
Dans la tête d’hypersensibles: « On ne voit pas le monde avec les mêmes couleurs que les autres »
20 à 30% de la population serait hypersensible, à la fois sur le plan émotionnel et sensoriel. Que se passe-t-il dans la tête d’hypersensibles? Témoignages.
« L’hypersensibilité aux autres est ma grande force«
D’aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Jérémy Clément, 37 ans et hypersensible, s’est toujours senti «en dehors des cases», comme il dit. «Petit, quand je regardais un dessin animé, je pouvais me mettre à pleurer pendant des heures, pour ce que d’autres enfants auraient considéré comme des futilités.» A l’école et ailleurs, il a toujours fait preuve d’une hyperempathie, tant envers des proches que de personnes qu’il connaît à peine. Elle ne l’a jamais quitté. «Récemment, à Namur, je croise un sans-abri et pendant dix secondes, on se regarde, raconte-t-il. Je poursuis mon chemin, je sens une grosse montée d’émotion et subitement, je fonds en larmes. Pourquoi ce regard m’a-t-il capté plus qu’un autre? Je ne sais pas. Pourtant, j’essaie de me mettre des barrières.»
Outre des émotions, Jérémy manifeste aussi une hypersensibilité sensorielle. Il sent des odeurs que d’autres ne perçoivent pas, ne supporte pas un centre commercial bondé et envahi de lumière artificielle, ni le contact de certaines matières sur sa peau. L’identification de son hypersensibilité s’est faite en deux temps. Cartésien, il voulait avoir la certitude de ne pas assimiler son ressenti à un effet de mode. «A l’âge de 28 ans, je suis parti travailler en Suisse. Complètement déraciné, j’ai commencé à développer des angoisses à répétition. Une psy, soupçonnant une hypersensibilité, m’a suggéré de consulter un service spécialisé à Lausanne. Elle m’a été confirmée à la suite d’une série de tests et d’une imagerie cérébrale.
Puis, à 30 ans, la naissance de ma fille a généré un bouleversement émotionnel intense. A la fois positif et désagréable, c’était en tout cas quelque chose de totalement incontrôlable. Une nouvelle fois, on m’a confirmé qu’il s’agissait d’une facette de mon hypersensibilité.» Aujourd’hui thérapeute, Jérémy Clément accompagne des parents et des enfants pour améliorer leur bien-être. «Dans mon travail, mon hypersensibilité aux autres est une grande force. Elle me permet de cibler directement qui ils sont, ce qu’ils ressentent, sans forcément discuter. C’est quelque chose d’instinctif.»
« On ne voit pas le monde avec les mêmes couleurs«
Enseignante, Aude Belleflamme s’est recentrée sur le coaching scolaire il y a quelques années, notamment pour accompagner les élèves à haut potentiel. «Pendant ma spécialisation à l’UMons, je me suis reconnue dans les caractéristiques du haut potentiel, raconte-t-elle. J’en ai eu la confirmation à l’occasion d’un bilan neuropsychologique. En parallèle, ma psychologue avait procédé à un bilan qualitatif, qui avait non seulement corroboré le haut potentiel, mais aussi l’hypersensibilité mise en évidence lors des tests.» Depuis toute petite, elle se sentait différente, à la fois dans l’intensité positive ou négative des émotions ressenties, mais aussi sur le plan sensoriel. «Par exemple, je ne supportais pas les vêtements aux coutures trop marquées, certaines textures d’aliments, confie-t-elle. Je ne peux pas non plus assister à un concert depuis la fosse.»
L’identification de son hypersensibilité fut dans son cas «salvatrice». «J’ai pu me rassurer sur le fait que je n’étais ni bipolaire ni schizophrène. Car, quand on ne voit pas le monde avec les mêmes couleurs que les autres, on se pose un tas de questions, au même titre que notre entourage. Après avoir mis un mot sur ce que je ressentais, tout est devenu plus clair. De ce fait, j’ai pu réajuster de petites choses au quotidien.» Ainsi, elle évite les heures de haute fréquentation dans les magasins, à moins de prévoir des périodes de répit. En tant que biologiste, elle sait qu’elle peut compter sur des méthodes de respiration ou sur des activités sportives pour calmer ce qu’elle appelle les trop-pleins émotionnels. Elle écrit aussi tous les jours dans un carnet, pour y «déverser ses émotions». «Il importe de mettre en place des routines au quotidien, conclut-elle. Et, surtout, de porter un regard bienveillant sur soi.»
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