Les oeufs bio sont tout particulièrement contaminés par des polluants qui ne se retrouvent pas forcément dans la filière non bio. © imago stock&people

«Des résultats gênants»: pourquoi les consommateurs de produits bio présentent plus de toxines que les autres

L’essentiel

• Une étude flamande révèle que les jeunes consommant des produits bio plus de 7,5 fois par semaine présentent des concentrations élevées de polluants dans le sang et l’urine.
• Les produits bio concernés sont les œufs, le lait et les graines, tandis que les fruits, légumes et pommes de terre ne présentent pas de différence significative.
• Les chercheurs émettent l’hypothèse que la contamination des sols et les importations de produits bio avec une législation plus laxiste pourraient expliquer ces résultats.
• L’AFSCA se veut rassurante en affirmant que les risques pour la santé publique sont limités, mais le professeur Nicolas Van Larebeke estime que les concentrations repérées ne sont pas sans danger et s’accumulent dans le sang.

Etonnamment, les jeunes qui consomment des produits bio présentent des concentrations de polluants plus élevées que ceux qui n’en mangent pas, selon une étude flamande à paraître. Ce qui ne signifie pas forcément qu’il faille s’alarmer. Explications.

Ainsi vont les études scientifiques: les résultats attendus sont parfois différents de ceux obtenus. Ainsi Nicolas Van Larebeke, cancérologue et professeur à l’UGent, était convaincu que l’analyse des taux de 22 polluants dans le sang et l’urine de centaines de Flamands, âgés de 15 à 16 ans et consommant beaucoup de produits bio, démontrerait une faible présence de toxines, comparé à ceux qui n’en mangent pas. Or les conclusions de cette étude prouvent exactement l’inverse : les jeunes consommant des produits bio plus de 7,5 fois par semaine «étaient plus susceptibles de présenter des concentrations élevées de polluants», affirme cette étude qui vient d’être envoyée au gouvernement flamand et à l’AFSCA, et qui sera officiellement publiée dans deux mois.

Plus précisément, la présence de polluants s’est révélée plus importante pour 18 des 22 contaminants étudiés. Pour cinq d’entre eux, la différence était même statistiquement significative, atteignant jusqu’à +46%.

En examinant ces résultats à la loupe, les chercheurs ont découvert que tous les produits bio ne sont pas concernés. Des conclusions plus contrastées mais malgré tout contestées par une partie de la communauté scientifique, qui pointe une méthode de recherche perfectible.

Des résultats inquiétants pour les œufs, le lait et les graines

Pour les fruits, légumes et pommes de terre, «aucune différence significative n’a été observée» entre le bio et le non-bio. Ce n’est pas le cas des œufs, où la filière bio pâtit de taux élevés de glyphosate, PCB118 et 2,4-D, ainsi que de cadmium, dans une moindre mesure. Idem pour les produits laitiers, avec une exposition plus élevée au PCB153 et au PFNA (acide perfluorononanoïque). Pour les noix et les graines, six polluants ont été retrouvés en quantités significatives dans le bio, dont à nouveau le PCB153. Globalement, la présence notable de PFAS et de métaux lourds pose également question.

«Nous sommes très gênés par ce résultat», se désole Nicolas Van Larebeke, qui défend le bio depuis des années. «J’en ai parlé à Lieve Herman, présidente du Comité scientifique de l’AFSCA, qui m’a répondu qu’elle n’était pas étonnée de ces conclusions. C’est d’ailleurs sur ses conseils que j’ai affiné l’enquête.»

Le chercheur a ainsi établi quelques hypothèses quant aux causes sous-jacentes de cette présence élevée de toxines dans les produits bio concernés. Pour le lait et les œufs, le problème résiderait dans la contamination des sols où les vaches et les poules s’alimentent en herbe. Signe, sans doute, d’une forte présence en Flandre de polluants comme les PFAS. «Mais ça dépend fortement de situations locales, la pollution n’est pas élevée partout, souligne-t-il. La présence d’industries dans le nord des provinces d’Anvers et de Limbourg peut par exemple avoir un impact important sur les taux de cadmium». Malheureusement, son étude ne révèle incapable d’en dire plus sur l’impact de ces spécificités locales, qui pourraient être majeures.

Concernant les noix et les graines, Nicolas Van Larebeke suppose que ses résultats reflètent la consommation de produits importés, où la législation sur le bio serait plus laxiste.

Des données lacunaires?

Ces conclusions ont suscité un certain scepticisme, par exemple auprès de cinq scientifiques ayant publié un article dans De Standaard. Ils estiment par exemple que les jeunes interrogés auraient pu mal répondre aux questions posées par les auteurs de l’étude. Faire de telles comparaisons entre bio et non-bio serait également un exercice périlleux avec les tests réalisés ici. Dans Knack, le médecin Staf Henderickx critique également la barre à atteindre pour être considéré comme un «gros mangeur de bio», fixée «arbitrairement» à 7,5 fois par semaine.

«Je voudrais toutefois être clair: notre étude ne permet pas de dire que les produits bio contiennent fondamentalement plus de polluants», précise le professeur de l’UGent ; le non-bio pouvant lui aussi contenir des concentrations importantes de toxines. Les analyses de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) montrent d’ailleurs que 83% des produits bio qu’elle a examinés ne contenaient aucune trace de pesticides, contre 56% pour le conventionnel. «Nos recherches se basent sur des échantillons de sang et d’urine, pas d’aliments. C’est très complexe et il faudrait que les instances officielles enquêtent pour que le public sache quels produits sont vraiment problématiques».

Nicolas Van Larebeke critique ainsi le choix de l’AFSCA de ne pas différencier les produits bio et non bio dans ses analyses. «Nous ne faisons effectivement pas de distinction parce qu’elles sont réalisées sur tous les aliments de manière indifférenciée, réagit l’Agence de sécurité alimentaire. Mais nos résultats s’avèrent globalement bons et la Belgique a un niveau de sécurité alimentaire très élevé.»

98% des 64.648 échantillonnages alimentaires réalisés en 2023 ont été jugés conformes par l’AFSCA (dont 99,6% pour les dioxines et les PCB et 99,4% pour les métaux lourds). Des mesures ont été prises pour les autres (retrait du marché, rappel, etc.). Des recherches sont également menées pour découvrir les sources des contaminants repérés, notamment dans les zones réputées plus à risque, et agir en conséquence, «puisque le but est toujours de protéger la santé du consommateur», assure l’agence. «Pour les importations, même si le risque zéro n’existe pas, tout produit doit respecter nos critères et des contrôles sont menés régulièrement».

Des polluants qui s’accumulent, même à petites doses

L’AFSCA se veut rassurante, en affirmant que «les risques pour la santé publique sont limités». Mais Nicolas Van Larebeke n’est qu’à moitié convaincu. «Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que les concentrations repérées sont sans danger, réplique-t-il. L’AFSCA se base sur des normes qui ne garantissent pas une absence d’effet. Elles reflètent un consensus entre des considérations scientifiques et pratiques, et ont été abaissées au cours du temps, comme pour les PFAS. Or il n’existe pas de dose non risquée

Le Gantois fait une comparaison avec la pollution de l’air. Plus les concentrations de particules fines diminuent, mieux c’est. De même, il faudrait continuer à baisser le taux de ces polluants, surtout que ceux-ci s’accumulent dans le sang. «Il faut plusieurs années pour se débarrasser de certains d’entre eux, dans l’hypothèse où de nouveaux ne sont pas ingérés», ajoute-t-il. Pour l’oncologue, l’enjeu est considérable, puisqu’il explique en partie l’augmentation du nombre de cancers par la présence de ces toxines dans l’alimentation.

Face à l’ampleur du problème, Nicolas Van Lambeke avoue consommer moins de produits bio qu’avant, notamment les œufs. «Mais je n’ai pas encore établi de stratégie cohérente pour mon alimentation. Je suis comme n’importe quel consommateur: vu le manque d’informations disponibles, je reste dans le flou

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