De plus en plus de troubles de l’érection: « Ridicule de stigmatiser le porno sans preuve scientifique »
Le nombre de jeunes qui souffrent de troubles d’érection est en augmentation. Un phénomène dû au porno omniprésent? « Arrêter soudain de regarder du porno perturbe le cerveau. »
Généralement, ce n’est pas un sujet de conversation abordé à la table de la cuisine, et encore moins chez le médecin: les troubles de l’érection des hommes. Que ceux-ci se rassurent tout de suite : un pénis qui n’est pas toujours dressé au moment suprême n’est pas anormal. C’est très courant et, dans la plupart des cas, facile à résoudre.
Pourtant, la honte quant à la dysfonction érectile (ou « ED », le terme stigmatisant « impuissance » a été banni) domine. Si les femmes ont dénoncé le fossé orgasmique à plusieurs reprises, à présent, il est temps pour les hommes de faire preuve d’ouverture au sujet de leur verge. La sexualité a un impact bien trop important sur la qualité de vie que pour la balayer sous le tapis.
Bien que l’âge soit un facteur important, les problèmes d’érection ne sont pas uniquement une maladie de vieil homme. « Il y a de plus en plus de jeunes chez qui le pénis tombe parfois en panne », déclare l’urologue et professeur Gunter De Win (UAntwerp/UZA/University College London Hospital). En 2020, il a interrogé quelque 7 000 hommes, dont environ la moitié avaient moins de 35 ans. Il a montré que jusqu’à 30% de ces jeunes hommes ont des problèmes. Il y a vingt ans, c’était moins de 5%.
La sexologue clinicienne Noortje Merckx (Hôpital universitaire d’Anvers) en voit de plus en plus souvent: des jeunes qui éprouvent des difficultés à avoir ou à maintenir leur érection. « Les délais d’attente augmentent dans les différents cabinets où je travaille. Les dysfonctions sexuelles se multiplient et les gens sont plus nombreux à franchir le pas pour consulter un professionnel de santé, ce qui ne signifie pas que le tabou soit levé. Ainsi, j’hésite à accrocher la pancarte ‘sexologue’ sur mon nouveau cabinet privé. La honte de franchir la porte est très grande ».
A partir de quel moment un pénis qui ne fait pas correctement son travail est-il considéré comme problématique?
Gunter De Win : La définition officielle fait l’objet de discussions. La dysfonction érectile est « l’incapacité d’obtenir et/ou de maintenir une érection suffisante pour un rapport sexuel satisfaisant entre deux partenaires pendant au moins six mois ». C’est assez strict et remonte à une époque où la dysfonction érectile était principalement une affaire d’hommes mariés âgés. Selon cette définition, un jeune qui n’est pas en couple ou qui n’a pas de contacts sexuels réguliers, mais qui éprouve des difficultés lors des rapports sexuels, ne souffre pas de troubles de l’érection. Alors que oui. Le jeune doit aussi bénéficier de l’aide nécessaire.
Noortje Merckx: C’est un phénomène bien connu que les hommes éprouvent de l’anxiété de performance au cours des trois premiers mois d’une nouvelle relation. Ils sont fous de leur nouveau partenaire, mais ne peuvent toujours pas maintenir leur érection pendant les rapports sexuels. Quand ces hommes viennent frapper à ma porte, je suis contente, car je peux rapidement les aider. Souvent, il suffit de dire « c’est normal » ou « vous n’êtes pas le seul ». Je les vois une fois, puis ils ne reviennent plus jamais. Parfois, il est important de mettre leurs connaissances à jour. Vous ne souffrez certainement pas d’un problème d’érection si votre pénis s’affaiblit un peu pendant les rapports sexuels lorsque certains stimuli disparaissent. Les femmes aussi deviennent parfois plus sèches, mais on n’en parle pas, car cela ne se remarque pas. Il faut une stimulation pour maintenir une érection.
On dit que la dysfonction érectile est en augmentation chez les jeunes hommes, mais les chiffres partent dans tous les sens. Quelle est vraiment l’ampleur du problème parmi les jeunes ?
Gunter De Win : Si on regarde les données objectives, il apparaît que les problèmes d’érection chez les hommes entre 18 et 29 ans sont en effet en augmentation depuis 2005. Oui, il s’agit d’auto-déclarer une mesure extrêmement subjective, mais comment les rapporter autrement ? Si le pénis d’un jeune ne fonctionne pas pendant les rapports sexuels sans autres problèmes physiologiques, nous devons y faire face. Cela arrive beaucoup trop peu maintenant. La dysfonction érectile est davantage qu’une question de mauvaise circulation sanguine vers le pénis. Cela conduit à des relations sexuelles plus difficiles et à moins de confiance en soi. Parfois, les jeunes se voient prescrire des pilules pour l’érection, mais celles-ci ne sont pas efficaces pour tout le monde, car la pression de la performance est encore trop souvent négligée. Si nous prescrivons des médicaments sans suivi et que le jeune a le sentiment que les médicaments ne fonctionnent pas, il doutera encore plus de lui-même.
Noortje Merckx: Les hommes plus âgés subissent également la pression de l’image selon laquelle un vrai homme doit toujours en avoir envie, prendre l’initiative et se raidir lorsque son partenaire se blottit à moitié nu à côté de lui. Nous devons repenser notre vision de la virilité. Je vois souvent des couples plus âgés où l’homme avoue anxieusement qu’il se sent moins homme parce qu’il ne peut plus donner à sa partenaire ce qu’on attend d’un homme au lit. Cela a des conséquences majeures. L’homme ne prend plus l’initiative, l’intimité se perd, et les partenaires s’éloignent l’un de l’autre.
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Pourtant, seul un homme sur dix demande de l’aide pour son problème d’érection. Pour quelle raison?
Noortje Merckx: Les hommes sont déjà moins enclins à consulter un médecin ou un psychologue, encore moins à se confier sur leurs problèmes sexuels. Lorsque les patients viennent me voir, ils ont déjà surmonté un obstacle majeur. C’est pourquoi il est important qu’ils puissent raconter toute leur histoire. La peur initiale disparaît rapidement lorsque le soignant s’ouvre aussi et nomme explicitement les choses.
D’où vient cette honte?
Noortje Merckx: Dans l’enfance, on dit encore trop souvent aux garçons comme aux filles qu’ils ne peuvent toucher leurs organes génitaux, particulièrement en public, parce que c’est sale. Les enfants ne bénéficient pas d’éducation sexuelle avant l’âge de douze ans. Il faudrait les éduquer beaucoup plus tôt à la sexualité. Et pourquoi ne pas organiser un débat sur l’usage du porno, à l’école ? Tout le monde en regarde de toute façon. Les parents doivent être conscients que les enfants voient et entendent beaucoup de choses en ligne avant même l’âge de dix ans. Heureusement, il existe de plus en plus de séries pour adolescents bien faites, telles que Sex Education, qui prennent un peu le relais de l’éducation sexuelle à l’école.
Gunter De Win : Tout tourne autour de l’éducation sexuelle. C’est incroyable de voir à quel point les jeunes connaissent peu le sexe et leur corps. Les connaissances de base font défaut, même parmi les étudiants universitaires. Il n’y a là rien d’étonnant, quand on sait que le clitoris n’est décrit entièrement dans les manuels médicaux que depuis 1998. Nous voyons les thèmes de l’éducation sexuelle en pratique tous les jours, quoique de manière moins amusante. Mais je doute que les jeunes crient leurs problèmes sexuels sur les toits à cause de ces séries. On va encore toujours plus se vanter de ses performances du lit plutôt qu’à admettre des échecs occasionnels. Il faut se débarrasser de l’idée que la sexualité équivaut à la performance. Il faut privilégier le plaisir à la performance.
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La sexualité est considérée comme interdite tout au long de l’enfance. Mais dès que les jeunes atteignent l’âge minimum légal pour les contacts sexuels, c’est soudainement autorisé. Alors il n’est pas si étrange qu’il y ait de la honte et de la peur de l’échec, alors que le plaisir sexuel est justement une condition pour réussir une partie de jambes en l’air. Il faut évidemment un cadre législatif pour lutter contre les comportements problématiques, mais comment interdire à quelqu’un de profiter de la sexualité ? Des organisations telles que Sensoa et Pimento se concentrent de plus en plus sur l’éducation sexuelle positive, mais elles ont du mal à appréhender le rôle de la pornographie dans l’expérience sexuelle des jeunes en raison d’un manque de connaissances.
Le porno est devenu de plus en plus accessible. Faut-il y chercher la cause des dysfonctions sexuelles chez les jeunes ?
Gunter De Win: Ce n’est pas la consommation fréquente de pornographie qui est associée à des problèmes d’érection, mais son utilisation problématique. Pensez aux jeunes qui annulent des activités parce qu’ils veulent regarder du porno, ou le font uniquement parce qu’ils s’ennuient ou pour réprimer des sentiments négatifs.
Le porno a toujours existé. À l’époque préhistorique, il y avait déjà des dessins rupestres avec des images pornographiques. Aujourd’hui, il a lieu en ligne. 60% des jeunes commencent vers l’âge de treize ans. Nos recherches montrent que 99% des participants de moins de 35 ans regardent régulièrement de la pornographie, sur 10 séances de masturbation, 8,4 ont lieu avec de la pornographie. 17,7% ne se masturbent jamais sans porno. Mais cela ne veut pas dire que la pornographie est nécessairement un problème. Le lien avec les troubles de l’érection n’est pas univoque. Il faudrait une vision nuancée. Souvent, les groupes de recherche ne reçoivent pas le financement nécessaire pour les études scientifiques parce que les comités trouvent le sujet inconfortable. Tout au long de l’histoire, les normes sociétales et les opinions politiques ont façonné la vision du porno. De plus, il n’est pas facile de mener des études sur la pornographie auprès de jeunes. Vous ne pouvez pas exposer un groupe d’enfants de 11 ans à la pornographie pendant des années, et priver un autre groupe de pornographie.
Noortje Merckx: La question est de savoir si ces jeunes sont vraiment dépendants du porno, ou s’il s’agit de la fâcheuse habitude de se masturber pour se décharger et non par excitation. J’interroge mes patients très explicitement sur leur style de masturbation. La plupart d’entre eux attrapent leur smartphone et se masturbent d’une manière peu érotique ou agréable. Je veux que les gens éprouvent du plaisir, avec ou sans porno. Nous essayons d’introduire la masturbation consciente de temps en temps. Au lieu de rechercher purement et délibérément un orgasme trois à quatre fois par jour, il vaut mieux être attentif à un moment d’excitation au cours de la journée et en faire quelque chose. Si la situation le permet, bien sûr. Appréciez le processus, pas l’objectif final. L’excitation est toujours une condition préalable à l’établissement d’une érection.
Des moralistes d’extrême droite comme Dries Van Langenhove mènent une croisade contre le porno. « Elle perturbe l’ordre social, corrompt les mœurs », etc. A quel point cette vision est-elle problématique pour les jeunes hommes ?
Gunter De Win: Il y a pas mal de vidéos qui affirment que la pornographie favorise les problèmes d’érection. La couverture négative ne vient pas seulement de la droite, mais elle a un impact majeur sur les jeunes. Quelqu’un qui consomme très fréquemment du porno depuis son enfance et arrête soudainement de regarder se retrouve souvent dans une spirale descendante. L’envie de se masturber s’estompe, la libido baisse, les érections disparaissent et le doute s’installe. Nous en savons encore trop peu sur la santé sexuelle des jeunes à une époque où la pornographie est omniprésente, alors que c’est un enjeu de société important.
Noortje Merckx: Il est souvent très difficile de dissuader les gens de penser que regarder de la pornographie cause des problèmes d’érection. J’essaie de faire comprendre aux jeunes qu’ils ne doivent pas renoncer complètement à la pornographie et qu’ils peuvent l’utiliser occasionnellement comme stimulant érotique. Le simple fait de passer radicalement des stimuli visuels aux stimuli tactiles ou même rien du tout, perturbe le système de récompense dans le cerveau.
Dès septembre, la France sera le premier pays au monde à interdire l’accès aux sites pornographiques aux mineurs. Ce n’est pas une bonne idée?
Gunter De Win: Les mineurs, qui développent encore pleinement leur sexualité, sont inondés d’images qui ne correspondent pas toujours à la réalité. Nous devons y réfléchir. Mais exposer subitement toute une société à une expérience sociale et sexologique, et stigmatiser le porno sans aucune preuve scientifique, c’est ridicule. Ce n’est pas de la science, mais une promesse électorale.
Imaginez que du jour au lendemain vous perdiez soudainement l’accès à quelque chose que vous faisiez en continu jusqu’à deux fois par jour depuis l’âge de douze ans. Il n’est alors pas surprenant que des symptômes tels que la perte de libido et l’agressivité apparaissent. La société, où les listes d’attente pour l’assistance psychologique sont déjà très longues, est-elle prête à faire face à tous ces problèmes ? Et feront-ils le lien avec l’interdiction du porno ? Ou les jeunes seront-ils traités à coup d’antidépresseurs, dont nous savons qu’ils peuvent amoindrir l’expérience sexuelle ? Et les gens pensent-ils vraiment que ces jeunes gens ne trouveront aucun moyen de regarder? Dans les pays arabes, où il est également interdit, la consommation de porno foisonne.
La solution à la dysfonction érectile réside souvent dans le Viagra. Y compris pour les jeunes ?
Gunter De Win: Parfois, les pilules pour l’érection sont utilisées trop rapidement. Pour les jeunes qui sont très excités, mais qui souffrent de la pression des performances, une pilule peut aider à briser le cercle vicieux. Mais les jeunes qui ont perdu l’envie pour une raison ou une autre n’y gagneront pas grand-chose et s’enfonceront encore plus profondément. Par contre, il est très difficile d’envoyer les jeunes chez le sexologue. Ils n’y vont tout simplement pas. C’est pourquoi j’appelle un sexologue lors de ma consultation.
Les jeunes hommes d’aujourd’hui ont-ils une vision différente du sexe et des relations que les personnes âgées ?
Gunter De Win: Les chiffres néerlandais révèlent que les relations sexuelles entre jeunes, en particulier entre 16 et 25 ans, sont en forte baisse, alors qu’elles augmentent chez les plus de 75 ans. Souvent, les jeunes pensent aussi qu’ils doivent se retrouver au lit dès leur premier rendez-vous Tinder. Ils se figent, n’y arrivent pas et n’osent finalement plus se revoir. Cela me semble étrange, car ce n’est pas du tout obligatoire de passer à l’acte dès le premier rendez-vous, non? Pourtant, la plupart de mes patients sont convaincus que c’est obligatoire.
Noortje Merckx: Les applications de rencontres fonctionnent bien pour le jeune extraverti qui se sent bien dans sa peau. Mais beaucoup de jeunes sont en conflit avec eux-mêmes. Ils se retrouvent sur ces sites de rencontres et doivent soudainement rivaliser avec des milliers d’autres. L’esprit d’étiquettes se renforce également. Aujourd’hui les jeunes ne parlent plus de relations, mais de « situations ». C’est un terme pour toutes sortes de relations, qui n’impliquent pas encore d’engagement. En soi, c’est une bonne chose, car tout est possible, la monogamie n’est plus la seule voie à suivre et il y a plus d’ouverture. Le revers de la médaille est qu’ils restent coincés s’ils ne correspondent pas à l’une des caractéristiques de cette étiquette spécifique. « Oups, ma ‘situation’ veut rencontrer mes amis. Et maintenant ? » Cela rend tout cela inutilement compliqué.
Finalement, avez-vous un dernier conseil pour nos lecteurs ?
Gunter De Win: Vous êtes jeune, vous rencontrez des problèmes d’érection et vous doutez fortement de vos performances ? Faites-vous examiner par un professionnel de la santé avec qui vous vous sentez à l’aise et avec qui vous pouvez communiquer ouvertement. A cela s’ajoute que tous les troubles ne sont pas psychologiques.
Noortje Merckx: Libérez-vous de l’idée que le sexe doit être spontané. La chance que vous et votre partenaire en ayez envie en même temps est faible. Cette idée bloque beaucoup de jeunes parents avec une vie de famille bien remplie. Faire quelque chose d’intime ou de sexuel ensemble peut être étonnamment agréable, même si vous n’aviez pas spontanément envie de faire l’amour. Un autre cliché est que le bon sexe doit toujours conduire à un orgasme. Les femmes – à juste titre – veulent jouir, mais cela augmente encore la pression sur l’homme. Les femmes peuvent aussi se conduire elles-mêmes à l’orgasme pendant les rapports sexuels. Il n’est pas nécessaire de toujours compter sur l’homme pour jouir. Une autre façon de raviver sa sexualité est de s’éloigner de l’orgasme. Pensez au tantra, où l’accent est mis sur le plaisir de tout ce qui traverse votre corps, et vous éteignez tout dans votre tête lorsque vous êtes occupé avec vous-même ou avec votre partenaire. Parfois, je prescris une thérapie Sensate focus aux couples, une technique ciblée sur la relaxation et l’exploration sexuelle. Lors de la consultation suivante, ils sont soudain nettement plus proches l’un de l’autre. C’est merveilleux à voir.
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