuel ne recevant pas les informations visuelles pour lesquelles il est programmé, se transforme. Et commence à répondre à des informations non visuelles. C’est un mécanisme de plasticité cérébrale transmodale: le cortex visuel devient un cortex auditif ou tactile. Il est alors très difficile de le faire revenir à sa fonction de départ. La seule possibilité d’utiliser la technique optogénétique chez les aveugles de naissance serait de la réaliser très rapidement après leur venue au monde, afin que leur cerveau apprenne immédiatement à interpréter l’information visuelle. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire