Un médecin ou une infirmière à domicile encourt une amende jusqu’à 5.000 euros s’il ne délivre pas d’attestation de soins au patient. © BELGA

Des risques de fraudes accrus avec le tiers payant électronique?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Imaginé pour réduire la facture en soins de santé des patients et favoriser leur accès au soin, le tiers payant atteint son but. Non sans risques de dérives…

Le principe est excellent: depuis le 1er janvier 2022, tous les prestataires de soins –médecins, dentistes, kinésithérapeutes…– peuvent appliquer, s’ils le souhaitent, le système du tiers payant. A l’issue de la consultation, ils ne font payer à leurs patients que le ticket modérateur (la part à leur charge), éventuellement augmentée de suppléments d’honoraires. Ils ne doivent donc plus avancer la totalité de la somme due. Le solde, assuré par les mutuelles, est automatiquement pris en charge par celles-ci. La facture en soins de santé s’en trouve considérablement allégée pour les patients. Et c’est bien le but: inciter la population à se faire accompagner et soigner sans craindre de ne pouvoir en assurer le coût. L’application du tiers payant impose en outre à certains prestataires de respecter des tarifs précis, ce qui constitue un autre bénéfice pour les malades.

Dans les hôpitaux, le principe du tiers payant s’applique, évidemment, et depuis longtemps. Dans les maisons médicales, le client ne paie rien du tout s’il y est inscrit.

En chiffres, voici ce que ça représente: une personne qui se rend chez son médecin paie, pour une consultation facturée 26,50 euros, six euros si elle ne dispose pas d’un dossier médical global (DMG) et quatre euros si elle en possède un. Les quelque deux millions de patients qui bénéficient du statut BIM (bénéficiaires de l’intervention majorée), paient, eux, un euro s’ils ont un DMG et 1,50 euro s’ils n’en ont pas. Pour les BIM, ce système est obligatoire et s’impose aux médecins généralistes.

8millions d’euros auraient été, en 2023, frauduleusement perçus par les prestataires de soins.

Un meilleur accès aux soins

Selon une enquête de Solidaris menée en 2022, 83% des généralistes appliquaient alors la règle du tiers payant, pourtant facultative. «Il s’agit pour eux d’une vraie facilité, souligne Jean-Marc Laasman, directeur du service d’études de la mutualité. Ils n’ont plus besoin de se préoccuper de cash et ils sont remboursés très vite sur leur compte par les mutuelles.» Dans la foulée, le nombre de personnes qui ne consultaient jamais de médecin a diminué. Selon une autre étude réalisée par la mutualité socialiste en 2012, aux prémices du système du tiers payant pour les personnes en grande précarité, le nombre moyen de consultations chez le généraliste par affilié était passé de 3,2 avant octroi à 5,3 après. Jusqu’alors, les populations concernées sous-consommaient le recours à la médecine générale, d’environ 25%.

«Le tiers payant constitue une avancée majeure dans l’accessibilité et la simplification administrative, tant pour les patients et les prestataires de soins que pour le suivi budgétaire des dépenses de l’assurance obligatoire, confirme la porte-parole de Partenamut. Nous constatons d’ailleurs une forte augmentation du nombre de patients payant uniquement le ticket modérateur, ce qui nous donne à penser que l’accès aux soins s’est amélioré. Pour tirer de véritables enseignements de cette mesure, il faudra toutefois disposer de plus de temps et de recul.»

Une obligation légale souvent oubliée

Le système du tiers payant automatique n’en présente pas moins des risques, renforcés par la digitalisation de la communication entre les prestataires de soins et les mutuelles. Aujourd’hui, à l’issue d’une consultation, les médecins envoient l’attestation de soins directement sous forme numérique aux mutuelles. Auparavant, elle était fournie au format papier aux malades, qui devaient eux-mêmes l’adresser à leur mutuelle pour être remboursés.

Théoriquement, et malgré cette communication numérique, les médecins sont toujours tenus de fournir un document justificatif au patient. De la sorte, celui-ci peut vérifier les soins reçus et le montant dû, par lui et par sa mutuelle.

Mais tous les médecins ou dentistes ne le fournissent pas. «Il s’agit pourtant d’une obligation légale, rappelle-t-on chez testachats. Ce document est non seulement nécessaire pour se faire rembourser par une assurance complémentaire, si le patient en a une, mais il permet aussi de vérifier qu’aucun supplément n’a été facturé sans que le patient le sache.» Or, dans la pratique et selon une enquête effectuée par l’organisation de défense des consommateurs, quelque 23% des patients sortent du cabinet médical sans aucun document. Ce qui pourrait déboucher, pour les médecins distraits ou peu scrupuleux, sur une amende de 5.000 euros maximum.

Même lorsqu’elle est délivrée, l’attestation et ses codes de prestation restent impossibles à déchiffrer et vérifier.

D’une manière générale, la généralisation du tiers payant, son apparente simplicité et la digitalisation de la communication ne semblent pas forcément aller de pair, pour le patient, avec la transparence sur ces opérations financières. Car quand bien même un document justificatif lui est remis, les codes de prestation qui y sont inscrits, par exemple par les dentistes, sont impossibles à vérifier: il s’agit de lignes de chiffres auxquels Monsieur ou Madame Tout-le-Monde ne peut rien comprendre. Le patient n’est donc pas en mesure de vérifier si ce qui est facturé à la mutuelle correspond bien à la prestation réalisée. Les factures d’hôpital ne sont pas limpides non plus.

«Il est aisé pour un prestataire de soins de pousser sur une touche et de déclarer plus de prestations que celles réalisées.»

La lecture obligatoire de la carte d’identité, lors de la visite à domicile d’infirmiers, au début d’une consultation ou à l’arrivée à l’hôpital, permet au moins de confirmer que le justificatif envoyé numériquement à la mutuelle correspond à une visite. «Le contrôle de la réalité des prestations effectuées se pose néanmoins, estime un expert du secteur des soins de santé. Mais c’est quasi impossible à mettre en place. Il est très facile pour un prestataire de soins de pousser sur une touche de son clavier et de déclarer plus de prestations que celles effectivement réalisées.»

Surproduction d’actes

Y aurait-il dès lors des fraudes? Certains médecins, dentistes ou infirmiers factureraient-ils à la mutuelle des soins non prodigués à leurs patients? Toutes les mutualités en conviennent. «Oui, ce système représente un risque, confirme Jean-Marc Laasman, non pas du côté d’une surconsommation de soins du côté des patients mais d’une surproduction d’actes non prestés. Il y a eu des cas de fraude.» Du côté des Mutualités chrétiennes (MC), on estime qu’il n’y a pas de signe clair d’un changement de comportement suspect dans la facturation depuis le passage au tiers payant, par exemple l’introduction de montants plus élevés à rembourser au prestataire de soins. Mais, y ajoute-t-on, il existe malgré tout, dans les statistiques, «des cas extrêmes, difficiles à expliquer».

Comme celui de cette infirmière renseignant aux mutuelles davantage de prestations que possible dans une seule journée, et ne s’arrêtant de travailler ni durant les week-ends ni durant les vacances. Du moins selon les déclarations faites aux mutuelles. Démasquée, elle a été sanctionnée par un mois de suspension. «Ce n’est pas dissuasif, estime un expert en soins de santé. Il y a une dérive parce qu’il est facile de se faire rembourser sans se faire contrôler.»

Quelle serait la hauteur de ces fraudes? Autour de 8 millions d’euros en 2023, selon le service d’évaluation de contrôle et d’évaluation de l’Inami, l’Institut national d’assurance maladie invalidité. Chez testachats, on ne dispose pas de données sur l’ampleur du problème, mais quelques plaintes lui sont tout de même parvenues. «La toute grande majorité des prestataires respectent les règles et appliquent le système correctement, assure-t-on dans les rangs des Mutualités neutres. Des abus existent, mais ils restent fortement minoritaires. Ces fraudes étaient d’ailleurs déjà possibles avec la facturation papier et nous ne sommes pas convaincus que l’électronique ait facilité ces abus. Nous n’avons pas observé d’explosion des anomalies depuis l’extension du tiers payant électronique.»

Les mutualités assurent être à l’affût de toute augmentation anormale des prestations dans l’un ou l’autre secteur. Des contrôles sont aussitôt opérés en cas de suspicion. Les abus sont signalés à l’Inami.

Aujourd’hui, la lecture de la carte d’identité des patients est obligatoire dans le secteur des soins infirmiers et se généralise dans les hôpitaux. Dans les différentes commissions sectorielles, il est question de l’étendre peu à peu aux médecins, dentistes et kinésithérapeutes. Ce n’est pas encore une garantie absolue, mais c’est un bon début. «Personne ne remet en question ce principe, il faut juste trouver les bonnes modalités d’application car il existe diverses formes de lecture de carte d’identité, des enjeux de sécurité, de récupération d’informations…», précisent les Mutualités libres.

Le patient peut aussi consulter les prestations médicales dont il a fait l’objet sur l’application de sa mutuelle. Il y trouvera la liste des soins reçus par prestataire, ainsi que les remboursements liés. De cette manière, il lui est possible de contrôler si ce qui est renseigné correspond à la réalité.

 

 

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