Covid: « Il faudra peut-être même une quatrième dose ou une cinquième. Et alors ? »
L’infectiologue Nathan Clumeck revient dans un livre clair, précis et sans tabous sur les différentes questions et hypothèses qui perdurent autour du covid et des vaccins. Un ouvrage d’utilité publique. Entretien.
La meilleure arme pour venir à bout de son ennemi est de bien le connaître. Près de deux ans après son apparition, on connaît un peu mieux le virus qui fait vaciller le monde. Il reste cependant encore beaucoup de rumeurs et de craintes non fondées autour du virus, son apparition ou encore les vaccins. Nathan Clumeck, chef de service honoraire des maladies infectieuses à l’Hôpital universitaire Saint-Pierre à Bruxelles et professeur émérite en maladies infectieuses à l’Université libre de Bruxelles vient de sortir, « La Menace virale », un livre qui reprend en 14 points les principales questions et y répond de façon aussi simple que limpide. Interview d’un éminent spécialiste des maladies infectieuses.
Le bandeau de votre livre indique que les vaccins ne vont pas suffire, n’est-ce pas induire un doute sur l’utilité des vaccins ?
Le but est justement de répondre à ceux qui doutent, ceux qui sont dans la zone grise. Soit ceux qui ne sont pas franchement contre, mais qui n’arrivent pas à comprendre pourquoi ils devraient se faire vacciner. Or il y a de vrais arguments pour le faire. Pour se faire entendre et convaincre, on doit aussi comprendre les points de vue et les craintes de chacun. Alors oui, on doit refaire une troisième dose, oui il y a des vaccinés qui sont hospitalisés, voire des personnes qui décèdent alors qu’elles sont vaccinées. Tous ces arguments, je ne les nie pas, mais je les situe dans un contexte où je les compare aux non-vaccinés. Et ce que l’on constate, c’est que lors de la première année, où il n’y avait pas de vaccins, on a eu 20.000 morts en Belgique. Nous sommes aujourd’hui, à la fin de la deuxième année, autour de 7.000 morts et ça c’est grâce aux vaccins. Ce n’est pas zéro, mais on en voit tout de même l’utilité. Alors c’est vrai qu’avec le temps, le taux de protection diminue et qu’on a constaté que six mois après une deuxième dose, certains étaient à nouveau infectés. Mais on a aussi vu que cela ne menait pas à des hospitalisations en masse. La troisième dose sert donc surtout à rebooster l’immunité, elle permet au corps d’envoyer directement l’artillerie lourde pour se protéger. Il faudra peut-être même une quatrième dose ou une cinquième. Et alors ? Qu’est-ce que ça demande comme effort ? Une injection dans le bras qui est majoritairement bien supportée.
Dès lors pourquoi la vaccination ne suffira-t-elle pas ?
Au début, on pensait que les vaccins allaient bloquer la maladie, qu’on allait parvenir à une immunité de groupe, mais on se rend compte aujourd’hui que ça ne bloque pas la transmission. Qu’on transmet le virus malgré qu’on soit vacciné. C’est vrai, moins que chez les non-vaccinés, mais quand même. Le vaccin n’empêche donc pas le virus de circuler. Il faut désormais trouver des choses en plus. Par exemple le port du masque pour les personnes les plus fragiles même vaccinées, une meilleure ventilation ou encore les traitements antiviraux qui pourraient révolutionner la donne, car ils permettent de bloquer le virus. Ces derniers donnent d’ailleurs vraiment de l’espoir, car contrairement au traitement contre le sida que l’on doit prendre à vie, le virus du covid pourrait être éliminé du corps avec un traitement de 7 à 10 jours, car il est beaucoup moins complexe. Le jour où on aura un traitement d’association d’antiviraux, on aura une arme qui changera le cours de la pandémie. Et on a de bonnes raisons d’espérer puisqu’on a déjà trouvé deux antiviraux très prometteurs. Ces quatre axes ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils peuvent et même devraient être combinés.
Et l’un des axes de protection préventive est clairement une bonne ventilation
A travers les pandémies, on a appris comment se protéger. Le choléra était par exemple transmis par l’eau et à partir du moment où on a commencé à traiter l’eau, il a pratiquement disparu. On sait que le covid est un virus qui a une transmission aérogène, soit qu’il se transmet par l’air. Hé bien contrôlons la pureté de l’air, c’est logique. Des lieux de vie avec un air sain est un concept de santé. La qualité de l’air, ou au contraire la pollution de l’air, ont une influence sur la santé. Je plaide pour qu’on instaure des nouvelles normes aux bâtiments en ce qui concerne la ventilation pour que ceux-ci soient ce que j’appelle covid safe. Des normes qui risquent d’ailleurs de ne pas exclusivement servir pour le covid. Contrôler l’air pourra aussi se révéler utile en cas de nouveau virus qui eux aussi risquent de se transmettre par l’air, car, du point de vue du virus, ce mode de propagation est de loin le plus avantageux, puisque tout le monde est bien obligé de respirer.
Omicron et ses mutations risque-t-il de changer la donne ?
Il est encore trop tôt pour savoir s’il va provoquer les mêmes dégâts que le variant Delta. La vérité c’est qu’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Plusieurs scénarios sont possibles et c’est pour cela qu’il faut investir dans la ventilation, des vaccins qu’on peut adapter, mais surtout des traitements antiviraux qui peuvent bloquer la maladie. Si on peut combiner tout cela, l’avenir sera moins sombre que maintenant. Il y a aussi la nécessité de continuer à vacciner les personnes âgées et vulnérables, soit celles qui ont une infection chronique, qui sont en surpoids, et ce quel que soit leur âge, même pour les enfants. Beaucoup l’ignorent, mais le poids est un facteur bien connu maintenant. En réanimation, la moitié des patients sont en surpoids. Le virus trouve refuge dans le gras d’où il instaure un phénomène inflammatoire qui provoque des complications graves.
Il faudrait donc plutôt protéger les gens que chercher à éradiquer le virus ?
En réalité il y a deux aspects à cette pandémie. Il y a d’un côté la transmission du virus et de l’autre la maladie. Et c’est surtout la seconde qui a un impact sur la société. Attention, je ne dis absolument pas qu’on doit laisser libre cours au virus. Au début, on parlait de laisser faire l’immunité de groupe, mais celle-ci n’est formidable que si on est en bonne santé et représente donc un risque pour ceux qui sont plus fragiles. Et c’est oublier que le covid long peut également toucher des personnes jeunes, en bonne santé et qui n’ont eu que de faibles symptômes. C’est un des aspects souvent oubliés et qui est pourtant un vrai argument pour la vaccination. Il y a eu des jeunes qui ont eu un covid léger, mais qui ont par la suite développé un covid-long qui a eu des conséquences très dommageables sur leur qualité de vie. A ma connaissance, je ne pense pas que des personnes vaccinées aient développé un covid long, même si on ne peut pas encore le garantir par manque de recul. Mais j’insiste, plutôt que de contrôler la transmission, on doit absolument se focaliser sur les plus vulnérables qui ne sont pas vaccinés et qui sont à risque, car c’est eux qui arrivent en majorité dans les hôpitaux.
Vous n’êtes dès lors pas pour la vaccination obligatoire des enfants ?
Aujourd’hui, si on les vaccine, c’est surtout pour empêcher la transmission du virus. Or cet aspect pourrait être remis en question. On dit que c’est pour empêcher le virus de muter sauf que les mutations viennent de l’étranger et que là-bas il n’y a pas les taux de vaccination qu’il y a chez nous. Et puis, on le remarque avec ce nouveau pic, la vaccination n’empêche pas complètement le virus de circuler. Si l’enfant fait des bronchites chaque année, a de l’asthme ou une maladie chronique, la vaccination peut être une protection supplémentaire, mais pour un enfant en pleine santé on ne doit pas culpabiliser les parents. La vaccination des enfants devrait être optionnelle. Ce n’est en soit pas un problème qu’un virus circule parmi les enfants, car ceux-ci ont déjà d’autres virus comme le CRV, pour lequel on ne ferme pas les écoles et qui pourtant peut aussi mener à des hospitalisations. Imposer la vaccination obligatoire pour tous risque de provoquer une incompréhension auprès de la population, et c’est d’ailleurs un des points de ceux qui manifestent. Par contre si on le rend obligatoire pour les personnes fragiles, les personnes âgées et, j’insiste, les jeunes qui ont des facteurs de risques comme l’obésité ou des traitements pour une greffe, qui sera contre, franchement ? Si on applique la stratégie à la protection des gens plutôt qu’à chercher à éliminer la circulation du virus, on a de réelles chances d’avoir une plus grande adhésion de la population. Mais il s’agit là d’un changement complet de paradigme et ce n’est pas ce qu’on fait en ce moment.
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