Les patients atteints de myasthénie grave se sentent seuls et incompris. © getty images

« En une seconde, mon visage s’est figé »: qu’est-ce que la myasthénie, cette maladie qui paralyse les muscles

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Souvent confondue avec d’autres pathologies, la myasthénie généralisée est une maladie auto-immune rare particulièrement invalidante. Lutgarde Allard, qui en souffre depuis trente ans, lutte pour que les personnes atteintes de myasthénie puissent être diagnostiquées plus rapidement. Et mieux accompagnées.

« Je me sentais particulièrement fatiguée depuis quelques mois. Les médecins que je consultais mettaient mon état sur le compte du stress et du surmenage. Au fond de moi, je savais qu’il se passait quelque chose d’anormal dans mon organisme. Que ce n’était pas psychologique. On m’a d’abord diagnostiqué un syndrome de fatigue chronique, et prescrit des antidépresseurs et d’autres médicaments pour décontracter les muscles. Mais ce traitement ne me convenait pas. Un jour, alors que je prenais un café en terrasse au soleil, j’ai senti le liquide couler le long de mon menton. Je ne pouvais plus fermer la bouche, ni même parler. J’étais paralysée. Par la suite, j’ai appris que la chaleur pouvait déclencher ce genre de crises ».  

Lutgarde Allard n’a qu’une trentaine d’années quand un neurologue lui apprend qu’elle souffre en réalité d’une autre maladie rare, la myasthénie auto-immune généralisée. Il s’agit d’un dysfonctionnement du système immunitaire qui peut se déclencher à tout âge et qui touche 1 personne sur 10.000 à peu près.  

Il se caractérise par une perturbation de la communication entre les nerfs et les muscles, ce qui provoque une importante faiblesse musculaire, des troubles visuels, auditifs et des difficultés à articuler. En cas de crises particulièrement violentes, le patient risque de tomber dans le coma. 5% des personnes atteintes décèdent de la maladie. 

Invisible et imprévisible

C’est aussi une pathologie imprévisible aux symptômes très fluctuants. « On se sent bien mais dans la demi-heure qui suit, on est tellement épuisé qu’on ne parvient même plus à déglutir correctement. On a l’impression qu’on va s’étrangler. Ce changement d’état est très soudain et les symptômes ne sont pas forcément visibles. Les personnes qui sont en votre compagnie ne comprennent donc pas ce qui vous arrive. On se sent alors désemparé et très isolé ».  

Lutgarde Allard
Lutgarde Allard a appris qu’elle souffrait de myasthénie grave il y a trente ans. Aujourd’hui, elle milite pour que cette maladie rare soit mieux comprise.

Plusieurs facteurs peuvent déclencher la myasthénie grave : une infection, la prise de certains médicaments – notamment ceux utilisés pour traiter l’hypertension artérielle et les anomalies cardiaques ou contenant de la quinine, certains actes chirurgicaux. En cas de grossesse, la maladie augmente le risque de naissance prématurée pour le bébé et d’insuffisance respiratoire de la maman, chez qui les muscles respiratoires sont affaiblis.  

« C’est véritablement un fardeau corporel et mental. Cette maladie vous prive de toute vie sociale et bouleverse votre équilibre familial. Tout votre entourage se retrouve affecté par vos problèmes de santé. Lorsque la maladie a été diagnostiquée, mes enfants étaient encore petits. C’était difficile pour eux de comprendre ce qui m’arrivait. Au travail aussi, c’est devenu compliqué. Les premières années, j’étais rarement absente pour maladie, puis j’ai dû passer à mi-temps. J’étais ambitieuse. J’étais sportive. Et tout s’est arrêté ». 

Lutgarde a séjourné six mois à l’hôpital. Les médecins ne comprenaient pas ce qui la mettait dans un tel état. Lorsqu’un neurologue a enfin mis le doigt sur la maladie, elle a reçu un traitement à base d’immunosuppresseurs. Mais les effets secondaires étaient trop importants. Elle est donc revenue aux corticoïdes, sachant qu’à long terme, ces médicaments sont également nocifs pour l’organisme. 

Détection précoce 

Lutgarde a aujourd’hui 65 ans et s’investit auprès de l’EuMGA (European Myasthenia Gravis Association) et de la Belgian Association against Neuromuscular Diseases (ABMM). Ces associations militent pour que les personnes souffrant de la maladie soient davantage écoutées. 

En effet, la myasthénie grave peut facilement être confondue avec le syndrome de fatigue chronique, la sclérose en plaques ou encore la maladie de Charcot. « Les médecins eux-mêmes ne sont pas toujours bien informés, même les neurologues, et passent donc à côté. Or, plus elle est détectée tôt, plus le patient a des chances de bien répondre au traitement ».  

Début mars, la coalition de patients atteints de Myasthénie Grave (MG), « All United for MG« , a officiellement lancé une pétition pour défendre de meilleurs droits pour les patients et leurs aidants, un meilleur accès aux soins de santé et des conditions améliorées.

Aujourd’hui, Lutgarde parvient à mener une vie presque normale. Le traitement qu’elle reçoit à présent lui convient mieux. Elle a pris l’habitude de tout planifier et de préparer avec minutie chaque sortie, chaque départ en vacances, sachant qu’il faudra peut-être tout annuler si une crise se présente. Elle a pu se remettre au sport : un peu de natation et de vélo. « Ma mobilité est correcte même si je tombe encore parfois. Et quand je ris, je dois relever mes joues pour qu’elles suivent le mouvement », explique celle qui dit vivre dans un corps d’une femme de 80 ans mais qui en a 40 dans la tête. 

Le Dr Delstanche, neurologue à l’Hôpital de la Citadelle, a soigné des malades atteints de myasthénie grave.

Des traitements prometteurs mais pas toujours accessibles 

La myasthénie grave ne touche pas les hommes et les femmes au même stade de leur vie. Chez les femmes, la maladie se déclare en général entre 20 et 40 ans. Après 40 ans, ce sont plutôt les hommes qui sont diagnostiqués.

Maladie neuromusculaire de type auto-immune, la myasthénie grave peut présenter des formes très diverses d’un individu à l’autre et peut évoluer dans le temps. Chez les personnes qui en sont malade, le système immunitaire va fabriquer des anticorps qui vont attaquer un certain type de récepteurs, les récepteurs de l’acétylcholine (RACh), impliqués dans la transmission de l’information entre les nerfs et les muscles. Pour communiquer avec les muscles, les nerfs libèrent en effet un neurotransmetteur.

Ce messager chimique va alors interagir avec les récepteurs des muscles et stimuler ainsi leur contraction.  C’est cette réaction immunitaire, cette attaque de l’organisme contre ses propres récepteurs de l’acétylcholine, qui va perturber la communication entre les cellules nerveuses et les muscles. C’est ce qui explique le manque de tonus ressenti par les patients et la sensation de fatigue intense.

D’autres patients présentent des auto-anticorps dirigés contre un autre récepteur, le récepteur tyrosine-kinase spécifique du muscle (MuSK) ou contre la protéine LRP4. Dans des cas très rares, les patients n’ont ni auto-anticorps anti-RACh, ni auto-anticorps anti-MuSK, ni auto-anticorps anti-LRP4. On parle de myasthénie séronégative. 

Les causes exactes de cette réaction auto-immune ne sont pas tout à fait identifiées. L’une des hypothèses est un dysfonctionnement du thymus, une glande située dans la partie supérieure du thorax.   

On constate d’ailleurs une augmentation du volume du thymus chez la moitié des patients de moins de 50 ans. Et une prolifération des cellules du thymus chez 15 à 20% des patients plus âgés. 

Les corticoïdes et les médicaments inhibant le système immunitaire sont généralement les traitements prescrits en première intention. L’objectif est de diminuer les symptômes et de ralentir la progression de la maladie.  

“Dans un premier temps, on va chercher à calmer le système immunitaire, le temps que les immunomodulateurs fassent effet, ce qui prend six mois au minimum. Mais ce premier traitement ne peut s’étirer sur plus d’un an car les effets secondaires sont très lourds. Il peut s’agir de gonflement, d’une modification de la structure de la peau, de diabète ou d’hypertension”, expose le Dr Stéphanie Delstanche, neurologue au centre de Référence des Maladies Neuromusculaires (CRMN) de l’hôpital de La citadelle, à Liège. 

L’un des traitements utilisés pour soigner la myasthénie grave, le Vyvgart, développé par la biotech Argenx, est actuellement testé dans d’autres affections, dont la polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique, une forme de polyneuropathie qui provoque également une faiblesse musculaire. 

Lorsque les médicaments prescrits en première intention ne produisent pas les résultats escomptés, un traitement à base d’anticorps monoclonaux peut être envisagé. Le problème est que ces nouvelles molécules sont très coûteuses, et ne sont remboursés que lorsque le patient remplit certaines conditions et s’il ne présente aucune contrindication, explique encore le Dr Delstanche. C’est aussi pour cela que les associations de patients atteints de myasthénie militent : pour une meilleure accessibilité à ces nouveaux traitements prometteurs.   

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