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E338, E450, E343… Pourquoi les additifs phosphatés ne sont pas sans danger

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Naturellement présents dans les aliments, les phosphates se déclinent aussi sous la forme d’additifs dans les produits transformés. Souvent ignorés, ils peuvent toutefois être dangereux pour la santé

A moins de bien y regarder, le consommateur ne peut déceler leur présence. Et c’est normal : qui prend le temps de repérer puis de vérifier ce que signifient les E338 à E341, E343, E450 à E452 – le « E » indique l’approbation de leur utilisation par l’Union européenne – repris dans la liste d’ingrédients d’un produit ? Ces additifs alimentaires partagent la caractéristique de contenir des phosphates, des composés chimiques inorganiques essentiels.

Le sel minéral qu’est le phosphore assure notamment la solidité des os et des dents. « Il est vital pour l’organisme, souligne Jean-Charles Preiser, professeur de nutrition à l’ULB. Il permet aussi aux membranes des cellules de remplir leur rôle, d’y générer l’énergie nécessaire… Bref, il a une multitude de fonctions. Pour les adultes en bonne santé, les apports journaliers recommandés (AJR) sont de l’ordre de sept cents à huit cents milligrammes » – soit environ 0,0001 % du poids du corps.

Consommation excessive d’additifs phosphatés

Certains aliments sont naturellement riches en phosphore. C’est le cas des œufs, viandes et volailles, fromages, poissons, fruits à coque… A cela s’ajoute la contribution des additifs phosphatés, souvent présents dans les produits de boulangerie industrielle, les fromages fondus, les charcuteries, les desserts glacés, les pizzas (voir tableau ci-dessous)… Pour les marques qui les utilisent, ils ont plusieurs avantages : ils agissent comme agent conservateur, empêchent l’oxydation, améliorent la texture des produits et retiennent l’eau qu’ils contiennent. « En résumé, les phosphates permettent d’en augmenter la durée d’exposition dans les rayons et d’en stabiliser les propriétés », poursuit Jean-Charles Preiser.

La suite de l’article après l’infographie

Dans nos contrées, la fréquence de carence en phosphates est très faible, contrairement à celle d’une consommation excessive, problématique dans certains cas. « Pour une population en bonne santé, le risque d’un excès de phosphates est modéré, puisque les reins élimineront le surplus, précise le docteur en médecine. Il est en revanche potentiellement plus dangereux pour les personnes souffrant d’une insuffisance rénale ou cardiaque. Quand les reins fonctionnent mal, l’accumulation de phosphates peut stimuler la destruction des os, ce qui nécessite d’en diminuer les apports, en parallèle à une augmentation des doses de calcium. Elle peut aussi entraîner l’accumulation d’athérome dans les coronaires (NDLR : des dépôts graisseux sur la paroi interne des artères). » Les cas d’insuffisance rénale ne sont pas anodins : ils concerneraient environ 10 % de la population, souligne l’Autorité européenne de sécurité des
aliments (EFSA).

Puisqu’il est précisément question d’une consommation excessive, le groupe scientifique de l’EFSA a cherché à définir, au-delà de l’apport journalier recommandé, une dose journalière admissible (DJA). Sur la base de plusieurs études, elle a fixé cette DJA à quarante milligrammes de phosphore par kilo de poids corporel, soit un apport maximal de 2,8 grammes par jour pour un adulte de septante kilos. « Cependant, cette DJA ne s’applique pas aux humains présentant une réduction modérée à sévère de la fonction rénale », précise d’emblée l’EFSA.

10%

de la population seraient concernés par une insuffisance rénale, d’autant plus problématique dans le cas d’une consommation excessive de phosphates.

Si la grande majorité des adultes ne dépassent pas la DJA de phosphates, le bilan s’avère plus contrasté chez les plus jeunes. « Le groupe scientifique a noté que les estimations d’exposition basées sur les données analytiques dépassaient la DJA proposée pour les nourrissons, les tout-petits et les enfants au niveau moyen », relève encore l’autorité européenne. Il en va de même chez environ 5 % des adolescents. Mais comme le phosphore est essentiel pour la croissance (d’où, par exemple, sa forte concentration dans les laits pour bébé), un apport supérieur à la DJA est généralement moins problématique pour ces catégories d’âge.

Gare aux compléments alimentaires

Comme le faisait déjà remarquer l’EFSA en 2019, il n’existe pas de seuil maximal autorisé pour les additifs phosphatés dans le cas des compléments alimentaires. En vertu du principe « quantum satis », ils peuvent en contenir autant que nécessaire afin d’obtenir l’effet désiré, à savoir la bonne assimilation de la substance ou des vitamines ciblées. Accumuler de tels compléments peut donc accentuer la probabilité d’une consommation excessive de phosphates.

A l’heure actuelle, une personne à risque ne peut donc pas estimer la quantité qu’elle ingère dans tel aliment

D’autant qu’il n’est pas obligatoire de déclarer la teneur totale en phosphore – qu’il soit naturellement présent ou ajouté en tant qu’additifs – des aliments sur les étiquettes. A l’heure actuelle, une personne à risque ne peut donc pas estimer la quantité qu’elle ingère dans tel aliment. Ce que regrette Jean-Charles Preiser : « Pour certains groupes de patients, ce serait important de le savoir, mais ce n’est pas considéré comme une priorité. Toute la communauté scientifique ou médicale n’est pas nécessairement au courant des conséquences d’un excès de phosphates. »

Comme les contraintes de la rentabilité n’épargnent pas le secteur des soins de santé, beaucoup d’institutions choisissent des aliments qu’elles peuvent conserver pendant plusieurs jours. Et donc des produits meilleur marché, ultratransformés, incluant souvent des additifs phosphatés. Les évincer de l’industrie alimentaire n’est pas au programme en Europe. « Parmi les options testées, aucune ne rencontre toutes les fonctions des phosphates, conclut Jean-Charles Preiser. Et le secteur n’est logiquement pas enclin à les remplacer par des substances plus naturelles, mais aussi plus onéreuses. »

Là où l’association française de consommateurs Que choisir les répertorie dans la catégorie des additifs « peu recommandables », l’application mobile Yuka les assimile, pour sa part, au niveau de risque le plus élevé. Une règle à retenir : moins il opte pour des produits ultratransformés, moins il s’expose à de tels additifs, dans le meilleur des cas superflus pour l’organisme.

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