71% des Belges les plus riches font du sport au moins une fois par semaine, contre 40% des plus pauvres. © Getty Images

Faut-il être riche pour faire du sport? Les statistiques étonnantes sur la pratique sportive en Belgique (analyse)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

L’essentiel

· Plus de la moitié des Belges appartenant à la catégorie des revenus les plus faibles ne pratiquent jamais de sport.
· Les facteurs tels que le coût financier, l’accès aux infrastructures et le manque de temps sont des barrières à la pratique sportive chez les personnes aux revenus les plus faibles.
· Le contexte social et familial jouent également un rôle.
· Pour réduire les disparités, les experts prônent le développement de politiques transversales considérant le sport comme un élément central de santé publique.

Plus de la moitié des Belges appartenant à la catégorie des revenus les plus faibles ne pratiquent jamais de sport. L’activité physique serait-elle réservée à une élite? Plus que des moyens financiers, elle nécessite en tout cas du temps, des infrastructures et un contexte social favorable.

Le sport passionne les foules. L’engouement suscité par les Jeux olympiques de Paris au cours de la quinzaine écoulée confirme à nouveau la place centrale qu’il occupe dans les sociétés occidentales. A l’échelle européenne, la pratique sportive est d’ailleurs de plus en plus populaire. Et la Belgique n’échappe pas à la règle.

Selon l’Office de statistique Statbel, 57,2% des Belges font du sport hebdomadairement. Une tendance légèrement supérieure à la moyenne de l’UE (55,9%), et bien devant la moyenne italienne (46,5%) ou bulgare (23,3%). Les Belges sont même plus d’un quart (26,2%) à pratiquer une activité physique plus de quatre fois par semaine et plus d’un dixième (10,7%) à s’y adonner à fréquence quotidienne.

Mais derrière cette propension a priori sportive de la population belge se cachent en réalité de grandes disparités sociales. D’abord, ce sont surtout les hommes (60,2%), plus que les femmes (54,5%), qui font du sport chaque semaine. L’origine socio-économique se révèle également être un facteur prépondérant dans la pratique sportive. En termes plus explicites: plus le Belge est riche, plus il s’adonne à une activité physique.

Ainsi, 71,4% des citoyens appartenant à la catégorie des revenus les plus élevés pratiquent une activité sportive au moins une fois par semaine, contre à peine 40% des Belges aux revenus les plus faibles. Plus parlant encore: parmi ce dernier groupe, plus de la moitié (51,3%) ne fait jamais de sport du tout. Un pourcentage qui descend à 21,5% chez les plus nantis.

Remplir le frigo ou aller à la piscine?

Comment expliquer cet écart si marqué? D’abord, évidemment, le coût financier. Outre quelques exceptions (jogging, cyclisme), la majorité des disciplines nécessitent une inscription dans un club ou dans une salle. Le prix des cotisations annuelles (même pour des sports a priori plus démocratiques, comme le basket ou le volley) ayant flambé ces dernières années, de telles inscriptions ne font pas partie des priorités financières d’une famille qui peine à à joindre les deux bouts.

Au-delà de l’inscription, il faut également débourser pour l’équipement. Dans les disciplines (collectives, surtout) où l’apparence physique et vestimentaire prime, des ressources financières limitées peuvent s’avérer un frein. «Ces codes esthétiques liés à la pratique de certains sports peuvent représenter des barrières, voire un crtière excluant pour certaines populations», souligne Vincent Lorant, sociologue de la santé à l’UCLouvain.

Outre le manque de moyens, la disponibilité (physique et mentale) est indispensable à la pratique d’un sport. «Cela reste un hobby, et comme pour n’importe quel divertissement, il faut du temps pour s’y adonner, rappelle Jean-Michel De Waele, sociologue du sport à l’ULB. Les statistiques sur les Belges qui font de la musique ou du théâtre, par exemple, illustrent les mêmes disparités sociales.» Bref, quand les besoins primaires ne sont pas remplis, le temps consacré aux hobbys est relégué au second plan.

L’homophilie sociale

D’autant que la plupart des Belges aux revenus les plus faibles travaillent dans des secteurs à haute pénibilité. Difficile, pour une femme de ménage souffrant de douleurs musculo-squelettiques, de trouver encore l’énergie et l’envie de repartir courir quinze kilomètres après le boulot, illustre Jean-Michel De Waele. «Les employés qui exercent un travail de bureau auront peut-être davantage de disponibilité physique pour cela, note l’expert. Ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas stressés ou sous pression, mais généralement, leur corps est moins marqué physiquement.» Historiquement, d’ailleurs, la tradition sportive est moins prégnante au sein de la classe ouvrière, insiste le sociologue, qui rappelle la pénibilité du travail dans les mines ou dans les usines sidérurgiques.

Quand les besoins primaires ne sont pas remplis, le temps consacré aux hobbys est relégué au second plan.

Le contexte social et familial joue d’ailleurs un rôle important dans la pratique sportive. Combien d’enfants ont commencé le tennis parce qu’ils accompagnaient papa ou maman sur les courts? L’entourage (camarades scolaires, collègues, amis) peut également inciter à débuter une activité. «Le sport, comme beaucoup d’autres aspects de comportement, est acquis à travers les interactions sociales, résume Vincent Lorant. Or, en général, les individus interagissent avec des personnes issues de la même classe sociale. C’est ce qu’on appelle le principe de l’homophilie. Comme les réseaux sociaux sont homophiles en termes de classe sociale, ils le sont également en termes de pratique sportive.» En bref: si l’entourage de l’individu ne fait jamais de sport, rien ne l’incitera à en faire.

La proximité des infrastructures pèse également. Et avec elle, à nouveau, le temps et les moyens de s’y rendre. «Si la salle de basket se trouve à 30 minutes du lieu de domicile, quel parent aura envie d’y accompagner son enfant après le travail, d’autant plus si le trajet doit s’effectuer en transports en commun?, s’interroge Jean-Michel De Waele. La famille qui dispose d’une voiture sera encore avantagée.» Un constat applicable également aux sports qui ne nécessitent a priori pas d’infrastructures, comme le jogging ou le vélo. «Aller courir dans le quartier de la gare du Midi, ce n’est pas la même expérience qu’un footing au Bois de la Cambre ou à la campagne, notamment en termes d’insécurité», note encore le sociologue du sport.

Miser sur l’éducation

Mis bout à bout, tous ces facteurs creusent des disparités marquantes entre public nanti et moins favorisé. Des différences également observables concernant le statut pondéral: les personnes moins diplômées et issues d’un milieu socio-économique plus faible ont en effet une prévalence plus forte de surpoids et d’obésité. «Il y a en réalité une causalité bidirectionnelle entre sport et obésité, explique Vincent Lorant. Evidemment, moins vous faites du sport, plus vous aurez tendance à être en surpoids. Mais un statut pondéral peu favorable rendra aussi l’activité sportive plus complexe.» En termes pratiques, mais également en termes de jugement social.

Pour gommer ces disparités, les deux experts plaident pour développer des politiques transversales, qui considèrent le sport comme un élément central de santé publique et non comme un simple divertissement. Ils soulignent également le rôle fondamental de l’école dans la sensibilisation à la pratique sportive. Une approche payante dans les pays scandinaves, qui dominent le classement en termes d’activité physique. «La Finlande et le Danemark ont développé des politiques éducatives beaucoup plus universelles et proactives en matière sportive et sanitaire, insiste Vincent Lorant. Le sport occupe une place cruciale dans le système scolaire, dont la mixité est bien plus importante qu’en Belgique, ce qui permet à toutes les classes sociales d’y être initié.»

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