Divorce : ni dramatiser, ni banaliser
Un divorce après plusieurs années de vie commune constitue l’un des événements les plus perturbants dans la vie d’un être humain. Et ce n’est pas parce que les séparations sont plus fréquentes de nos jours qu’elles font moins mal ou que le chagrin est moindre.
Depuis les années 70, le taux de divorces a augmenté de façon exponentielle et les mentalités ont elles aussi subi une profonde métamorphose ; divorcer n’est plus un scandale. Et nous ne partons plus nécessairement du principe qu’en se séparant, nous faisons le malheur de nos enfants. » Le tabou du divorce a en grande partie disparu, ce qui est une bonne chose « , approuve Kaat Schaubroeck, journaliste et auteur. » Mais nous devons veiller à ne pas tomber dans un nouveau tabou : celui du conflit et du chagrin. Au fil des ans, nous avons tendance à voir le phénomène du divorce à travers des lunettes un peu trop roses. Notre confiance illimitée dans la communication a généré l’image idéalisée de deux personnes assises à table qui règlent leur séparation de manière calme et rationnelle… et qui réussissent même à rester amis par après. Tant mieux pour eux, mais pour la plupart des ex-partenaires, la réalité s’avère quelque peu différente. J’ai peur de voir s’installer un nouveau ‘carcan’ : celui du divorce parfait. Avec la conséquence que les gens se sentent coupables et aient l’impression d’échouer s’ils ne réussissent pas à se séparer harmonieusement en maintenant la communication. »
Le problème est que les gens cherchent ou trouvent de l’aide trop tard et en arrivent quand même à une séparation conflictuelle. » Kaat Schaubroeck, journaliste et auteur
Glissement de terrain
Car c’est bien ce qu’il se passe en réalité lorsqu’une longue relation prend fin : on est complètement effondré. Même si cette issue était attendue depuis un certain temps, c’est une hécatombe : on perd son nid familier, son point d’ancrage. Il faut parfois se séparer de sa maison, généralement aussi de sa belle-famille et d’une partie du cercle d’amis, du quotidien avec ses enfants, tous les jours. Des sentiments de tristesse, de colère et de peur surgissent en plus du sentiment de solitude, de la souffrance. Eventuellement la culpabilité de faire souffrir l’autre.
» Dans toute séparation, il y a deux points de vue, selon Kaat Schaubroeck. Celui de la personne qui s’en va ou annonce la rupture, appelée le premier décideur, et celui de la personne qui est abandonnée. Même lorsqu’il est question de consentement mutuel, il y en a toujours un qui se sent davantage abandonné. Un divorce est perturbant pour les deux parties, mais quand vous êtes lâché, surtout si c’est inattendu, c’est comme si le ciel vous tombait sur la tête. Votre avenir, votre vie, votre image de vous-même volent en éclats. Si en plus, vous êtes abandonné pour une nouvelle flamme, vous pouvez avoir l’impression que la vie de votre ex se poursuit comme si de rien n’était, mais avec quelqu’un d’autre, alors que la vôtre s’arrête. Le premier décideur peut pour sa part se sentir de son côté si coupable qu’il fait beaucoup de concessions dans un premier temps. Jusqu’à ce qu’il se rende compte après un certain temps qu’il ne voit plus ses enfants qu’un jour ou deux par semaine et qu’il a quitté sa maison sans rien emporter ni rien exiger. C’est à ce moment que débute souvent une procédure judiciaire pour retrouver l’un ou l’autre droit. Avec toutes les conséquences qui s’ensuivent. »
Dialogue
Plus la rupture est agressive et brusque, plus il sera difficile par la suite de renouer un dialogue. » Les conjoints devront tout de même trouver une base de dialogue et convenir de certaines choses, surtout s’il y a des enfants. Sans pour autant s’attendre à ce qu’ils puissent régler leur divorce sans la moindre tension. Si c’est possible, tant mieux, mais une séparation génère souvent des conflits. Ce n’est pas catastrophique, même si les enfants en sont témoins. Ce qu’il faut éviter en revanche, c’est que ceux-ci ne soient entrainés dans un conflit violent, qu’ils ne soient ballotés entre les deux parents avec l’impression qu’ils doivent choisir. Il est bon de donner aux enfants l’autorisation explicite de voir leur papa, même si papa et maman ‘ne s’entendent plus’. »
Une séparation » passable »
Dans une situation idéale, après une séparation, les parents trouvent un moyen de rester parents ensemble et de se concerter sur les principaux aspects de l’éducation. Malheureusement, dans la pratique, beaucoup de parents n’y arrivent pas ; leur imposer une norme à laquelle ils ne peuvent pas correspondre ne peut qu’engendrer des sentiments de culpabilité. Cela mine en outre leur capacité à éduquer. Kaat Schaubroeck plaide dès lors pour une » séparation passable » : » Il s’agit d’une séparation qui laisse place au chagrin et au conflit, mais où l’on cherche aussi une manière d’éviter l’escalade. Le problème est que les gens cherchent ou trouvent de l’aide trop tard et en arrivent quand même à une séparation conflictuelle. Il devient alors presque impossible d’entamer un dialogue ou même de se reconnaître mutuellement dans le rôle de parent. Une séparation ‘passable’ est à la portée de chaque individu, mais c’est aussi une question de société : comment faire pour que des partenaires trouvent de l’aide en temps opportun après la séparation ? Peut-être cela vaudrait-il la peine de réfléchir à une Maison du divorce, une sorte de centre multidisciplinaire ou maison d’accueil où les personnes en instance de divorce peuvent s’adresser et poser toutes leurs questions. »
L’importance de la reconnaissance
Reconnaissance : voile le mot clé dans ce type de situation. La philosophe et experte en questions familiales Corrie Haverkort considère elle aussi la reconnaissance comme un élément crucial. » La plupart des conflits lors d’un divorce et dans les familles recomposées ont trait à ce besoin de reconnaissance inassouvi. Les entretiens avec des parents séparés et des enfants, mais aussi avec des beaux-parents et des beaux-enfants, montrent que des sentiments de colère ou de tristesse sont souvent liés au fait de ne pas être vus ou entendus, de ne pas être traité comme quelqu’un de concerné, qui compte. Reconnaître l’autre et ses émotions peut empêcher beaucoup de conflits dans un contexte de séparation. »
Cette reconnaissance peut par ailleurs prendre différentes formes. Reconnaitre votre ex en tant que parent et lui permettre de mettre d’autres priorités dans l’éducation des enfants… Reconnaître qu’il souffre de la séparation, qu’il est en colère, perturbé ou triste et que vous vous avez votre part dans son mal-être… Reconnaître votre propre tristesse ou peur et ne pas chercher à la contourner. » Reconnaissez aussi ce que les enfants traversent, insiste Kaat Schaubroeck. Écoutez ce qu’ils ont à dire et acceptez qu’ils ont un deuil à faire et que certaines choses en rapport avec la séparation ne sont pas faciles à vivre pour eux. La plupart des enfants vont bien deux ans après la séparation, mais eux aussi ont besoin de temps pour intégrer ce qui leur arrive. Donnez-leur la possibilité d’en parler. Nous devons faire attention aux clichés du style ‘les enfants sont heureux quand maman et papa sont heureux’. Ce n’est malheureusement pas aussi simple. »
Enfin, il est bon aussi de reconnaître la relation rompue. Quand deux personnes ont formé un couple pendant un certain temps et ont représenté beaucoup l’un pour l’autre, leur relation constitue un important chapitre de leur vie. Estimez donc cette période à sa juste valeur. Et même si cela ne réussit pas du premier coup, mais seulement après la fin de la tempête de la séparation : conservez et chérissez ce qui a été bon.
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