Décloisonner santé animale, humaine et écosystèmes pour éviter les nouvelles maladies infectieuses
Comment prévenir et limiter les nouvelles maladies infectieuses? La pandémie a remis sous les projecteurs le concept «One Health/Une seule santé». Bruxelles accueille, ce 15 juin, une conférence sur cette approche sanitaire intégrée. Avec, en invité d’honneur, l’écrivain Erik Orsenna, grand voyageur aux pays du vivant.
La propagation actuelle de la variole du singe sur le territoire européen confirme une tendance mise en évidence par la pandémie de Covid-19: la fréquence et l’ampleur des épidémies de zoonoses, ces maladies infectieuses qui se transmettent des animaux aux hommes, ne cesse d’augmenter. On estime que 60% des maladies infectieuses et 75% des maladies émergentes répertoriées chez l’homme sont d’origine animale. Trois des cinq nouvelles maladies humaines qui apparaissent chaque année trouvent leur source dans le monde animal. Certaines d’entre elles (Sras, sida, Ebola, grippe aviaire…) rôdent toujours. Parfois inoffensif chez leur hôte, l’agent pathogène peut se révéler mortel chez l’humain.
La Terre est un vaisseau spatial dont l’équipage est interdépendant.
Les circonstances exactes de l’apparition du Covid-19 à Wuhan, fin 2019, demeurent mystérieuses. La faute au pangolin? Lui-même infecté par des chauves-souris? Une certitude néanmoins depuis le début de la crise sanitaire: l’homme subit de plus en plus les conséquences de ses atteintes à la biosphère. La déforestation contraint des chauves-souris à se rapprocher de zones habitées, l’expansion agricole expose les ouvriers aux réservoirs naturels de pathogènes, le réchauffement climatique permet à un moustique de conquérir de nouvelles aires. De même, le commerce d’animaux sauvages et l’élevage intensif en périphérie urbaine augmentent les risques de contamination.
One Health/Une seule santé à Bruxelles
L’ impact sanitaire et économique du Covid-19 incite à se projeter dans l’après-crise. La nécessité se fait sentir d’identifier en amont les risques de nouvelles maladies infectieuses, de les prévenir et de les limiter. L’ éclosion du coronavirus a remis sous les projecteurs le concept «One Health/Une seule santé», qui met l’accent sur l’interdépendance entre santé, alimentation, agriculture, biodiversité et changement climatique. Cette approche intégrée incite à prendre en compte tous les facteurs d’émergence des nouvelles maladies.
Les promoteurs du concept, vétérinaires, zoologistes, virologues, infectiologues, épidémiologistes, spécialistes de l’environnement et responsables de la santé publique, appellent à repenser la gouvernance mondiale de la santé pour y inclure une vision multisectorielle. Ils prônent le développement de collaborations entre acteurs de la santé et la constitution de réseaux régionaux de prévention et de détection dans les zones à risque. Un immense défi. Car cette stratégie reste «culturellement peu partagée, actuellement mal structurée, pas suffisamment opérationnelle et peu lisible», constate, en France, le groupe d’experts du Conseil scientifique Covid-19, dans son rapport du 8 février dernier.
Le concept fait-il tout de même son chemin? Le 15 juin, Bruxelles accueillera la conférence «Une seule santé» (lire l’encadré). Une première table ronde, animée par Le Vif, aura pour thème la corrélation entre santé humaine, santé animale et respect des écosystèmes. Y participeront Monique Eloit, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé animale, Véronique Trillet-Lenoir, cancérologue, eurodéputée et représentante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et Marc Peeters, expert en biodiversité à l’Institut royal des sciences naturelles, à Bruxelles. Le second échange questionnera les efforts européens visant à relever le défi d’une meilleure harmonie du vivant. Animé par Knack, il réunira notamment le biologiste de l’ULB Eric Muraille, Laetitia Lempereur, du SPF Santé publique, et Stefan De Keersmaecker, porte-parole Santé à la Commission européenne.
La chauve-souris, championne de l’immunologie
Invité d’honneur de la conférence: l’économiste et écrivain Erik Orsenna, en tant qu’ambassadeur pour l’Institut Pasteur et auteur d’essais sur les moustiques, les cochons et les chauves-souris. «L’ âge venant, je réalise que j’ai passé ma vie à me passionner pour les interactions sous toutes leurs formes, confie-t-il. Le commerce, en tant qu’économiste, l’amour, comme romancier, et la guerre, étant actuellement professeur de géopolitique des fleuves à l’Ecole de guerre de Paris. Au printemps 2020, enfermé chez moi pour cause de confinement, j’ai étudié l’immunologie et tenté de comprendre pourquoi les chauves-souris, décrites comme des réservoirs naturels de nombreuses maladies potentiellement mortelles pour l’homme, résistent aux infections. J’ai contacté les chercheurs du laboratoire de l’Institut Pasteur en Guyane et pris des cours sur le sujet pendant un mois.»
L’ auteur, qui fut la plume de François Mitterrand (1983-1984) et qui a décroché, en 1988, le prix Goncourt pour L’Exposition coloniale (Seuil), a tiré de ses recherches sur les chauves-souris un conte pour enfants, Marcel le petit rhinolophe, publié en septembre dernier (Mnhn éditions). Le petit rhinolophe est une chauve-souris très timide, au museau en forme de fer à cheval, qui s’enveloppe dans ses ailes au repos et en hibernation. Le livre fait écho à l’actualité sanitaire: les chauves-souris ont été accusées d’être à l’origine de la transmission du coronavirus à l’homme. «Ces mammifères volants sont essentiels à notre écosystème, prévient l’écrivain. Face aux pandémies qui s’accumuleront, nous pourrions être tentés de les éliminer. Je pense qu’il serait plus utile de comprendre le fonctionnement du système immunitaire unique de ces animaux, qui leur permet de ne pas être affectés par les virus qu’ils abritent.»
Nous nous focalisions sur les soins, alors qu’il faudrait mettre l’accent sur la prévention.
L’unicité du vivant
Orsenna insiste sur l’unicité du vivant, hommes, animaux, virus. «La Chine prise au piège de sa stratégie « zéro Covid » illustre l’aberration du cloisonnement. De même, ne pas offrir de vaccins aux pays pauvres, c’est laisser se développer dans ces régions de nouveaux variants, qui menaceront ensuite l’Occident. La Terre est un vaisseau spatial dont l’équipage est interdépendant. Voyez la guerre en Ukraine: ce conflit européen a des conséquences alimentaires dans les coins les plus reculés de la planète. Il provoque même des famines. Avant d’étudier l’économie, j’ai suivi des cours de philo. A la Sorbonne, notre professeur, Raymond Aron, nous disait de nous méfier du commerce, vu à tort comme une garantie de paix entre les nations. Les passions des hommes, en particulier la folie du nationalisme, l’emportent toujours sur leurs intérêts financiers, assurait-il. Il ne s’est pas trompé.»
A l’Académie française, Erik Orsenna occupe le fauteuil 17, celui de Louis Pasteur. A côté de lui siégeait François Jacob, prix Nobel de médecine. «Chaque jeudi, en séance, il me disait: « Tu n’as pas de légitimité à occuper le fauteuil de Pasteur, car tu n’y connais rien. » A ses yeux, j’étais un ignorant puisqu’économiste, et un menteur en tant que romancier. « Il faut que tu te soignes », me répétait-il. Je me suis soigné en publiant, en 2015, La Vie, la mort, la vie. Louis Pasteur (Fayard) , une biographie littéraire de ce génie qui s’est attaché à défendre la vie. Je me suis rendu compte que les virus et les bactéries étaient aussi vivants que nous, que ces organismes nous apportaient le meilleur et le pire. On me reproche souvent d’être un touche-à-tout, mais c’est la vie elle-même qui touche à tout.»
Le cochon, miroir de notre société
En 2020, l’écrivain publie Cochons. Voyage aux pays du vivant (Fayard). «Dans le cochon, miroir de notre société, tous les dérèglements s’incarnent, développe-t-il. L’ élevage industriel, la maltraitance, les pollutions et les maladies qu’il mitonne au plus profond de son corps bien gras.» L’ écrivain se dit aussi préoccupé par l’état sanitaire de la population dans nos pays. «Il est en recul, alors que les budgets publics alloués à la santé ne cessent de croître. Pourquoi ce paradoxe? Parce que nous nous focalisions sur les soins, alors que la meilleure façon de garder un maximum de personnes en bonne santé est de mettre l’accent sur la prévention. Les grands chirurgiens sont célébrés, pas les professeurs de santé publique.»
«Mon bonheur, c’est comprendre et transmettre, conclut Orsenna. Je me présente volontiers comme un professeur. Mais un jour, un prof, un vrai, m’a dit: « Erik, n’oublie pas que tu es d’abord un élève. »Je suis donc un élève de 75 ans, qui continuera à apprendre tant qu’il en aura la force.»
Pour aller plus loin Après Bordeaux en mars dernier et avant Lyon et Paris à la rentrée, Bruxelles. Le 15 juin, à 18 heures, le Berlaymont, siège de la Commission européenne, accueillera le deuxième des quatre événements proposés par «One Health/Une seule santé» et L’Obs, en partenariat avec Le Vif et Knack. Un journaliste de chaque rédaction animera une table ronde autour de la thématique «Santé humaine, santé animale, santé de l’environnement: l’équation de notre avenir».Infos et inscriptions: 1seulesante.fr
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