Effets secondaires, dosage, efficacité… La vaccination des enfants décryptée (analyse)
C’est fait, le vaccin infantile est commandé en Belgique. Prochaine étape: l’avis scientifique du Conseil supérieur de la santé. Dès janvier, le gouvernement pourrait ouvrir la vaccination aux 5-11 ans de manière « facultative ». Dosage, effets secondaires, efficacité, public ciblé, bénéfice collectif: le point sur les données disponibles sur cette délicate question.
Ne pas aller trop vite. Ne pas crisper les associations de pédiatres et les parents. Trois semaines après le feu vert donné, le 25 novembre, par l’Agence européenne des médicaments (AEM) à la vaccination des 5-11 ans avec le vaccin Pfizer-BioNTech, le Conseil supérieur de la santé (CSS) remettra son avis scientifique (consultatif). Comme depuis le début de la pandémie, le CSS optera sans doute pour la prudence, en adoptant une stratégie par étapes: commencer, une fois encore, par les sujets « à risque ». Ainsi, en juillet dernier, l’instance fédérale recommandait d’immuniser les adolescents si ceux-ci étaient vulnérables ou s’ils vivaient dans l’entourage de personnes immunodéprimées et atteintes de maladies chroniques: une stratégie baptisée « Cocooning » destinée à protéger de façon indirecte les plus vulnérables d’une forme grave de Covid-19.
La dose de vaccin est inférieure pour obtenir la même efficacité.
Le vaccin infantile présente la même technologie à ARN messager que celui des adultes, mais son dosage est adapté. « Il contient dix microgrammes, l’équivalent d’un tiers de la dose administrée aux adultes et aux adolescents de plus de 12 ans. Cela représente un tiers de la quantité d’ARN messager », explique le Pr. Johan Neyts, responsable du laboratoire de référence en virologie à la KULeuven, l’un des plus importants sur les coronavirus. C’est une simple question de corpulence, puisque les 5-11 ans sont évidemment plus petits. « La dose de vaccin est inférieure pour obtenir la même efficacité. » Le schéma vaccinal reste celui recommandé par Pfizer: deux injections de dix microgrammes, à trois semaines d’écart.
Un essai réalisé sur 2 250 enfants âgés de 5 à 11 ans conclut à une efficacité de 90,7% du vaccin contre le Sars-CoV-2, sept jours après la deuxième dose. Sur les 1 507 enfants qui ont été immunisés, trois ont développé la maladie, contre seize pour ceux qui ont reçu un placebo. L’AEM dit avoir identifié des effets indésirables « légers ou modérés », comparables à ceux constatés chez les plus âgés: douleur au point d’injection, fatigue, fièvre, douleurs musculaires, maux de tête ou rhume. Ces effets pourraient même s’avérer bénins dès lors que la dose est inférieure.
C’est avant tout le bénéfice collectif qui peut motiver une recommandation générale de vacciner les enfants en Belgique.
La nouvelle vague de Covid-19 qui frappe l’Europe touche particulièrement les enfants, tranche d’âge non vaccinée au sein de laquelle, hors masque et gestes barrières, le virus se propage sans entrave. Dans ce contexte, les fermetures de classes se multiplient. Du côté francophone, selon le baromètre du Segec, la coupole des écoles catholiques, les taux d’absentéisme des enseignants comme des élèves dépassent désormais les maxima atteints le 22 mars dernier. En Flandre, « on est dans le chaos dans les écoles. On fait face à une flambée de contaminations. Et si le virus circule à un tel niveau dans les classes, les enseignants, parents, amis seront contaminés à leur tour », résumait, sur les plateaux télévisés, le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke. Les enfants seraient-ils désormais le « moteur de la pandémie », comme n’hésite pas à l’affirmer le biostatisticien Geert Molenberghs? Jusqu’ici, cette théorie a toujours été écartée. « C’est assez nouveau à vrai dire, réagit encore Frank Vandenbroucke. Le problème, c’est le variant Delta, c’est que les enfants entre 5 et 11 ans ne sont pas vaccinés, et cela dans une société qui se sent libérée. C’est cette combinaison qui est tellement dangereuse. Les enfants ne sont pas coupables, pas du tout. » Il aurait pu ajouter qu’il s’agit d’une population exposée parce qu’aussi regroupée par groupes de vingt à trente en milieu clos, sans aération systématique, jusqu’ici pas masquée et pas toujours en mesure de respecter les gestes barrières, notamment à la cantine et chez les plus petits.
Bref, des bénéfices indirects alors. Pour les écoliers, car en diminuant la circulation du virus, on diminue le risque de fermeture de classes, donc de retard scolaire. Mais, pour le CSS, il s’agit de bien déterminer le bénéfice individuel. L’essai clinique de Pfizer montre l’efficacité du vaccin à prévenir les symptômes légers, mais il ne permet pas de mesurer son avantage contre les formes sévères. Et pour cause: chez les enfants, elles restent très exceptionnelles en Belgique, plus encore qu’aux Etats-Unis, où la proportion élevée d’enfants obèses ou malades chroniques est beaucoup plus grande. Là aussi, la mortalité infantile y est, en temps normal, bien plus élevée en raison également d’un mauvais accès aux soins de santé, notamment chez les populations défavorisées.
Cela ne signifie pas que le vaccin ne puisse pas avoir son utilité. Il existe des enfants qui souffrent de pathologies qui favorisent des formes graves. Ceux-là ne doivent absolument pas contracter la Covid. Le CSS en dresse une liste détaillée: cardiopathie congénitale, cancers hématologiques et solides, patients immunodéprimés, receveurs d’une transplantation et patients sur les listes d’attente, syndrome de Down, déficience intellectuelle grave et profonde. Pour ces enfants, le bénéfice individuel direct apparaît établi. Pour les autres, l’écrasante majorité, ils ne sont pas plus hospitalisés ni ne font davantage de formes sévères. Pour eux, le gain sera minime.
Une taille d’échantillons encore réduite
Dès lors, face à un bénéfice unanimement considéré comme modeste, l’enjeu est celui des effets indésirables. Là réside la principale difficulté. Les vaccins à ARN entraînent de rares cas d’affections cardiaques (myocardites et péricardites) chez les jeunes adultes et chez les adolescents. Ces quelques dizaines de cas par million de vaccinés pourraient-elles se retrouver chez les enfants, avec une dose trois fois moindre? L’essai conduit sur 2 250 individus ne permet pas de le savoir. Les experts soulignent d’ailleurs la taille insuffisante de l’effectif d’enfants exposés au vaccin-candidat (2 250), associée à la courte durée de suivi des événements indésirables (trois mois après la deuxième dose) chez quelque 1 500 petits vaccinés, pour détecter des réactions indésirables rares et très rares . C’est ce peu de recul sur les risques, combiné au bénéfice individuel modeste, qui suscite jusqu’ici la prudence, voire la réticence, du CSS. L’institut fédéral comme les experts interrogés disent attendre les résultats en cours d’accumulation pour élargir la recommandation à tous les enfants. Les Etats-Unis, le Canada, Israël ou encore la Malaisie et le Costa Rica ont déjà commencé à vacciner les 5-11 ans. Ces pays auront, d’ici à quelques semaines, fourni des données grandeur nature, dans la vraie vie.
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En réalité, c’est avant tout le bénéfice collectif qui peut motiver une recommandation générale de vacciner les enfants en Belgique. Ouvrir la vaccination aux moins de 12 ans se justifie et s’inscrit dans la continuité de la stratégie vaccinale: surtout soulager la pression hospitalière et freiner autant que possible la transmission du virus ; autrement dit, une piste pour étendre la couverture vaccinale et supprimer l’un des derniers réservoirs de circulation du virus. Ce qui renvoie la balle dans le camp des politiques et des épidémiologistes. Quel poids les 5-11 ans ont-ils vraiment dans la circulation du virus et que pourrait apporter leur vaccination sur la dynamique de l’épidémie? Dans un contexte de fermetures multiples de classes et de retour de l’enseignement à distance, les autorités attendront-elles? Frank Vandenbroucke a déjà annoncé la livraison de 336 000 doses pédiatriques d’ici à la fin décembre et 400 000 autres doses pour janvier – 950 000 enfants de 5 à 11 ans sont susceptibles d’être vaccinés. Depuis plusieurs semaines, il répète tous azimuts qu’il s’agit d' »une question éthique qui n’est pas facile« . « Ce qu’on demande aux enfants, c’est de contribuer un peu à la protection du monde dans lequel ils vivent. La protection de leurs enseignants, de leurs parents, de leurs grands-parents. Mais c’est aussi leur monde. Et ça, on peut l’expliquer aux enfants. D’ailleurs, il y a pas mal d’enfants qui comprennent ça », en précisant que, si une telle campagne était lancée, « ce serait aux alentours du Nouvel An« .
Le chemin doit encore être balisé. Mais, du terrain, le cap ne semble pas faire de doutes. Dimitri Van der Linden, porte-parole de la task force pédiatrie, estime que « tous, nous devons pouvoir faire des efforts, y compris les enfants » mais leur vaccination n’est pas nécessairement le meilleur levier: « Il faut d’abord attraper le plus d’un million d’adultes non vaccinés et réussir le rappel de la troisième dose. On aurait un meilleur rapport bénéfices-risques. » Charlotte Martin, infectiologue et cheffe de clinique au CHU Saint-Pierre n’y voit pas d’incompatibilité. « On a changé de paradigme. Comme pour la troisième dose chez les 18-40 ans, on vise le bénéfice collectif. Car, dans l’état actuel de nos établissements, on ne peut pas se permettre une nouvelle vague hospitalière, qui serait catastrophique. »
Tous s’accordent sur un point: vacciner les plus jeunes se fera sur une base volontaire. Encore faut-il s’assurer de l’adhésion des parents, nombreux à s’interroger sur les gains individuels et collectifs à en tirer.
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