Carte blanche
Covid et canicule. Nos experts sont-ils les meilleurs ? (carte blanche)
L’épidémie de Covid19 dure depuis assez longtemps. Assez longtemps pour que nous ayons appris certaines choses, mais pas assez longtemps pour pouvoir compléter nos connaissances.
Devant la première vague, les décisions prises étaient un peu instinctives, désespérément moyenâgeuses à la façon de la peste noire : tout le monde à la maison, ni sortir ni s’embrasser ni se toucher ni se parler ni se rencontrer, juste faire ses courses tout seul à distance mais sans masque car les masques ne servaient à rien, sauf pour le Professeur Gala. Et là-dessus, tout le monde était d’accord, il ne fallut pas insister.
Ce fut plus compliqué un peu plus tard, quand les hôpitaux (où seules les « Unités Covid » se remplissaient et les autres étaient souvent vides) ne furent pas submergés (même si le personnel le fut), quand les Unités de soins intensifs se remplirent mais sans être débordées (au pire moment il y eut près de 1300 patients au Soins intensifs pour une capacité d’environ 2000 lits) quand le nombre de morts augmentait mais n’était pas catastrophique. On créa des commissions d’experts sanitaires pour évaluer, conseiller, dicter les règles. Des commissions économiques pour expliquer aux gens restés chez eux sans travailler comment survivre. Des commissions de communication pour entretenir la peur, car les gens commençaient à se lasser, en choisissant les chiffres sur lesquels insister en levant la voix et ceux à mentionner en passant sans s’attarder et à voix basse, en imposant le port du masque car les masques étaient devenus utiles pour tous les Professeurs unanimes. En insistant sur les morts, en montant en épingle des cas exceptionnels mais pouvant susciter l’angoisse, en faisant du Covid le seul sujet omniprésent pendant des semaines, en entretenant l’inquiétude des Belges devant le journal télévisé journalier. Un premier gros problème fut l’omniprésence exclusive des virologues et épidémiologues. On avait oublié les gériatres, pour une maladie qui choisit ses victimes mortelles de préférence, sinon seulement, parmi les gens de 65 ans et plus. Ainsi, lors de cette première vague 50% de morts sont morts dans des maisons de repos. Les experts s’occupaient de virus, non de vieux.
Puis vint le déconfinement. Celui-ci disait plus vite, celui-là plus lentement. Les bulles pouvaient grandir ou rétrécir. On pouvait recommencer à travailler, ou on devait rester à la maison. On pouvait aller à l’école ou non. On imposait un test PCR à tout le monde, ou seulement aux symptomatiques ? Avec l’été et la quasi disparition de la maladie la normalité revint à la vie, les restrictions furent limitées. On pouvait à nouveau aller au restaurant, tout en donnant ses coordonnées aux restaurateurs qui ont rempli inutilement des feuilles et des feuilles de données des clients que personne ne réclama jamais. Mais les experts nous ont avertis : tout ce relâchement irresponsable et coupable serait coupable et responsable d’une deuxième vague !
Et la deuxième vague vint. Les mesures de restriction réapparurent, annoncées par les experts, puis adoptées par le gouvernement obéissant. On avait l’impression que les experts ne faisaient pas qu’énoncer des avis, non, ils ordonnaient, et ils continuent de le faire. Le gouvernement suit dans la grande majorité des cas, on dirait qu’il n’ose pas s’écarter des ordres reçus. Ainsi nous avançons à coup d’expert menaçant quand les chiffres empirent, et tout autant à coup menaçant d’expert quand les chiffres s’améliorent. Et qu’on n’ose pas lever la voix pour réclamer des ouvertures, des droits, des libertés. Illico le choeur d’experts se lève comme un seul homme : les variants ! Les vacances dans des zones rouges ! La troisième vague ! Il n’est pas question de changer avant mai, juin, qui sait ?
Dernièrement les experts et le gouvernement semblent heureux de constater que la situation belge, lors de cette deuxième vague, est meilleure que dans les pays voisins. Ils mettent cette bonne impression sur l’effet de nos mesures de confinement, strictes mais humaines. Ce bon résultat montre que nos mesures sont efficaces, et que grâce à elles nous contenons l’épidémie bien mieux qu’ailleurs. Au point tel que maintenant on nous interdit de nous exposer en visitant des contrées proches mais étrangères.
Il est rare que nos autorités, et encore moins nos experts, se remettent en cause. Qu’ils se posent publiquement des questions pour vraiment savoir si leurs avis étaient appropriés, si leurs décisions étaient correctes. Au bout d’un an d’épidémie il y a un moyen d’approcher ces questions et d’essayer d’y apporter des réponses.
Si on se réfère à l’Europe, chaque pays a adopté des mesures propres, sans unanimité. Certains ont ordonné un couvre-feu. Ce couvre-feu pouvait débuter à 18 heures, ou à 20 heures, ou à 22 heures si pas à 24H, et se terminer à des heures tout aussi variables. Certains ont fermé les écoles, totalement, partiellement, pour des périodes variables de quelques jours à quelques semaines voire des mois. Les distances entre les gens censées les protéger variaient de 1 à 2 mètres. Les masques étaient ici imposés, là conseillés ; parfois toujours en dehors du domicile, d’autres fois seulement dans des lieux confinés ou les transports en commun. Les bulles variaient grandement en taille d’un endroit à l’autre et d’un moment à un autre. Bref, toutes les mesures Corona étaient à l’avenant, différentes d’un pays à l’autre. Quelle magnifique opportunité pour découvrir quelles mesures avaient le mieux fonctionné, avaient le mieux protégé la population ! Il suffisait de comparer les résultats de ces mesures pays par pays, et voir lequel avait obtenu le plus bas taux de… De quoi ?
Le taux de contamination n’est pas utile. En effet, les contaminations sont obtenues en comptant les tests PCR (ou antigéniques) positifs. Mais le nombre de tests positifs ne tient pas compte de toutes les personnes contaminées et non testées car asymptomatiques. Il est donc trompeur.
Le mieux serait de prendre comme étalon le taux de mortalité. C’est un chiffre dont la base de calcul, les personnes décédées avec un diagnostic confirmé de Covid, ne varie pas d’un pays à l’autre, sauf peut-être en Belgique où les autorités scientifiques, les experts, ont compté les décès confirmés et les décès suspects (essentiellement les anciens morts en maison de repos sans test PCR lors de la première vague), mais il faut faire confiance à nos experts, virologues et autres épidémiologues. Ils savent ce qu’ils font.
Cependant, avant de comparer les taux de mortalité et conclure qu’ils reflètent bien l’efficacité des mesures ordonnées par les experts et appliquées par les autorités, il faut tenir compte que le taux de mortalité peut être influencé par d’autres paramètres que les mesures anti Covid. Par exemple, si un pays a beaucoup plus de personnes âgées qu’un autre, il est possible que le premier ait un taux de mortalité plus élevé car le SARS-CoV-2 s’attaque de préférence aux vieux. Cependant, en Europe les pyramides de population des différents pays sont relativement semblables, de façon que cet aspect peut être éliminé comme pouvant perturber notre étalon. De même, si un pays a vacciné sa population davantage et plus vite qu’un autre, ceci va aussi influencer le taux de mortalité. Mais comme en Europe aucun pays n’a vacciné en 2020, cet aspect peut aussi être écarté. Finalement, en Europe, tous les facteurs qui pourraient perturber la relation entre les mesures anti Covid el le taux de mortalité sont tellement semblables (exception faite de la remarquable simplicité de nos institutions) qu’on peut considérer qu’ils ne changeront pas fondamentalement le rapport entre les mesures anti Covid et notre étalon d’efficacité, le taux de mortalité, qui n’est autre que le rapport entre le nombre de morts Covid dans un pays donné et la population du pays. Il est généralement présenté comme nombre de morts par million ou par 100.000 habitants. L’Organisation mondiale de la santé présente les chiffres dans son site web sur la pandémie comme décès par 100.000 habitants.
Dans ce site très intéressant, actualisé chaque jour et consulté pour la dernière fois ce 17 février 2021, et si on exclut San Marino et Gibraltar de par leur trop petite taille, on retrouve parmi les 10 pays avec le taux de mortalité le plus élevé au monde, 9 pays européens. A savoir, par ordre alphabétique: Belgique, Bosnie-Herzégovine, Hongrie, Italie, Macédoine du nord, Portugal, Royaume Uni, Slovénie et Tchéquie. Le plus mauvais résultat est obtenu par la Slovénie, 191 morts par 100.000 habitants, suivie de près par notre Royaume de Belgique avec 187 morts par 100.000 habitants. Le Royaume Uni se classe troisième, mais avec seulement 173 morts par 100.000 habitants, tous les autres s’étalant jusqu’à la Hongrie avec 142 morts par 100.000 habitants. Remarquons que la France et l’Espagne, montrés du doigt par beaucoup, ne figurent même pas parmi ces pires élèves de la classe.
On peut conclure avec assez de certitude que les mesures ordonnées par les experts, appliquées par nos autorités tout au long de 2020 et maintenues envers et contre tout en 2021 nous ont placés dans la pire situation possible par rapport à l’épidémie, sans offrir une meilleure protection que le reste de l’Europe, en ce y compris la Suède, les Pays Bas et les autres pays qui ont confiné moins violemment, moins longtemps, en restreignant moins les libertés de tout un chaque un. Ce constat, tout en étant d’une extrême gravité (les Belges ont été le peuple le moins bien protégé du Covid par les experts et les autorités pendant l’année 2020) n’est pas tout.
Si on regarde avec attention le site de l’organisation Euromomo, qui surveille la mortalité parmi un certain nombre de pays d’Europe, on observera un curieux phénomène. Il faut signaler tout d’abord que les statistiques d’Euromomo concernent la mortalité générale, c’est-à-dire tous les morts, quelle que soit la cause, Covid ou autre. Le site montre avec assez de clarté la présence, en 2020, de deux gros épisodes de surmortalité (c’est-à-dire une mortalité avec un très important excès par rapport aux décès des années précédentes). Le premier est situé fin mars début avril, le deuxième commence en octobre et se prolonge jusqu’à la fin de l’année. Ils correspondent bien entendu aux deux vagues de l’épidémie. Quoiqu’il y ait des pays comme l’Estonie, le Luxembourg ou la Norvège où ces épisodes ne sont pas apparents (il n’y a pas eu, dans ces pays, de surmortalité), et d’autres où la surmortalité a été de faible ampleur (comme la Grèce, l’Allemagne ou la Suède), d’autres pays ont souffert ces deux épisodes avec une surmortalité très importante (Italie, France, Espagne, Belgique, Royaume Uni). Cependant, ce qui attire l’attention est la présence, dans un seul pays, la Belgique, d’un troisième épisode de surmortalité très important situé entre les deux autres, au milieu du mois d’août. Il s’agit de personnes qui ne sont pas mortes du Covid, elles sont mortes pendant la canicule d’août 2020. Plus de 1400 personnes sont mortes en plus des décès attendus en moins de deux semaines. Le site officiel Statbel montre que cette surmortalité du mois d’août n’a touché que des personnes de 65 ans et plus, et Sciensano l’attribue à la canicule. Il n’y eut cette hécatombe dans aucun autre pays surveillé par Euromomo. Seule la Belgique montre cette surmortalité très significative, alors que la canicule n’a pas sévi qu’en Belgique. Elle s’est étendue avec la même force dans l’ouest de l’Allemagne, le Luxembourg, le nord de la France et les Pays Bas. Mais, cela vaut la peine d’être répété, seule la Belgique a connu une telle ampleur de surmortalité.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher ces deux tristes distinctions : la Belgique, le pays avec le plus haut taux de mortalité non pas en Europe mais dans le monde entier quasi ex-aequo avec la Slovénie, et le seul pays d’Europe où la canicule d’août 2020 a fait autant de morts. Car même si à ce moment le confinement avait été allégé en Belgique, les conséquences du premier confinement se faisaient encore sentir autant parmi le personnel des maisons de repos par exemple que parmi les personnes âgées confinées dans ces maisons de repos ou même chez elles et empêchées de maintenir librement des contacts sociaux. On disait que grâce à ses mesures, les ainés étaient protégés.
Avec ce constat d’échec sur toute la ligne, avec le pire bulletin de mortalité au monde, avec le plus mauvais niveau de protection non seulement pour le Covid mais aussi pour la canicule (ignorée des virologues mais pas des épidémiologues), je me pose des questions. Comment nos experts et nos autorités osent-ils encore défendre leurs mesures, les maintenir et crier au loup quand on demande leur simple allègement ? Comment osent-ils se présenter devant les journalistes pour pérorer comme s’ils savaient de quoi ils parlent, comme s’ils ignoraient les effets de leurs mesures ? Ne connaissent-ils pas les sites de l’OMS, de Statbel, d’Euromomo, accessibles à quiconque veut s’informer ? N’ont-ils pas honte d’être à la tête des pires statistiques au monde ? Ne s’interrogent-ils pas sur le rapport plausible et même plus que probable entre leur conduite des mesures sanitaires, le cortège de catastrophes en tous genres qu’elles engendrent et les misérables résultats qui en découlent ?
Certains diront que sans ces mesures la situation serait pire. Des pays d’Europe et même du monde entier qui ont agi différemment, avec des mesures plus mesurées, différentes, plus rigoureuses ou moins strictes, aucun pays ne présente un bulletin aussi mauvais que le nôtre. On a l’impression que les mesures Corona ont eu autant d’effet que les processions au Moyen Age. Les experts et les autorités devraient se poser des questions, nous expliquer ces faits, se justifier.
Daniel Rodenstein – Médecin retraité
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