Pass sanitaire, masques, gel hydroalcoolique,... Autant de mots qui agacent certains,  mais qui rappellent de doux souvenirs à d'autres. Cinq ans plus tard, le confinement fait des nostalgiques.  © Getty

«J’aimais bien cette ambiance où je pouvais rester à la maison sans passer pour un flemmard»: ces nostalgiques qui regrettent le confinement

Pass sanitaire, masques, gel hydroalcoolique… Malgré les difficultés imposées par la crise sanitaire, le confinement fait des nostalgiques.

En Allemagne, un mot a été inventé pour désigner la nostalgie de certains Berlinois envers l’ex-RDA (l’Allemagne de l’Est): l’Ostalgie. Ceux qui en «souffrent» ne regrettent pas la dictature ou la répression, mais plutôt les magasins désertés et les rues calmes. Toute proportion gardée, un sentiment similaire a émergé chez certains Belges vis-à-vis des années Covid.

«J’aimais bien cette ambiance de fin du monde où je pouvais rester à la maison toute la journée sans passer pour un flemmard.» «On refaisait le monde sur le toit en buvant du vin et on échangeait par les fenêtres.» «J’avais l’impression que tout était calme. On devrait faire ça un mois tous les ans.» Sur le réseau social Reddit, ce type de témoignages foisonne. Sur TikTok, c’est même devenu un trend.

Pour Jeanne, 25 ans, le confinement peut se résumer en un mot: ralenti. Étudiante lorsqu’il a été annoncé il y a cinq ans, elle se considère aujourd’hui comme faisant partie des nostalgiques du confinement, cette période particulière. «Le monde fonctionnait au ralenti, et j’avais enfin le luxe de prendre mon temps, explique-t-elle. Aujourd’hui, mon agenda est bien plus chargé, et le manque de temps pour me ressourcer se fait cruellement ressentir, alors qu’au cours du confinement, j’avais cette possibilité de me recentrer sur moi-même, sans être oppressée par le rythme effréné du quotidien.»

Même son de cloche du côté de Florent, 29 ans. Lui aussi a vécu cette période comme un moment où la vie semblait suspendue. «Ce confinement m’a offert une bouffée d’air frais, confie-t-il. Avec les activités mises à l’arrêt, j’ai redécouvert le plaisir simple de profiter pleinement de sorties assez basiques: une promenade ou un moment avec des amis, lorsque c’était permis, me semblaient plus intenses, comme si chaque petite liberté retrouvée avait soudain plus de valeur.»

Les témoignages de Jeanne, de Florent et les opinions similaires qui s’accumulent sur les réseaux sociaux n’étonnent pas Olivier Luminet, professeur de psychologie, de la santé et des émotions à l’UCLouvain et à l’ULB. «On s’est retrouvé face à un paradoxe, entame-t-il. D’un côté, il y avait le danger d’une maladie potentiellement très grave, mais de l’autre, le rythme de vie avait complètement changé. C’était une période rythmée par le beau temps, le début du printemps, et pour beaucoup de Belges, cela ressemblait à des vacances inattendues. Même en travaillant, certains ont eu l’impression d’être en congé.»

Les nostalgiques du confinement… ne voudraient toutefois pas en revivre un deuxième. (Getty)

Nostalgiques du confinement, cette anti-routine

Jeanne ne tarit pas d’éloges envers cette période, qui marquait une rupture brutale avec la routine pesante. «Étant étudiante à l’époque, mes journées étaient rythmées par des horaires exigeants, me donnant l’impression de vivre dans une boucle sans fin.» Le confinement a dès lors été vu comme un moyen de sortir du schéma métro-étude-boulot. «La mise en place des cours à distance m’a offert le confort de rester chez moi, évitant ainsi les interminables heures dans l’enfer des transports bruxellois, poursuit-elle. Mes journées étaient uniques, et cela faisait un bien fou. J’ai redécouvert le plaisir des après-midis et des soirées où je pouvais prendre le temps de me promener ou de cuisiner. J’ai également pu accomplir des choses que je repoussais sans cesse.»

Mais chassez le naturel, il revient au galop. Le retour à la vie sans confinement n’a pas été simple pour Jeanne. «Ce sentiment de sérénité, propre au fait de rester chez soi, a disparu aussitôt que la pandémie a cessé d’exister. Dans un premier temps, les gens étaient euphoriques à l’idée de se retrouver, mais très vite, l’anxiété du quotidien d’avant a repris le dessus, à une vitesse vertigineuse.» Florent regrette de ne pas avoir tiré de véritables enseignements du confinement. «Dès que la vie a repris son cours, tout est redevenu comme avant. Le rythme du quotidien m’a rattrapé, et je n’avais plus le moindre instant pour me poser.»

La paradoxe de la dépression

Pour Jeanne, le retour à la vie normale a annoncé le retour de son anxiété. Paradoxal, alors que le confinement a été la source d’anxiété, voire de dépression, pour près d’un Belge sur quatre, selon un rapport de Belgique en bonne santé. A l’échelle mondiale, l’Organisation mondiale de la Santé estime que la pandémie a entraîné une hausse de 25% des cas d’anxiété et de dépression. «Pour certains, le confinement reste le dernier moment donnant l’impression d’avoir la maîtrise sur les choses, explique Olivier Luminet. Cette période était marquée par l’espoir de la guérison et de la sortie de crise. Cela a permis de redonner aux gens un certain contrôle sur leur situation.»

La situation est désormais très différente. Pour l’illustrer, le professeur prend l’exemple de la guerre en Ukraine et de la menace russe. «Nous dépendons des décisions d’autres leaders et nous ne pouvons rien y changer. Cette incertitude sur des événements mondiaux, sans réelle possibilité d’action, peut générer plus d’anxiété que le confinement.»

Les nostalgiques du confinement… qui ne voudraient pas revivre ça

Temps pour soi, horaires allégés, et plus de transports en commun, tout porte à croire que Jeanne et les autres nostalgiques sauteraient à pieds joints dans un second confinement. «Hors de question!, rétorque-t-elle pourtant. D’un côté, l’absence de pression sociale et la rupture avec le rythme effréné du monde étaient libérateurs, mais de l’autre, l’isolement et l’impossibilité de voir mes proches étaient pesants à long terme. L’idéal serait de trouver un entre-deux, mais cela semble difficilement envisageable aujourd’hui.» Florent partage cet avis. «Revivre un confinement, l’impact sur les hôpitaux et l’isolement social n’est évidemment pas souhaitable. Par contre, j’aimerais pouvoir avoir le temps de souffler, et le mode de vie que proposait le confinement le permettait.»

Olivier Luminet ne s’étonne pas de ces sentiments contradictoires. «C’est ce côté unique du confinement qui fait que l’on va s’en souvenir longtemps avec nostalgie, pose-t-il. Et puis, pourquoi le revivre? Les premières semaines, on vivait dans une sorte de bulle. Le soleil était là, et on croyait tous que cela ne durerait pas. C’était une période un peu irréelle, et c’est peut-être pour ça que certains la voient encore de manière positive, avec des souvenirs agréables. Mais, en toute honnêteté, personne ne veut vraiment revivre une période comme celle-là. Car on sait aussi qu’une telle période de pandémie passe par des moments très désagréables.»

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