Fasciathérapie: «La science a trop longtemps négligé un organe»
De plus en plus de patients se tournent vers la fasciathérapie pour traiter des douleurs et des symptômes inexpliqués ou liés au stress. Le tissu conjonctif serait-il la nouvelle clé pour une meilleure santé?
«C’est psychosomatique, les tests n’indiquent rien d’alarmant. Vous êtes en parfaite santé, madame.» Après des dizaines de consultations et d’examens auprès de différents spécialistes dans plusieurs hôpitaux, Helga Gielen, atteinte d’un Covid long, s’est vu conseiller de rendre visite à un psychiatre. «C’était extrêmement frustrant, se souvient la sexagénaire. Je souffrais de douleurs intenses et de troubles cognitifs, alors que j’étais auparavant en parfaite santé. La fatigue causée par le moindre effort rendait toute rééducation physique impossible. Mon corps n’aurait tout bonnement pas pu le supporter. Un simple mouvement pouvait avoir des répercussions pendant deux semaines. Je ne supportais pas les médicaments contre la douleur. Mon kinésithérapeute m’a recommandé la fasciathérapie, une nouvelle forme de thérapie corporelle qui m’était totalement inconnue. Grâce à cette approche, mon système nerveux autonome a progressivement retrouvé une certaine sérénité.»
Une thérapie en plein essor
Helga a de la chance: elle fait partie des 3% de patients qui se rétablissent complètement d’un Covid long. Grâce à une combinaison de fasciathérapie, de thérapie neurale et d’oxygénothérapie hyperbare, elle a été déclarée totalement exempte de symptômes en 2023. «C’est dommage que des solutions porteuses d’espoir comme celles-ci soient si peu connues du grand public», estime-t-elle.
Il semble toutefois que la situation commence à évoluer. La fasciathérapie est utilisée comme traitement pour le syndrome postviral, le stress, l’anxiété, le burnout, les crises de panique, les douleurs chroniques, la fibromyalgie, la fatigue, les traumatismes, ainsi que les problèmes digestifs et immunitaires inexpliqués. La fasciathérapie connaît un véritable essor.
«Le fascia a longtemps été négligé par la science, affirme le docteur Philippe Rosier, kinésithérapeute et pionnier de la fasciathérapie. Dans les cours de dissection classiques, le fascia était ôté pour pouvoir étudier le corps. Depuis les années 1980, on assiste à un mouvement inverse, et le fascia est désormais scruté à la loupe. C’est ainsi que nous avons découvert que ce tissu conjonctif est rempli de nerfs et de récepteurs, qui sont en étroite communication avec l’insula, la partie de notre cerveau où se forme notre expérience intérieure.»
Peut-on dire qu’avec le tissu conjonctif, nous avons découvert un nouvel organe?
Le fascia est en effet bien plus qu’un simple matériel d’emballage pour les muscles, les os et les organes. Tout comme le foie, le cœur et les poumons, c’est un organe. Avec cette différence qu’il se déploie dans le corps comme une toile d’araignée. Puisqu’il réagit au stress physique et psychique, il joue un rôle dans de nombreuses formes de dysfonctionnements. Le fascia est une sorte d’éponge où le stress physique,
mais aussi émotionnel et mental, peut s’inscrire. Il peut se rigidifier ou devenir plus fluide. Ainsi, les recherches montrent que le fascia des patients souffrant de maux de dos est environ 20% plus épais que celui des personnes en bonne santé, ce qui a des conséquences sur leur mobilité. Le fasciathérapeute met le tissu en mouvement et élimine les résistances. Cela ne se ressent pas uniquement sur le plan physique. Grâce à un changement de consistance du fascia, d’autres récepteurs sont stimulés. Par le biais du circuit insulaire, la perception du corps change.
«Les patients ressentent une paix intense qui émane de l’intérieur.»
La fasciathérapie combine la thérapie manuelle avec des exercices physiques. En quoi diffère-t-elle de la kinésithérapie classique?
Dans la fasciathérapie, on utilise des techniques un peu différentes. Le tissu lui-même est stimulé pour se détendre profondément. Les patients ressentent une paix intense qui émane de l’intérieur. Ou ils retrouvent de l’énergie s’ils souffrent de fatigue. Chez ceux qui sont anxieux, un sentiment de confiance se développe. En kinésithérapie classique, le corps est plutôt considéré comme un objet. Les muscles sont entraînés, mais l’expérience intérieure est négligée. La fasciathérapie invite constamment le patient à prendre conscience des effets qui en découlent. Par l’introspection, il apprend à observer, à exprimer et à donner un sens à ce qui se passe dans son corps. Les changements observés peuvent être locaux, mais en raison de l’interconnexion du tissu conjonctif, ils peuvent aussi se manifester dans d’autres parties du corps.
Pourquoi est-il si crucial que le patient comprenne les changements survenant dans son corps?
Tant qu’il n’en est pas conscient et ne fait pas le lien avec sa vie quotidienne, la thérapie ne sera pas durable. Tout dépend aussi du mal à traiter. Si quelqu’un souffre d’un torticolis aigu, un seul traitement est généralement suffisant. Si, en revanche, il s’avère qu’un problème plus profond en est à l’origine, des années de thérapie peuvent être nécessaires, en collaboration avec un psychologue. Depuis un an, nous travaillons avec Pobos, un réseau de thérapeutes spécialisés dans le trauma. La combinaison de la psychothérapie et du travail corporel produit des résultats très positifs chez de nombreux patients traumatisés. Le fasciathérapeute stabilise les patients après une séance éprouvante chez le psychologue et, inversement, le psychologue aide à contextualiser et à donner un sens aux expériences refaisant surface à travers la mémoire corporelle.
La fasciathérapie offre également un soutien, physique et psychologique, après un diagnostic de cancer.
Radiothérapie, chimiothérapie, opérations, stress existentiel: tout cela met le corps à rude épreuve. Je tiens à préciser que la fasciathérapie ne peut pas guérir le cancer ou d’autres maladies graves. Quiconque prétendrait le contraire n’a pas sa place en médecine conventionnelle. Ce que nous faisons, c’est offrir au patient un peu de sérénité durant une période très chaotique.
«Il y aura toujours des médecins pour qui cela semble trop “new age”.»
La thérapie est née et s’est développée de manière empirique. Cela peut sembler peu scientifique…
C’est une discipline très récente. Avant de pouvoir commencer des essais contrôlés randomisés, nous devons d’abord essayer de comprendre le phénomène en profondeur. Cela signifie écouter les patients et tirer des enseignements de ce qu’ils racontent. Cette recherche scientifique qualitative a pris dix ans. Sur cette base solide, de vastes études cliniques sont maintenant lancées, notamment par l’UGent pour les patients souffrant de douleurs dorsales chroniques. Bien sûr, nous aimerions être plus avancés, mais la recherche clinique exige de l’argent, des experts et du temps. En outre, dans les domaines où l’interaction humaine exerce un rôle dans le processus de traitement, les preuves scientifiques sont nettement plus difficiles à établir. Vous n’aurez jamais 100 patients identiques susceptibles d’être analysés en laboratoire! Le tissu conjonctif lui-même est cependant étudié depuis de nombreuses années. Les résultats ont été publiés dans des revues reconnues et peuvent, progressivement, être considérés comme avérés.
Pourtant, certains préfèrent reléguer la fasciathérapie au rang de médecine alternative.
A tort. Beaucoup de médecins confient leurs patients à des fasciathérapeutes parce que de nombreux symptômes ne peuvent pas toujours être objectivés de manière scientifique. L’explication habituelle a longtemps été que c’était «dans la tête». C’est excessivement réducteur. Il y aura toujours des docteurs pour qui cela semblera trop «new age». Mais la fasciathérapie fait partie de la kinésithérapie et, à ce titre, est même remboursée par la mutuelle.
La fasciathérapie n’étant pas un métier reconnu, existe-t-il un risque de tomber entre les mains d’un charlatan?
Autrefois, il n’y avait qu’une seule formation de fasciathérapeute en Belgique, mais à mesure que la discipline a suscité davantage d’intérêt, des dissidences sont apparues, malheureusement, et certains diplômes n’ont que peu de valeur. La formation de fasciathérapeute dure quatre ans et est très dense, précisément parce qu’elle demande beaucoup d’expérience et de connaissances. Il faut être kinésithérapeute ou médecin pour y avoir accès. En Belgique, on compte aujourd’hui quelque 500 praticiens reconnus par l’association professionnelle des fasciathérapeutes.
Votre étude approfondie du fascia a, dites-vous, influencé votre vision du monde. En quel sens?
Je suis devenu beaucoup plus réceptif. J’écoute ce que les gens disent, mais aussi ce qu’ils ne disent pas, leur langage corporel. Il y a une forme de communication qui va bien au-delà des seuls mots. Le fascia crée un espace pour parler de notre monde intérieur. C’est pourquoi la fasciathérapie devrait aussi être pratiquée dans les écoles. Les jeunes doivent apprendre la valeur de la communication, comment écouter véritablement leur corps et les autres, comment gérer les conflits de manière constructive. Plus on est capable de réguler ses émotions, plus on est résilient et plus on peut canaliser son énergie. Un enfant apprend cela de manière très spontanée, contrairement aux adultes.
Comment se fait-il que les adultes soient prisonniers d’eux-mêmes et de leur corps?
Outre la course à la performance, la scientifisation du corps répond en partie à cette question: ce qui ne peut être objectivement établi est supposé ne pas exister. Mais peut-on faire fi de l’expérience subjective du patient? Beaucoup de maux aspécifiques sont dus à cette déconnexion d’avec son corps. Nous ne sommes plus assez à l’écoute de nous-mêmes. Heureusement, la tendance commence à s’inverser. Dans certaines écoles, on pratique le yoga et la pleine conscience, ou les enfants se prodiguent mutuellement des massages.
Comment prendre soin de son fascia?
Outre les recommandations liées au mode de vie, telles qu’une alimentation saine, un sommeil suffisant et la pratique d’une activité physique régulière, il est important d’être attentif à ce qu’on vit en soi. Trop souvent, ce «monde intérieur» est confié à des thérapeutes ou dépend de facteurs externes. Par exemple, faire un sauna est une forme d’auto-soin, mais le bien-être qui en découle ne vient pas de l’intérieur, au contraire de l’expérience intrinsèque qu’offre la fasciathérapie. Une expérience sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour atténuer ou faire disparaître certains déséquilibres.
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