Jusqu’à 45.000 nanogrammes dans un kilo de poisson: faut-il s’inquiéter des PFAS présents dans nos aliments ? (analyse)
La présence de PFAS dans l’eau courante fait l’actualité. Mais on parle peu des normes autorisées dans la chaîne alimentaire, relève Patrick Kestemont, professeur en écotoxicologie. Un exemple : certains poissons peuvent être mis sur le marché jusqu’à… 45.000 nanogrammes de PFAS par kilo.
A mesure que les semaines se succèdent, depuis que le sujet fait l’actualité, la liste des localités dans lesquelles les teneurs en PFAS dans l’eau du robinet est trop importante s’allonge. Ce 7 décembre, les habitants de certains villages des communes de Nandrin, Modave et Tinlot, en province de Liège, ont reçu la recommandation de ne plus boire de l’eau courante. Comme cela s’était déroulé à Ronquières, quelques semaines auparavant. Et comme cela aurait dû, sans doute, se passer à Chièvres, entre l’automne 2021 et le printemps 2023, période durant laquelle les analyses ont démontré des concentrations supérieures à 100 nanogrammes (ng) par litre au niveau d’un puits en particulier.
Cette présence de PFAS, qualifiés de « polluants éternels », dans l’eau courante interpelle. Mais elle ne devrait pas faire perdre de vue que l’ensemble de la chaîne alimentaire est potentiellement concerné. Telle est la mise en garde du biologiste Patrick Kestemont, enseignant l’écotoxicologie à l’université de Namur.
« On en parle assez peu et il est fort probable, d’ailleurs, que dans la grande majorité des cas, on ne retrouve pas de taux trop élevés de PFAS dans les aliments. Mais il me semble utile de rappeler que les normes de taux admissibles dans l’alimentation sont beaucoup plus élevées que les quelques dizaines de nanogrammes dont on parle dans l’eau », commente Patrick Kestemont.
Les PFAS s’accumulent aussi dans les aliments
Quelques notions d’écotoxicologie sont utiles pour comprendre. « La bioconcentration, tout d’abord, est la différence entre la présence d’une substance dans un organisme par rapport à sa présence dans l’environnement. Les algues, par exemples, bioconcentrent souvent des substances lipophiles, qui se dissolvent facilement dans les graisses, parce qu’elles ont généralement des concentrations élevées en graisses. »
La bioaccumulation résulte de l’alimentation. « Ces organismes sont mangés par d’autres ». La bioamplification, enfin, se répartit sur l’ensemble de la chaîne. « Les algues sont mangées par du zooplancton, mangé par des petits poissons, mangés par des plus gros, mangés par le brochet, lui-même mangé par l’humain. A toutes les étapes, on peut avoir une augmentation de la concentration », explique Patrick Kestemont. Une vache mange de l’herbe contaminée, d’un sol contaminé, puis produit du lait qui sera consommé par l’homme, pour citer un autre exemple. »
Qu’en est-il des normes en vigueur ? Comme cela a été répété ces dernières semaines, l’eau souffre d’une absence de norme à l’heure actuelle. Mais, conformément à une directive européenne édictée en 2020, en matière de PFAS, c’est la limite de 100 nanogrammes par litre qui a été retenue. Cette norme n’entrera en vigueur qu’en 2026.
A propos de certaines denrées alimentaires, c’est un règlement européen qui fixe les normes, reprenant les quatre PFAS les plus problématiques : PFOS, PFOA, PFNA et PFHxS. Celui-ci est entré en vigueur le 1er janvier 2023 et fixe des limites pour chaque PFAS et pour la somme des quatre PFAS, indispensable pour la mise sur le marché de ces aliments.
Plus globalement, l’Autorité européenne de sécurité des aliments estime que pour ces substances, la somme de 4,4 ng par kilogramme (kg) de poids corporel ne devrait pas être dépassée par semaine. C’est ce qu’on appelle la dose hebdomadaire tolérable (DHT). Pour une personne de 70 kg, par exemple, ce seuil de sécurité théorique est de 308 ng par semaine.
Quelques exemples cités par Patrick Kestemont permettent de se rendre compte de la réalité de ces normes, eu égard aux 100 ng admis par litre d’eau. « Si vous prenez du poisson sauvage pêché dans la Meuse, vous pourriez le commercialiser jusqu’à 45.000 ng/kg de chair. Dans le lait, on tolère jusqu’à 66.000 ng/l. Et dans les œufs, c’est 1.700 ng/kg », illustre-t-il. Quant à la viande bovine, la limite européenne est fixée à 1.300 ng/kg. Un steak de 200 g peut donc potentiellement contenir jusqu’à 260 ng de PFAS…
Ces teneurs sont détaillées dans le règlement approuvé par la Commission européenne en décembre 2022. Le document officiel mentionne des teneurs maximales en microgrammes (μg) par kilo à l’état frais. Par souci d’uniformité, nous les convertissons en nanogrammes.
Normes PFAS dans les aliments: quelques exemples
- Pour les œufs, les teneurs maximales sont de 1.000 ng pour les PFOS, 300 ng pour les PFOA, 700 ng pour les PFNA et 300 ng pour les PFHxS. La teneur maximale pour la somme des quatre est de 1.700 ng/kg.
- Pour la chair de poisson, à l’exception d’espèces reprises dans d’autres normes ci-dessous, les teneurs maximales sont de 2.000 ng pour les PFOS, 200 ng pour les PFOA, 500 ng pour les PFNA et 200 ng pour les PFHxS. La teneur maximale pour la somme des quatre est de 2.000 ng/kg. Cela est valable si cette chair n’est pas destinée à la fabrication d’aliments pour nourrissons et enfants en bas âge.
- Pour la chair d’une série de poissons (bar, brochet, hareng de la Baltique, lotte, loup, plie, saumon et truite sauvage, etc.), les teneurs maximales sont de 7.000 ng pour les PFOS, 1.000 ng pour les PFOA, 2.500 ng pour les PFNA et 200 ng pour les PFHxS. La teneur maximale pour la somme des quatre est de 8.000 ng/kg. Cela est valable si cette chair n’est pas destinée à la fabrication d’aliments pour nourrissons et enfants en bas âge.
- Pour la chair d’une série d’autres poissons (anchois, anguille, éperlan, gardon, omble, perche, etc.), les teneurs maximales sont de 35.000 ng pour les PFOS, 8.000 ng pour les PFOA, 8.000 ng pour les PFNA et 1.500 ng pour les PFHxS. La teneur maximale pour la somme des quatre est de 45.000 ng/kg. Cela est valable si cette chair n’est pas destinée à la fabrication d’aliments pour nourrissons et enfants en bas âge.
- Pour les viandes de bovin, de porc et de volaille, les teneurs maximales sont de 300 ng pour les PFOS, 800 ng pour les PFOA, 200 ng pour les PFNA et 200 ng pour les PFHxS. La teneur maximale pour la somme des quatre est de 1.300 ng/kg.
- Pour les viandes de gibier (à l’exception de l’ours), les teneurs maximales sont de 5.000 ng pour les PFOS, 3.500 ng pour les PFOA, 1.500 ng pour les PFNA et 600 ng pour les PFHxS. La teneur maximale pour la somme des quatre est de 9.000 ng/kg.
- Le lait, pour sa part, n’est pas repris dans la liste de denrées alimentaires de ce règlement européen, qui ne concerne que les œufs, les poissons, les crustacés, les mollusques bivalves, la viande et les abats. Les contrôles sur le lait se basent sur des « limites d’action » reprises par l’AFSCA et dont les seuils sont fixés à 6.000 ng/kg pour les PFOS et 60.000 ng/kg pour les PFOA.
Comparativement aux concentrations évoquées avec l’eau, ces normes peuvent inquiéter. La question qui compte consiste donc à savoir si les denrées alimentaires en comportent effectivement. « Si des normes sont instaurées, c’est que cela peut potentiellement être le cas », résume Patrick Kestemont.
Que disent les analyses de l’AFSCA?
L’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) a réalisé une série de contrôles sur des aliments d’origine végétale et animale en Wallonie en 2022, comme elle l’avait fait en Flandre l’année précédente. Résultat : sur 106 échantillons wallons, 7 contenaient des PFAS, mais dans des concentrations inférieures aux normes admises. Cela semble plutôt rassurant, donc.
« Depuis plus de 15 ans déjà, l’AFSCA effectue un monitoring général des PFAS dans la chaîne alimentaire », nous indique l’agence. Dans le cadre des nouveaux règlements entrés en vigueur au 1er janvier 2023, elle réalise chaque année 500 analyses d’échantillons dans la chaîne alimentaire belge, à la fois de manière aléatoire et ciblée sur des exploitations agricoles implantées dans des zones potentiellement plus exposées. « En outre, des échantillons sont également prélevés en dehors de ce programme de contrôle général, par exemple à la suite d’une notification transmise par un tiers. »
Des analyses ont donc eu lieu en 2023, comme ce sera le cas les années prochaines, mais, précise-t-on à l’AFSCA, leurs résultats ne sont pas encore disponibles, l’année étant encore en cours. « Nous analyserons et consoliderons ces résultats de 2023 dans le courant du premier trimestre de 2024 », indique la porte-parole.
Quant aux échantillons analysés en Wallonie en 2022, 30 ont été prélevés sur des œufs, 10 sur du lait et 66 sur de la viande (poulets, porcs, bovins). Dans les 7 échantillons concernés par des PFAS dans les aliments, les concentrations étaient inférieures aux normes, ce qui implique que les exploitations agricoles ne sont pas tenues de prendre des mesures et que les produits sont propres à la consommation. Plutôt rassurant, donc.
La concentration la plus élevée à avoir été mesurée était de 394 nanogrammes de PFOS dans de la viande bovine, ce qui est légèrement supérieur aux 300 ng admis, « mais l’est pourtant bien en tenant compte d’une incertitude de mesure », indique l’AFSCA, qui nous a transmis le détail des résultats de ces sept échantillons.
Produit | PFOS [µg/kg] | PFOA [µg/kg] | PFNA [µg/kg] | PFHxS [µg/kg] | ∑ 4PFAS [µg/kg] |
Œufs (poules avec parcours extérieur) | 0,173 | <0,1 | <0,1 | <0,1 | 0,173 |
Œufs (poules avec parcours extérieur) | 0,13 | <0,1 | <0,1 | <0,1 | 0,13 |
Œufs (poules avec parcours extérieur) | 0,318 | <0,1 | <0,1 | <0,1 | 0,318 |
Viande (porcs avec parcours extérieur) | 0,240 | 0,115 | <0,05 | 0,0546 | 0,410 |
Viande (porcs avec parcours extérieur) | 0,0927 | <0,05 | <0,05 | <0,05 | 0,0927 |
Viande (bovins) | 0,147 | <0,05 | <0,05 | <0,05 | 0,147 |
Viande (bovins) | 0,394 | <0,05 | <0,05 | <0,05 | 0,394 |
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