Une horloge biologique pour déterminer son âge réel? © Getty Images/Westend61

Déterminer son âge biologique grâce à une «horloge»? Ce sera bientôt un banal examen médical

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Savoir si le corps ou des organes vieillissent trop vite pourrait, à terme, aider à prendre des mesures correctrices. Une prévention 2.0.

On a l’âge de ses artères, dit le dicton. Encore faut-il pouvoir leur demander… C’est ce que proposent de plus en plus de start-ups américaines (et quelques-unes en Europe) qui, moyennant un paiement en ligne de 200 à 300 euros, envoient un kit pour récolter quelques gouttes de sang qui permettront de connaître son âge biologique – souvent différent de l’âge chronologique, célébré à chaque anniversaire.

Évidemment, le temps est l’un des plus injustes bourreaux. Mutique, qui plus est. Il épargne les uns, s’acharne sur les autres. Vieillirez-vous plus vite ou moins vite que les autres? Pour le savoir, et contrecarrer le risque de développer les maladies du vieillissement, des laboratoires académiques développent des «horloges biologiques», des marqueurs de l’âge réel de l’organisme.

Or l’âge biologique reste plus difficile à déterminer, par ailleurs influencé par l’environnement, le mode de vie et la génétique. Pour l’heure, il n’existe aucune mesure universellement reconnue.

«L’âge télomérique»

A l’instar des petits capuchons plastiques qui évitent aux lacets de s’effilocher, les télomères, qui coiffent l’extrémité des chromosomes, protègent les gènes contre les dégradations. Au fil des divisions cellulaires, les télomères raccourcissent. Ils sont donc rognés au court du temps. Une érosion qui commence dès la naissance. Lorsqu’ils deviennent trop courts, la cellule arrête de se diviser: elle entre en sénescence et arrête de fonctionner. Le couperet tombe au bout de 40 à 50 divisions.

Mesurer la longueur moyenne des télomères au niveau des cellules sanguines permet ainsi d’accéder à l’âge de celles-ci. Observer leur taille peut ainsi indiquer si une personne est biologiquement plus jeune ou plus vieille que des gens du même âge.

En réalité, leur longueur ne permet pas à elle seule de prédire la durée de vie. En revanche, le taux de variation de leur longueur, c’est-à-dire une indication du nombre de divisions cellulaires déjà effectuées, le permet. Mais l’usure télomèrique n’est qu’un des douze signes du vieillissement. «Il y a un phénomène de vieillissement cellulaire, mais il ne faut pas considérer que cela s’étend à tout l’organisme, explique Jean-Marc Lemaitre, directeur de recherche à l’Inserm et codirecteur de l’Institut de médecine régénérative et biothérapies (Montpellier). La vie ne tient pas à un gène et, a fortiori, à un mécanisme.»

«L’âge protéique»

Plus prometteurs, des «indicateurs espions». Les scientifiques s’intéressent particulièrement aux protéines secrétées par les cellules des différents tissus contenues dans le sang, ou encore à certains facteurs produits par les cellules sénescentes, dont le taux augmente avec l’âge. Tout un ensemble de «mouchards» protéiques refléteraient l’âge biologique d’un individu et à quelle vitesse il vieillit, soit l’«âge protéique». Une équipe de l’université de Stanford, aux Etats-Unis, menée par Tony Wyss-Coray, professeur de neurologie, a ainsi passé au crible le sang de plus de 4.263 individus de 18 à 95 ans, en bonne santé. En suivant l’évolution de 3.000 protéines circulant dans le sang, les chercheurs ont observé que presque la moitié d’entre elles variait au cours de la vie. Leurs conclusions, publiées dans Nature Medecine: le vieillissement n’est pas linéaire. Au contraire, il s’accélère autour de trois âges pivot, à 34, 60 et 78 ans. «Cette accélération est liée à des désordres cellulaires et tissulaires favorables à l’installation de maladies chroniques», relève Jean-Marc Lemaitre, auteur de Décider de son âge (Allary Editions).

«Si on combine tous ces outils, on peut finaliser une équation qui tienne compte de toutes ces variables et se révèle donc encore plus fiable dans le calcul de l’âge biologique»

Jean-Marc Lemaitre

En décembre 2023, la même équipe a démontré que tous les organes ne déclinent pas à la même vitesse. En réalité, ils s’usent selon une horloge qui leur est spécifique, sous l’influence de l’environnement et des modes de vie. Ils ne se dégradent pas non plus selon un ordre chronologique établi pour tous les individus.

A l’aide de l’intelligence artificielle, cette recherche inédite a scruté le vieillissement de onze organes chez 5.676 individus âgés de 20 à 90 ans, issus de cinq cohortes différentes, en mesurant le taux de 4.979 protéines du plasma. «Nos organes relâchent de nombreuses protéines qui se retrouvent dans le plasma. En les quantifiant, il est possible de déterminer leur nature et donc de savoir d’où elles viennent. Ce qui en fait de bons indicateurs de l’activité de nos organes», explique le biologiste. Grâce à l’analyse de ces quelques 5.000 protéines, les chercheurs ont identifié que 900 d’entre elles étaient spécifiques d’un organe, parmi lesquels le cœur, le rein, le foie, le cerveau, le muscle, le pancréas, l’intestin…

Les résultats, relatés dans Nature Communication, montrent qu’au-delà de 50 ans, 20% de la population avait un organe qui vieillissait nettement plus vite que la moyenne, et 1,7% présentait un vieillissement accéléré dans plusieurs organes. Ces usures rapides étaient systématiquement associées à un risque de mortalité 20% à 50% plus élevé, en fonction de l’organe touché, avec une apparition augmentée des maladies liées au vieillissement des organes.

«L’âge épigénétique»

La première «horloge du vieillissement», on la doit à l’équipe de Steve Horvath, une sommité de l’université de Californie (Los Angeles), qui a rejoint la biotech Altos Labs, créée en 2022 et mobilisée dans le rajeunissement des cellules. En 2013, le bio-informaticien a mis au point une horloge permettant de déterminer l’âge d’un individu avec son seul ADN. La méthode mesure en effet des modifications de la méthylation de l’ADN – régulant l’expression des gènes -, qui peuvent être interprétées comme un marqueur du vieillissement.

Selon le même raisonnement que pour les protéines circulantes, le test portait sur les modifications épigénétiques de 353 sites à travers le génome, dont l’état de méthylation est corrélé avec l’âge. Initialement réalisé à partir d’un prélèvement sanguin, ce test a récemment été amélioré, en portant le nombre de sites du génome analysés à 391, à partir d’un prélèvement buccal, d’un échantillon de salive ou d’un prélèvement sanguin. Il permet d’évaluer l’âge épigénétique et de distinguer différents profils de vieillissement, en particulier ceux qui seraient considérés comme «précoces» ou «accélérés». En outre, puisque le profil de méthylation peut être modifié par la présence de telle ou telle pathologie, l’«horloge épigénétique» permettrait également de suivre l’apparition et le développement de telle ou telle maladie, ainsi que, par exemple, la réponse de l’organisme à tel ou tel type de traitement.

«Si on combine tous ces outils, on peut finaliser une équation qui tienne compte de toutes ces variables et se révèle donc encore plus fiable dans le calcul de l’âge biologique», s’enthousiasme Jean-Marc Lemaitre. Mieux : elle pourrait permettre de prédire l’évolution d’un individu et ainsi de s’orienter vers une stratégie thérapeutique plus adaptée.

Pourrons-nous, à l’avenir, nous présenter au laboratoire d’analyse? Une partie de la communauté estiment, en tout cas, que les outils de mesure sont prêts.

Comment nous vieillissons

Les scientifiques ne savent toujours pas pourquoi nous vieillissons ni à quel âge, précisément, le vieillissement débute. Par contre, ils comprennent de mieux en mieux comment nous vieillissons. Notre génome devient instable et les mutations s’accumulent. Les télomères, censés protéger les extrémités de nos chromosomes, se ratatinent. Nos cellules n’arrivent plus à s’auto-nettoyer. Leurs petites usines énergétiques internes s’encrassent. Elles se mettent à fabriquer des protéines difformes et oxydées. Dans notre microbiote, les meilleures bactéries se font la malle. Notre système immunitaire surchauffe. La liste ne s’arrête pas là. A ce jour, les chercheurs ont identifié douze marqueurs de vieillissement. Douze processus qui se détraquent. L’un en particulier entraîne-t-il tous les autres? Mystère. Ces marqueurs apparaissent néanmoins interconnectés. Tellement imbriqués que si on agit sur l’un, les autres s’améliorent.

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