Covid: « Il y a un groupe important qui n’a pas encore été vacciné »
Il y a 100 ans, la grippe espagnole s’est éteinte relativement vite après trois vagues, alors qu’aujourd’hui, le covid entre dans sa quatrième vague. Un mauvais présage ou pas ? L’historien de la médecine Roberecht Van Hee n’est pas surpris. » Il y a un groupe important qui n’a pas encore été vacciné ».
Le monde a toujours connu des épidémies et des pandémies et une chose est sûre : elles finissent toutes par disparaitre. Mais comment ? Allons-nous tuer le SRAS-CoV-2 dans l’oeuf comme le SRAS-1, Ebola et la polio ? Ou allons-nous réserver le même sort au virus qu’à celui de la variole qui a été complètement éradiqué ?
Ou plus précisément: le covid deviendra-t-il une maladie récurrente à chaque saison hivernale, submergeant ou non notre système hospitalier, de la même manière que la grippe, par exemple, tue chaque année environ 1 000 personnes ou plus en Belgique ?
Nous n’avons pas de boule de cristal, mais on peut se tourner vers le passé. Et il est frappant de voir les similitudes entre la pandémie de grippe espagnole, raisonnablement bien documentée, d’il y a plus d’un siècle et la pandémie actuelle de coronavirus.
Parti d’un camp militaire du Kansas, le tout nouveau virus respiratoire H1N1 a traversé l’océan Atlantique au printemps 1918 et s’est répandu comme une traînée de poudre dans le monde, au sein d’une population fortement affaiblie par la Première Guerre mondiale. Une troisième vague, moins importante, a suivi au printemps 1919, lorsque de nombreux soldats sont rentrés de la guerre. D’ici l’été, la pandémie était terminée.
« Les graphiques des vagues pandémiques de 1918-1919 et de 2020-2021 sont en effet presque identiques », déclare l’historien de la médecine Roberecht Van Hee (Université d’Anvers). « Mais il existe aussi des différences importantes. Au temps de la grippe espagnole, les gens ne savaient pas qu’ils avaient affaire à un virus, et il n’y avait donc pas de vaccin disponible. La mondialisation limitée a également entraîné une transmission moins rapide qu’aujourd’hui. Mais surtout, l’impact social de la grippe en Europe a été beaucoup moins visible que dans d’autres parties du monde, car les Européens étaient tellement tourmentés par l’horreur de la guerre qu’une grippe les inquiétait moins. »
Autre différence, la grippe espagnole a été causée par un virus de la grippe et non par un coronavirus. Malheureusement, on sait très peu de choses sur l’origine des quatre coronavirus humains existants. Une étude du virologue Marc Van Ranst, publiée dans le Journal of Virology, établit un lien entre la pandémie de « grippe russe » de 1889 et le coronavirus OC43, qui causait une perte de l’odorat et du goût. Mais il n’existe aucune preuve concluante. Malheureusement, l’équipe de Van Ranst n’a pas non plus été en mesure de déterminer combien de temps il a fallu à la grippe russe pour devenir le virus du rhume actuel.
La grippe espagnole, également appelée « Mère des Pandémies », est donc ce qui se rapproche le plus d’une réponse possible à la question de l’évolution du covid-19. « La grippe espagnole s’est terminée relativement rapidement », explique Van Hee. « C’est peut-être dû à un concours de circonstances. Une hypothèse est qu’il y a eu tellement de décès et de maladies que le virus ne trouvait plus de public à infecter et s’est éteint. Une autre explication, c’est que le virus a muté en une forme moins virulente. Une dernière possibilité est que les médecins et les infirmières ont appris à mieux gérer la maladie pendant deux ans en appliquant la quarantaine et en utilisant des masques. Ce sont des mesures que nous appliquons encore aujourd’hui. »
Vacciner les enfants
Ainsi, même si nous adoptons toujours les mêmes mesures et disposons de milliards de vaccins contre le coronavirus, nous devrons vivre plus longtemps avec cette pandémie que nos ancêtres il y a 100 ans. Selon les experts, le covid ne pourra être maîtrisé que lorsque 90 à 95 % de la population mondiale aura atteint une certaine forme d’immunité grâce à un vaccin ou une infection. Mais de nombreuses personnes dans le monde aujourd’hui n’ont pas encore eu le covid ou le vaccin. Les derniers chiffres révèlent que près de trois milliards de personnes ont été entièrement vaccinées. Ajoutez-y les personnes qui ont eu une infection et vous n’aurez que la moitié de la population mondiale. En déployant les vaccins à l’échelle mondiale, il est possible d’augmenter la vitesse.
Selon Van Hee, il existe un problème supplémentaire. Les vaccins n’ont pas encore pu faire suffisamment leur travail parce qu’il y a un groupe important que nous n’avons pas encore vacciné. « Avec le variant original de Wuhan, les enfants ne tombaient pas malades en si grand nombre. Le variant delta, beaucoup plus contagieux, a inversé cette tendance. Il semble que les enfants soient le moteur de la quatrième vague. Ils peuvent désormais transmettre le virus aussi rapidement que les adultes. Nous n’en connaissons pas l’effet pour l’instant, mais peut-être n’aurions-nous pas connu une quatrième vague aujourd’hui si nous avions vacciné les enfants dès l’âge de six ans. La rougeole et la varicelle sont également des maladies contre lesquelles nous vaccinons et revaccinons les jeunes enfants. D’ailleurs, je ne serais pas surpris qu’un nouveau variant apparaisse cet hiver, contre lequel les vaccins seront encore efficaces, mais peut-être pas dans tous les groupes d’âge ».
Leçon principale
Entre-temps, nous savons que le virus de l’influenza responsable de la grippe espagnole n’a jamais disparu, mais a évolué pour devenir un phénomène endémique. « Endémique » signifie qu’un virus circule de manière stable et prévisible dans la société. La maladie ne submerge pas notre système, mais elle ne disparaît pas non plus.
Heureusement, aujourd’hui, le variant moderne du virus H1N1 ne fait plus des millions de victimes comme en 1918-1919. En effet, le système immunitaire humain est devenu capable d’écarter – dans la plupart des cas – les complications mortelles.
La plupart des experts s’attendent au même scénario pour le covid-19. Si l’immunité contre le covid est suffisamment durable et que le virus ne mute pas trop, les vagues finiront par se calmer. Ou pour le comparer à un autre phénomène naturel : un feu de forêt ne s’éteint pas tant que tout le bois n’a pas brûlé.
Van Hee est également convaincu que nous devrons vivre avec le covid à l’avenir, avec ou sans variants. Bien qu’il soit impossible de dire avec certitude si le covid-19 sera un virus de rhume inoffensif ou un covid hivernal sérieux d’ici l’hiver 2022, par exemple. L’imprévisibilité est en effet la raison d’être d’un virus.
Mais la leçon la plus importante pour Van Hee va au-delà du virus. La pandémie a montré à quel point le monde était mal préparé aux crises sanitaires, malgré les avertissements selon lesquels les grandes épidémies étaient inévitables. « Notre système de soins de santé mérite une plus grande reconnaissance financière et de meilleures conditions de travail. Les infirmiers ont reçu une petite augmentation et on leur a dit de se débrouiller. Si nous ne changeons pas notre système de santé et ne garantissons pas des soins plus adéquats dans les centres de soins résidentiels, l’histoire se répétera. Parce que la prochaine pandémie arrive. C’est certain. »
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