Explosion du nombre de cancers de la prostate: pourquoi ce n’est pas (si) grave
Le cancer de la prostate est celui qui est le plus répandu chez les hommes, et d’après les prévisions scientifiques, le nombre de cas va exploser dans les prochaines années en raison du vieillissement de la population.
Les chiffres semblent effrayant. Une étude publiée dans The Lancet prévoit que le nombre de cancers de la prostate va exploser d’ici à 2040 dans le monde. «Le nombre annuel de nouveaux cas va doubler de 1,4 million en 2020 à 2,9 millions en 2040», écrivaient les auteurs de l’analyse l’année dernière.
Cette tendance s’expliquerait par la hausse de l’espérance de vie. Les pays pauvres ou en voie de développement devraient donc être particulièrement affectés, car en train de rattraper leur retard en la matière sur les pays dits «développés». Le nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus dans le monde devrait plus que doubler, passant de 761 millions en 2021 à 1,6 milliard en 2050, selon les projections de l’ONU.
Le cancer de la prostate est déjà l’un des plus courants chez les hommes. En Belgique, il représente 16% des cancers masculins, selon les données de la Fondation contre le cancer. Il se déclare majoritairement après 50 ans. Les 71-80 ans sont les plus touchés (4.881 cas sur 12.699 en 2022).
Un cancer inéluctable
La vieillesse est effectivement le principal facteur de risque. Les antécédents familiaux entrent aussi en jeu dans 20% des cas. Le risque de développer un cancer de la prostate en vieillissant est deux à trois fois plus élevé chez les hommes dont le père, un frère et/ou un oncle a déjà souffert de cette maladie. Mais le mode de vie a très peu d’effet, souligne Philippe Westerlinck, oncologue au CHU de Liège. «Moins d’1 % des cancers prostatiques peuvent être évités. Le seul conseil à donner serait de manger des tomates.» Cocasse? Des études ont montré que les consommateurs réguliers de tomates avaient jusqu’à 20 % de risque en moins de développer un cancer de la prostate, en raison de sa concentration en lycopène, un puissant antioxydant. Pour bénéficier des effets, il faudrait ingurgiter deux grosses tomates par jour, soit 1,5 kilo par semaine.
Presque tous les hommes développeront un cancer de la prostate s’ils ont la chance de vieillir suffisamment
Philippe Westerlinck
Le problème prostatique ne devrait pas s’améliorer, puisque l’espérance de vie qui est actuellement de 80,4 ans pour les hommes, grimperait jusqu’à 86,6 ans en 2040, selon les prévisions de Stabel. «On pourrait presque – le presque est important – dire que tous les hommes développeront un cancer de la prostate s’ils ont la chance de vieillir suffisamment», avance l’oncologue.
La majorité des cancers de la prostate ne sont pas agressifs
C’est grave, docteur? «Ce sont surtout dans les pays d’Asie et d’Afrique que la prévalence va augmenter artificiellement, car ils commencent à dépister», tempère le professeur Bertrand Tombal, chef du service urologie des Cliniques universitaires Saint-Luc. Le dépistage étant déjà bien organisé depuis une trentaine d’années dans le plat pays, «il n’y aura certainement pas d’impact majeur sur la santé publique».
D’autant plus que la majorité des cancers de la prostate sont indolents. «Sur 100 hommes en bonne santé, une vingtaine auront un cancer de la prostate, et parmi ces 20 cas, il n’y en aura que quatre ou cinq qui seront agressifs. A choisir un cancer, autant prendre celui de la prostate», ironise l’urologue. En Belgique, seulement 1,7 % des personnes ayant développé un cancer de la prostate sont décédées dans les cinq ans. «Plus de la moitié des hommes de plus de 80 ans peuvent mourir avec un cancer de la prostate sans jamais le savoir, et sans que ce soit la cause de leur décès. On peut très bien vivre avec sans avoir de symptômes, assure le docteur Westerlinck. Il ne faut pas pour autant nier qu’il y a des personnes qui en meurent».
Trop de dépistage, trop de cancers
Le système de soins belge serait trop pro-actif dans la recherche de cancer prostatique, estime par ailleurs le professeur Tombal. Le test en vigueur depuis une trentaine d’années est la mesure du taux de PSA (Antigène prostatique spécifique), une protéine prostatique, dans le sang. Un taux élevé révèle une anomalie de la prostate, mais qui n’est pas nécessairement un cancer. Si cancer il y a, il est alors bien souvent détecté à un stade précoce, avant même l’apparition des symptômes. C’est un «surdiagnostic», qui entraîne un «surtraitement». Comme la plupart des cancers détectés à ce moment-là sont indolents, «il faudrait recommander aux patients de ne rien faire et de simplement surveiller activement leur état. Ce n’est pas nécessaire d’inquiéter le patient avec un cancer qui ne risque pas d’impacter sa survie». D’autant plus que les traitements provoquent des effets secondaires, tels que des incontinences ou des troubles de l’érection.
Depuis 2012, les recommandations scientifiques nationales vont d’ailleurs dans le sens de la surveillance, «mais ça ne marche pas». Le problème c’est que les médecins sont «financés à l’acte en Belgique». Or avec une stratégie de dépistage bien menée, qui ne ciblerait que les quelques cancers prostatiques agressifs, les chiffres pourraient diminuer, avance Bertrand Tombal, qui prône pour cela le recours systématique à l’IRM prostatique après un test PSA, plutôt que de passer directement à la biopsie.
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