Covid : « Le port du masque peut rassurer les enfants »
Face à l’explosion de contaminations dans les écoles, le Comité de concertation a décidé d’imposer le port du masque à partir de 6 ans, une mesure qui fait bondir un grand nombre de parents d’enfants. Les pays qui appliquent l’obligation ne constatent pourtant pas d’effets dommageables sur le développement des enfants.
Depuis ce lundi, les élèves sont tenus de porter le masque à l’école dès la première primaire. Ils doivent le porter à ‘l’intérieur, mais ils peuvent l’ôter pendant les repas et dans le cadre des cours d’éducation physique. Des moments de pause sont également prévus lorsqu’ils sont assis en classe, à condition que les consignes d’aération soient bien respectées.
La pétition lancée en ligne contre la mesure a déjà rassemblé plus de 36.000 signatures. Pour l’initiatrice de la pétition, le port du masque obligatoire à partir de six ans pénalise les enfants « une nouvelle fois ». Elle estime qu’avant sept ans, les enfants ne seraient pas capables porter un masque de façon adéquate.
Un smiley mécontent
« J’ai le sentiment que les enfants sont victimes de ce qui ne fonctionne pas jusqu’ici. Il y a une dizaine d’années qu’il y a des coupes dans les budgets des hôpitaux. Et du coup, on propose une ultime mesure : les enfants vont devoir porter ce que les adultes n’arrivent pas à résoudre », dénonce également Aude, maman de deux filles en école primaire. « Chaque fois on se dit qu’on n’ira pas plus loin, et chaque fois, on recule la limite », ajoute-t-elle.
« J’ai peur que le masque bloque les enfants dans leur apprentissage. Et puis il empêche de bien respirer », déclare Catherine*, mère d’une fillette de 8 ans. D’un autre côté, cette maman estime qu’il ne faut pas que les parents diabolisent non plus à outrance le port du masque chez leurs enfants. « Des parents envoient leurs enfants à l’école avec des masques sur lesquels ils ont dessiné un smiley mécontent. Je suis contre cette manière de faire, car les enfants sont de vraies éponges, s’ils sentent que leurs parents sont énervés contre cette mesure, ils vont mal la vivre au quotidien. »
Elle craint surtout que le port du masque soit prolongé au-delà des vacances de Noël. « Édicter des mesures c’est facile, les défaire c’est autre chose », souligne-t-elle. « Si c’est pour tenir jusqu’au 20 décembre (NDLR : date des vacances de Noël) c’est un moindre mal, mais il faut être sûrs qu’après on supprime le port du masque pour les enfants », insiste-t-elle.
Mélanie*, enseignante et maman d’une fillette de 10 ans, ne cache pas son indignation. « Cette pandémie dure depuis des mois. Maintenant qu’on ne sait plus quoi faire, on se tourne vers les enfants. Il aurait peut-être mieux valu fermer les écoles plutôt que d’imposer un masque inconfortable à des petits bouts de six ans qui savent à peine à quoi ça sert », dénonce-t-elle. « En tant que maman, il est de mon devoir de prendre soin de mon enfant, et de ne pas laisser aller les choses trop loin. Les enfants ont déjà assez souffert de la situation. »
Une fonction rassurante
Le port du masque est-il néfaste pour les enfants ? Pour Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain et membre de la Taskforce Psychologie et Corona, le regard de l’adulte joue un rôle déterminant. « Il y a une impression de la part des adultes que c’est un effort extrêmement important et difficile, pour les enfants. Il faudra voir plus précisément comment les enfants vivent le port du masque en classe », explique-t-il.
Selon lui, le port du masque permet aux enfants d’apporter leur pierre à l’édifice. « Pour pas mal d’enfants, l’épidémie est anxiogène et ils n’osent pas toujours en parler à leurs parents. Ils entendent partout des nouvelles plutôt mauvaises, qu’ils n’arrivent pas toujours à bien comprendre et à interpréter. Pour certains d’entre eux, le masque prodigue un sentiment de protection : pour se protéger eux-mêmes, mais pour protéger les autres, leurs parents, et encore plus leurs grands-parents. Le port du masque rassure certains enfants. C’est certainement un facteur qui limite les aspects négatifs du port du masque. »
Auto-efficacité
« Les enfants auront le sentiment de participer à l’effort de lutte contre la pandémie. Certains se sentent impuissants : ils se disent qu’ils ne sont pas vaccinés, et se demandent que faire pour limiter la circulation du virus. Là, on leur donne un moyen, qui renforce le sentiment d’auto-efficacité :’ est-ce que moi-même je suis efficace et est-ce que j’ai un rôle à jouer par rapport à un défi donné, en l’occurrence de la pandémie ?’. Ils se rendent compte qu’ils sont partie prenante de l’effort. »
« C’est vrai que le masque est inconfortable, et désagréable, mais il n’y a pas d’indication pour le moment que ce soit plus difficile pour les enfants que pour les adultes de s’habituer au port du masque. Les adultes ont dû aussi s’y habituer. Et les aspects négatifs, tels que les difficultés respiratoires, dépendent très fort d’une personne à l’autre », explique le scientifique.
S’il faut évaluer la situation dans quelques semaines, le scientifique ne prédit pas de grandes difficultés. Moyennant un bon accompagnement de la part des enseignants, « le port du masque deviendra une habitude qui ne coûtera plus beaucoup d’efforts de la part des enfants ». Il souligne également que l’obligation du port du masque est un moindre mal par rapport à une mesure telle que la fermeture des écoles.
Luminet estime que la mesure aurait déjà dû être envisagée à la mi-novembre, pour ralentir la progression du virus, et éviter la flambée actuelle. « Il y a eu une levée de boucliers, alors qu’à ce moment-là, cette décision aurait été intéressante, car elle aurait eu un effet de frein sur la propagation du virus. Elle a été balayée, en partie suite à des craintes de retards d’apprentissage ou d’inconfort pour les enfants. Pourtant, ce n’est pas étayé par la littérature : nous n’avons pas d’évidence que le masque provoquerait des retards d’apprentissage ou à des problèmes de reconnaissance d’émotion chez les autres, par exemple », déclare-t-il.
Discours des parents
Le scientifique souligne également le rôle primordial du discours des parents. « Si les enfants sont dans un milieu familial où on leur dit ‘ça va être très difficile pour toi et tu vas beaucoup souffrir’, ça va évidemment les influencer dans leur manière d’accepter ou non le port du masque. C’est aussi aux enseignants de veiller à ce que ça se passe le mieux possible, et d’être attentifs aux enfants issus de familles qui ont une vision négative. »
La Belgique n’est pas le seul pays européen à étendre le port du masque aux enfants: les petits Italiens et Espagnols le portent depuis des mois, et la mesure n’a provoqué de remous particuliers. « Il n’y a pas du tout de réactions extrêmement négatives ou d’effets vraiment dommageables sur le développement émotionnel ou au niveau de l’apprentissage. Il n’y a aucune alerte dans les pays qui le pratiquent depuis un certain temps », conclut Olivier Luminet.
*Prénoms d’emprunt
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