Covid: les variants, forces dominantes de la pandémie
Britannique, sud-africaine, brésilienne, indienne… L’apparition de nouvelles mutations du virus contraint les labos à adapter leurs vaccins et les Etats à réexaminer leur stratégie vaccinale.
2021 devait être l’année des vaccins. Ce sera aussi celle des variants. Depuis l’apparition, au Royaume-Uni, à l’automne 2020, d’une mutation au Sras-CoV-2 plus contagieuse et peut-être plus létale, de nouvelles souches, sud-africaine, brésilienne et indienne, sont venues doucher l’espoir suscité par l’administration des premières doses. Ces variants, et ceux qui ne manqueront pas de suivre, ne risquent-ils pas de rendre les vaccins moins efficaces? Entre durcissement des mesures sanitaires et accélération de la campagne vaccinale, le monde constate que l’ennemi a peut-être définitivement changé de visage. Pire, qu’il se multiplie.
Lire aussi: Pourquoi la pandémie tourne au chaos en Inde
On le sait, le Sras-CoV-2, comme tous les virus, mute en permanence pour échapper aux défenses immunitaires. Son génome se compose de 30 000 nucléotides (représentés par les lettres A, U, G ou C). Ce patrimoine génétique est transmis à chaque reproduction du virus. L’héritage est alors dupliqué des milliers de fois et, devant l’ampleur colossale de la tâche, l’enzyme qui le copie commet régulièrement des erreurs: une lettre peut être remplacée par une autre (substitution), effacée (délétion) ou encore ajoutée (insertion). C’est ce que l’on appelle une mutation. Dans l’immense majorité des cas, ces mutations aléatoires n’ont guère d’effets sur le virus. Elles sont inutiles pour lui, voire néfastes. Mais parfois, elles vont le « booster », par exemple quand elles modifient les protéines qui influent sur sa transmissibilité, sa vitesse de réplication ou encore sa capacité à contourner notre système immunitaire. Résultat: le virus se montre alors plus efficace que la version originelle du Sras-CoV-2. Ainsi en est-il du variant anglais. Partout où il a pris pied, il n’a fait que progresser pour devenir majoritaire.
Le monde constate que l’ennemi a peut-être définitivement changé de visage. Pire, qu’il se multiplie.
Pour contrer les nouveaux variants et faire le tri parmi les milliers de mutants, la communauté scientifique les classe en trois catégories, selon leurs risques: le variant of interest (VOI), le variant of concern (VOC) et le variant of high consequence. Le premier est responsable d’une transmission communautaire (un cluster) ou détectée dans plusieurs pays. Le deuxième est préoccupant, parce qu’il présente une transmissibilité accrue, ou qu’il se montre plus virulent, ou encore qu’il diminue l’efficacité des anticorps conférés par une infection ou un vaccin. Le troisième, lui, c’est le vrai vilain: il résiste à tous les gestes barrières, réduit significativement l’efficacité vaccinale, entraîne des maladies plus graves – aucun n’a été détecté dans le cas du coronavirus.
En chiffres
Le variant britannique représente plus de 85% des nouvelles infections en Belgique et domine très largement les autres variants: le sud-africain reste contenu à 3,7% et le mutant brésilien est responsable de 5% des transmissions.
A ce stade, trois variants sont taxés de « préoccupants » et sont particulièrement étudiés, parce qu’ils ont pris le pas sur les contaminations classiques dans de nombreux pays: le britannique, le sud-africain et le brésilien. Tous trois possèdent la même mutation génétique, qui implique la protéine de spicule, celle-là même qui permet au virus de pénétrer dans l’organisme en se fixant sur l’enzyme ACE 2: la N501Y, connue pour augmenter nettement l’affinité entre le virus et les cellules humaines. Ce qui favorise l’infection.
« Variant d’intérêt »
Celui d’ Afrique du Sud présente, de surcroît, une mutation, E484K, qui semble le rendre moins sensible aux anticorps que produisent les vaccins. Cette mutation s’affiche aussi sur la lignée apparue au Brésil. Quant au mutant indien, il reste, pour l’heure, un « variant d’intérêt ». Il présente des mutations sur la protéine de spicule, dont l’une, E484Q, est proche de celle des versions sud-africaine et brésilienne. Il est également porteur de la mutation, L452R, qui semble accroître sa transmissibilité. Mais personne ne connaît encore sa contagiosité, sa dangerosité ni sa résistance ou non aux vaccins. Difficile, en effet, de faire la part entre la mutation du variant elle même et le contexte épidémique régional: inaction des dirigeants, vétusté du système médical, surpopulation.. . L’Inde et sa troisième vague hors de contrôle ont tout pour devenir un réservoir épidémique où pourraient naître de nouveaux variants. D’où la précipitation des Britanniques, des Américains et des Européens à proposer leur aide médicale. Surtout, le sous-continent devait jouer le rôle d’usine mondiale à vaccins pour les pays en développement. Il ne pourra assurer cette mission avant de longs mois. L‘Afrique, notamment, devra se trouver un autre fournisseur. Ce sera une nouvelle fois la Chine et, dans une moindre mesure, la Russie.
Lire aussi: Covid: le séquençage, l’autre traque du virus
Quel effet sur l’efficacité?
L’une des craintes des autorités sanitaires concerne la moindre efficacité des vaccins contre ces souches. Ce que les spécialistes qualifient d' »échappement immunitaire ». Ainsi, l’ Agence européenne du médicament (EMA) a demandé aux fabricants de déterminer si leur vaccin offrait une protection contre les trois variants et de lui soumettre des données pertinentes. L’Union européenne est, elle aussi, passée à l’offensive en lançant, en mars dernier, l’incubateur Hera, un plan à 75 millions d’euros destiné à identifier rapidement les mutations du virus. Auxquels sont venus s’ajouter 150 millions d’euros pour appuyer la recherche sur les nouveaux variants.
L’ efficacité vaccinale ne semble pas équivalente face aux variants. Les trois derniers essais de phase 3 publiés (AstraZeneca, Johnson & Johnson et Novavax) ont confirmé que leurs vaccins conservaient presque tout leur pouvoir protecteur face au variant britannique. En revanche, ils en perdent une partie face au variant sud-africain. Entre la souche originelle et le sud-africain, par exemple, l’efficacité passe ainsi de 90% à 49% chez Novavax et de 72% à 57% chez Johnson & Johnson. Enfin chez AstraZeneca, une étude montrerait une chute de 62% à 22% de son efficacité à prévenir les symptômes légers. Les données des vaccins à ARN messager Pfizer-BioNTech et Moderna pointent également un risque d’affaiblissement plus rapide de l’immunité ou des taux d’anticorps moins efficaces face au variant sud-africain. Un dernier résultat, concernant le vaccin Pfizer-BioNTech, avance cependant que l’immunité « cellulaire » – dirigée non pas contre le virus mais contre les cellules infectées – serait conservée. En résumé, les mutations apparues émoussent la force des vaccins fondés sur les technologies du vecteur viral (AstraZeneca et Johnson & Johnson) ou des protéines recombinantes (Novavax). L’avantage, en effet, est à l’ ARN messager, jugé plus efficace.
Certains experts sont optimistes, en ce qu’ils sont convaincus que le virus n’est pas loin d’avoir épuisé son potentiel de mutations favorables.
Vers de nouveaux vaccins?
Adapter un vaccin à de nouvelles souches n’a rien de neuf: cela se fait, chaque année, avec la grippe. Mais, le Sras-CoV-2, lui, impose son rythme et des mutations imprévisibles. Les labos ont plusieurs choix. Le plus simple est de modifier l’antigène. C’est l’option prise par AstraZeneca, qui espère mettre au point un nouveau vaccin à l’automne, et par Johnson & Johnson. Mais il ne fait pas de doute que les premiers prêts seront ceux qui ont opté pour l’ARNm. Depuis l’usine de Puurs, le patron du géant américain Pfizer se dit « optimiste » quant à la capacité de son vaccin à contrer le variant indien: « Nous avons développé un processus nous permettant d’être capables, dès qu’un variant est source d’inquiétude, d’avoir un vaccin efficace en cent jours, et je suis à l’aise avec cet objectif exigeant, en raison de l’efficacité de la technologie de l’ARN messager. » Chez Pfizer-BioNTech (pour ce qui concerne les variants brésilien et sud-africain), comme chez Moderna (pour le sud-africain), des études sont en cours pour déterminer l’efficacité potentielle d’une troisième dose – simple rappel ou nouveau produit adapté aux variants. Enfin, l’industrie et la recherche académique tentent de développer un vaccin de deuxième génération, capable de protéger contre plusieurs variants. Le Labo allemand CureVac, par exemple, s’est associé à GSK pour fabriquer un vaccin plurivalent, qui pourrait être commercialisé en 2022.
Lire aussi: Vaccins anti-Covid: les ados, cible légitime
Quoi qu’il en soit, les scientifiques se montrent optimistes: ces vaccins devraient fonctionner. Car un élément les rassure fortement: les trois principaux mutants semblent converger autour de trois mutations essentielles, situées sur les 501e, 484e et 417e acides aminés. Ce sont elles qui semblent soit améliorer la capacité du virus à infecter les cellules humaines, soit lui permettre d’échapper aux anticorps générés par les vaccins. Les variants sud-africain et brésilien contiennent les trois variations, avec une légère différence sur la troisième mutation. Le mutant britannique se contente d’afficher la première – ce qui explique qu’il reste beaucoup plus sensible aux vaccins. C’est donc bien la protéine de spicule qui devrait servir d’appui à la plupart des vaccins modifiés. Et si apparaissaient de nouvelles mutations, plus délétères encore? Certains experts n’y croient pas et sont convaincus que le virus n’est pas loin d’avoir épuisé son potentiel de mutations favorables. D’autres en sont moins sûrs. La réponse appartient au virus. Et aux mesures que nous prendrons pour le contenir.
En réalité, le problème sur lequel on bute, c’est évidemment l’immunité collective. Jusqu’ici, les variants présentent, à chaque fois, des versions plus contagieuses. Et plus le virus circule, plus les risques de mutations sont élevés. Il faut donc vacciner au maximum, y compris les plus jeunes. « En Belgique, on vaccine contre la grippe surtout les personnes âgées, parce qu’elles sont les plus fragiles. Mais ce sont aussi celles chez qui le vaccin marche le moins bien. D’autres pays, comme la Grande-Bretagne ou la Finlande, vaccinent d’abord les enfants, car ce sont ceux qui alimentent le plus l’épidémie », juge Niko Speybroeck, épidémiologiste et professeur à la faculté de santé publique de l’UCLouvain.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici