Pourquoi les médecins sont contre l’enregistrement audio des consultations
Le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit) prépare une modernisation de la loi relative aux droits du patient. Ce dernier aurait notamment le droit de faire un enregistrement de l’entretien avec le professionnel de la santé.
Depuis 2002, les Belges jouissent de droits du patient inscrits dans la loi : droit à des prestations de qualité, libre choix du dispensateur de soins, accès à toutes les informations sur son état de santé, au consentement libre et éclairé, à un dossier tenu soigneusement et conservé en toute sécurité, à la protection de la vie privée et de l’intimité, et possibilité d’introduire une plainte si ces droits n’ont pas été suffisamment respectés.
Frank Vandenbroucke prépare une modernisation de cette loi. Qui n’est, selon lui, pas une révolution mais une évolution. « La qualité des soins ne dépend pas seulement de la qualité des actes médicaux, mais va bien au-delà. Par exemple, un patient qui sait qu’il est atteint d’une maladie incurable peut accorder plus d’importance au temps passé à la maison avec sa famille qu’à prolonger sa vie par des interventions thérapeutiques à l’hôpital. Il peut aussi arriver qu’un patient veuille encore réaliser certains objectifs personnels auxquels il préfère donner la priorité. C’est très personnel et individuel. Il est donc important que les prestataires de soins tiennent compte autant que possible des souhaits et des attentes de leurs patients, dans les limites de leur liberté thérapeutique », soulignait-il en mars dernier.
Droits du patient: planification préalable
Dans ce cadre, l’avant-projet de loi introduit la possibilité d’une planification préalable des soins, qui permettra par exemple à des patients souffrant d’une maladie chronique d’envisager leurs soins au long de leur vie. Une première décision a déjà été prise dans ce sens puisqu’un remboursement a été récemment décidé pour les médecins qui s’engagent dans cette planification.
Le ministre de la Santé conçoit la modernisation de la loi « dans l’intérêt du patient, avec le patient et par le patient ». Le patient est considéré comme une personne qui a ses préférences et ses objectifs de vie et de santé. Outre la planification, le texte permet au patient de déterminer la façon d’impliquer sa famille et ses proches dans les soins comme personne de confiance ou représentant. Les proches auront aussi le droit d’accéder au dossier médical après le décès d’un patient et la possibilité d’introduire une plainte. La nouvelle loi fera par ailleurs une part plus grande à l’information du patient, par exemple sur les qualifications et expériences professionnelles d’un prestataire de soin ou sur le coût d’un traitement.
Enregistrement audio de l’entretien
L’exposé des motifs précise également que le professionnel des soins de santé doit impliquer activement le patient dans la communication d’informations. Dans ce cadre, ce dernier a le droit d’enregistrer l’entretien médical, une disposition vue d’un mauvais oeil par l’ABSyM (Association belge des syndicats médicaux). « Il [le professionnel de la santé] invite le patient à poser des questions et fournit également au patient, à sa demande, les informations par écrit ou sous forme électronique. Bien que cela ne figure pas explicitement dans la loi, cela signifie aussi qu’un patient peut enregistrer l’entretien avec le professionnel des soins de santé afin de pouvoir réécouter ultérieurement les informations fournies », stipule le texte du ministre.
« Globalement, tout le corps médical est contre cette disposition d’enregistrement. Ce n’est plus du tout un contact médecin-patient, cela devient une sorte d’entrevue juridique. L’enregistrement rend le contact impossible. En pratique, il est impossible de voir tous les patients et de se trouver chaque fois confronté à un enregistrement déclaré ou non. Il n’est plus possible pour le médecin de soigner dans ces conditions-là », estime le Dr Gilbert Bejjani, président de l’ABSyM Bruxelles .
De manière plus large, il estime que l’avant-projet de loi ne responsabilise pas suffisamment le patient. « Il faudrait une certaine coresponsabilisation du patient, ne fût-ce que l’obligation qui devrait lui être fournie de s’assurer que l’information a été bien transmise », déclare-t-il. Il cite l’exemple d’un patient qui refuserait tout partage de données sur les réseaux et qui omettrait de signaler à son médecin une intervention préalable ou une allergie. Le médecin risque alors de devoir pratiquer une intervention chirurgicale plus complexe parce que le patient lui a dissimulé certains éléments.
Gilbert Bejjani revient également sur le principe du consentement éclairé du patient: celui-ci a en effet le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable. « A l’ère d’internet on pourrait accorder au médecin le bénéfice du consentement éclairé, en disant que si le patient a eu le temps nécessaire de la réflexion par exemple pour la poursuite d’une proposition thérapeutique opératoire ou autre, on pourrait considérer que le consentement est présumé », déclare-t-il.
Une encyclopédie entière
Gilbert Bejjani souligne également la nécessité de donner suffisamment de moyens aux médecins, d’autant que le nouvel avant-projet stipule également que le professionnel de santé doit fournir des informations par écrit s’il s’agit d’informations complexes et si cela s’avère pertinent. « Pour se protéger, les médecins vont finir par pondre une encyclopédie entière« , prévient-il. (Avec Belga)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici