Frank Vandenbroucke (Vooruit), ministre fédéral de la Santé publique. © BELGA

Derrière la destruction d’un stock de vaccins anti-Covid d’une valeur de près de 200 millions d’euros, le spectre de «l’affaire Medista»

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Le SPF Santé publique a annoncé une «optimisation de son stock stratégique», mais se refuse à donner la provenance des vaccins voués au pilon. Et pour cause: le déménagement et le stockage de ceux-ci font l’objet d’un litige en cours avec son ex-prestataire, Medista.

Quelque 8,6 millions de doses de vaccins anti-Covid, ainsi que des tests, réactifs, et médicaments obsolètes vont être détruits, a annoncé le 19 juillet dernier le SPF Santé publique par voie de communiqué. Valeur totale du stock à détruire: 207 millions d’euros. Un délestage inévitable, explique le SPF, du fait de la chute de la demande en vaccins, et pour éviter de «surstocker, car de nombreux produits ont une date de péremption et doivent inévitablement être détruits à un moment ou à un autre.»

Essentiellement des produits périmés

Dans la liste des produits concernés, rendue publique par le SPF en annexe à son communiqué, on apprend ainsi que «les vaccins Covid représentent la plus grande part à détruire (189 millions d’euros), suivis par les médicaments (15,8 millions d’euros), les «produits périmés [représentant] 99,5 % du total.»

C’est aussi le cas pour ce qui concerne spécifiquement les vaccins (Johnson & Johnson, Novavax, Pfizer, Moderna et SanofiGSK), dont on ne sait toutefois où exactement ces derniers étaient stockés. Mais, en mars dernier, une lettre envoyée par Medista, l’ancien prestataire du SPF, au ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit), et que le Vif a pu consulter, semble éclairer l’itinéraire de ces doses vouées au pilon. «Les informations qui nous ont été fournies montrent que les 4,7 millions de doses de vaccins Pfizer et les 3,3 millions de doses de vaccins Moderna transférées de Medista vers le nouveau prestataire de services Movianto sont arrivées à expiration et ne sont même plus stockées aux températures requises, bien que le SPF Santé publique continue de louer des congélateurs ultra basse température (ULT) et des congélateurs spécialement pour cela. Cela se traduit par une perte estimée pour le trésor belge de plus de 150 millions d’euros», fulmine la firme, alors engagée dans une sanglante bataille juridique avec le SPF Santé publique après avoir perdu le marché du stockage et de la distribution de ces vaccins à l’été 2022. À quelques centaines de milliers de doses près, le compte y est. Reste à savoir si l’on parle-t-on bien de ces doses précédemment stockée chez Medista et déménagées chez Movianto…

Motus et bouche cousue

Interrogé sur la provenance des doses, le SPF Santé publique explique qu’il ne répondra à «aucune question». Une telle discrétion est relativement compréhensible, l’administration faisant l’objet d’une enquête judiciaire en marge de la passation de ce fameux marché public, où flotte vraisemblablement un parfum de conflit d’intérêts d’après un audit fédéral interne. Toujours est-il que cette «optimisation» du stock stratégique arrive à point nommé; depuis le changement de prestataire, le SPF Santé publique, à qui Medista a facturé ce coûteux déménagement de doses vouées au pilon, renâcle à régler la facture (pour environ 4 millions d’euros), une procédure de recouvrement étant actuellement en cours au tribunal de première instance de Bruxelles, a également appris le Vif. Sauf que le calendrier judiciaire ne prévoit pas de décision avant fin 2024, voire 2025. Qui, dans ce cas, pourra alors trancher un litige concernant des stocks partis en fumée ?

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