Pas assez rentables, deux antidépresseurs vont bientôt faire leurs adieux au marché belge. © Getty Images

De nombreux Belges bientôt privés d’antidépresseurs, faute de rentabilité? «Aucun produit disponible ne peut les remplacer»

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Trop peu rentables pour leur fabricant, deux antidépresseurs vont bientôt disparaître du marché en Belgique. Des produits difficilement remplaçables pour les patients. Quelles alternatives?

Le Belge est un grand consommateur d’antidépresseurs. En 2022, on estimait qu’un Belge sur quatre avait pris au moins un psychotrope. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la dépression représente 4,3 % de la charge de morbidité mondiale et devrait devenir la première cause de mortalité prématurée et d’invalidité d’ici 2030.

Parmi la panoplie d’antidépresseurs, deux sont sur le point de faire leurs adieux au marché belge: le Nortrilen (nortriptyline) et le Redomex (amitriptyline). Le laboratoire pharmaceutique danois Lundbeck a décidé, unilatéralement, de les retirer dès le mois de juin, pour raisons économiques. Autrement dit: pas assez rentables. «Le coût de leur maintien sur le marché belge excède les bénéfices générés », confirme Kirsten Catthoor, de l’Association flamande de psychiatrie.

De nombreux patients concernés par ces antidépresseurs

Un retrait qui suscite une vive inquiétude parmi les praticiens. «Enormément de patients sont concernés», indique le Dr Juan Tecco, président de la Société Royale de Médecine Mentale de Belgique (SRMMB).

En Belgique, ces deux antidépresseurs tricycliques sont des agents thérapeutiques «cruciaux», en particulier pour les patients qui ne répondent pas aux nouvelles classes d’antidépresseurs tels que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN). Les experts estiment que ce groupe résistant au traitement représente 40 à 55% de la population totale des personnes souffrant de dépression, et que les deux produits sont prescrits chaque année à près de 300.000 à 400.000 patients belges. «Pas de chiffre précis», répond pour sa part le cabinet du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit).

Personnes âgées

L’amitriptyline (Redomex) est «un traitement de référence pour la dépression, mais pas seulement, explique le Dr Tecco. Il est fréquemment utilisé en neurologie et en clinique de la douleur. C’est un médicament très efficace contre les douleurs neuropathiques et les céphalées. Il peut aussi être utilisé pour traiter l’énurésie infantile.»

La nortriptyline (Nortrilen) est, pour sa part, «sans égal» en psychiatrie pour traiter la dépression des personnes âgées. «En raison de son profil d’effets secondaires anticholinergiques relativement légers auxquels elles sont très sensibles.» Leur présence est donc jugée essentielle pour garantir un traitement complet à tous les patients souffrant de dépression sévère. «Ces médicaments sont réellement indispensables, abonde Kirsten Catthoor. Ils figurent sur la liste des médicaments essentiels.»

Les spécialistes sont inquiets. Ils ont d’ailleurs écrit une lettre à la firme pharmaceutique pour leur faire part de leur «vive inquiétude». «Il doit être clair que la nortriptyline (Nortrilen) et l’amitriptyline (Redomex) sont des médicaments essentiels et vitaux, semblables en cela à d’autres médicaments pour des maladies chroniques en médecine somatique comme le diabète et l’épilepsie, dont nous pensons tous qu’ils devraient toujours être disponibles pour les patients.»

Sanctions

Du côté belge, des contacts ont été également établis avec le ministre de la Santé et une Task Force a été mise en place. Une première réunion a eu lieu le 11 juin avec de nombreuses organisations qui représentent différents secteurs de la santé mentale et l’agence fédérale des médicaments. Le ministère de la Santé avait par ailleurs tenté de convaincre l’entreprise qu’une demande d’augmentation de prix était utile, sans succès.

Frank Vandenbroucke songe à sanctionner l’entreprise pharmaceutique Lundbeck. «En cette période de pénurie, il est de ma responsabilité de veiller à ce que les personnes qui ont besoin de ces médicaments soient aidées. Mais je demande également à l’entreprise de rendre des comptes. Elle ne remplit pas certaines obligations légales en matière d’approvisionnement, avec toutes les conséquences que cela implique. Pour cela, nous les sanctionnerons», explique le ministre de la Santé.

L’entreprise, par exemple, doit s’assurer qu’un approvisionnement d’au moins six mois en médicaments est garanti. Or, elle ne donne pas cette garantie. Cela pourrait mettre de nombreux patients en difficulté. «Ces personnes présentent de forts symptômes dépressifs ou des douleurs intenses. On ne peut pas les abandonner comme ça.»

Quelles alternatives pour ces antidépresseurs?

Pour le Dr Juan Tecco, difficile de trouver une alternative acceptable. «Aucun autre produit disponible ne peut remplacer ces antidépresseurs tricycliques, laissant potentiellement une partie importante des patients sans options de traitement efficaces.»

Mais les hôpitaux et les pharmaciens ne doivent pas attendre, insiste le cabinet Vandenbroucke. Il existe sur le marché européen des médicaments génériques ayant exactement le même effet. «Ceux-ci peuvent être importés via une pharmacie ou un hôpital via une ordonnance et une déclaration du médecin.» Le hic: ils ne sont pas remboursables. Mais ils sont disponibles et peuvent être payés par le patient (entre 8 et 13 euros par mois). «Cela peut être une solution temporaire jusqu’à ce que nous ayons trouvé nous-mêmes un nouveau fournisseur», indique encore le cabinet. Il est également possible de travailler avec des préparations magistrales.

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