Couleur, taille des pupilles… Comment nos yeux peuvent révéler certaines maladies
Un examen ophtalmologique peut mettre en évidence des anomalies ou révéler les signes de pathalogies naissantes ou installées. Se préoccuper de la santé de ses yeux, c’est donc aussi se préoccuper de son état général.
Si la fonction la plus évidente de l’œil est de capter la lumière renvoyée par les objets et de transformer l’information en signal à destination du cerveau, l’organe s’avère être également une précieuse source d’informations sur notre état de santé. Un examen poussé des yeux peut en effet révéler une multitude de pathologies, bénignes ou graves, ou venir confirmer un premier diagnostic.
Pour faire parler les yeux, l’ophtalmologue aura recours à différents tests. Le plus courant, la réfraction, permet d’identifier la myopie, l’astigmatisme ou la presbytie. Plus approfondi et plus complet, l’examen du fond de l’œil scrute les structures à l’arrière du cristallin.
Depuis une vingtaine d’années, les praticiens utilisent une technique d’imagerie particulière, l’OCT ou tomographie en cohérence optique. Elle permet d’examiner les différentes parties de l’œil – cornée, rétine, nerf optique, chambre antérieure (l’espace entre l’iris et la surface la plus interne de la cornée), angle irido-cornéen (angle délimité par la face antérieure de l’iris et par la face postérieure de la cornée) – sans que le patient ne ressente la moindre douleur.
L’OCT fonctionne un peu comme un scanner mais équipé d’un laser infrarouge, donc non irradiant, dont les rayons en se réfléchissant sur les tissus de l’œil donnent une image anatomique très précise, de l’ordre du micron, en quelques secondes. L’examen contribue non seulement à établir un diagnostic mais également à suivre les effets d’un traitement et à pouvoir ainsi l’adapter pour obtenir de meilleurs résultats.
Pâle, jaune, rouge
Que peuvent donc faire transparaître nos yeux? Tout dépend de ce qu’on observe ou de ce qu’on cherche. Cécile Andris est neuro- ophtalmologue et cheffe de clinique ophtalmologique au CHU de Liège. Elle scrute le fond des yeux de ses patients depuis plus de 25 ans.
«Certaines couleurs ne trompent pas», commence-t-elle. Dans une conjonctive trop pâle, elle voit un signe d’anémie. Dans une autre, un peu trop jaune, la probabilité d’une pathologie hépatique ou d’un cas de maladie de Gilbert. Ce trouble du métabolisme, souvent découvert par hasard et héréditaire, est lié au fait que le foie ne parvient pas à traiter correctement la bilirubine, un pigment de couleur jaune présent dans la bile et, en quantité moindre, dans le sang.
Le rouge doit aussi être perçu comme un signal d’alerte. «Une conjonctive rougie peut trahir une simple sécheresse oculaire pouvant notamment être liée à une surexposition aux écrans, ou bien un traumatisme, la présence d’une bactérie ou encore une maladie auto-immune. La spondylarthrite ankylosante, par exemple. Ces maladies auto-immunes se manifestent sous la forme d’une inflammation de l’uvée (NDLR: couche intermédiaire pigmentée du globe oculaire) ou de la sclère (NDLR: partie blanche de l’œil) qui peut affecter la vision. Une uvéite peut aussi apparaître chez les patients atteints de VIH ou de syphilis», décrit la Dr Andris. Les autres symptômes les plus courants de l’uvéite et de la sclérite sont une douleur profonde, une photophobie et un larmoiement. Une inflammation de l’œil peut également révéler une maladie inflammatoire qui touche généralement les poumons, la sarcoïdose. Dans 10% à 20% des cas de sarcoïdose, on observe en effet une uvéite, une conjonctivite ou une atteinte de la rétine et du nerf optique.
Origine neurologique
La position des paupières ou la taille des pupilles peuvent aussi être annonciatrices de problèmes de santé. Les patients atteints d’une maladie thyroïdienne sont susceptibles de présenter des paupières rétractées et des yeux globuleux. Ce regard écarquillé est provoqué par un dysfonctionnement de la glande thyroïde, entraînant une atteinte des paupières, de l’orbite et des muscles qui entourent l’œil, ainsi qu’une augmentation du volume de la graisse orbitale. Il peut aussi être le signe de la présence d’une tumeur orbitaire. Un affaissement de la paupière, ou ptosis, est d’abord le signe d’une paralysie d’un nerf crânien ou oculomoteur, ou d’une dissection de l’aorte carotide. Cette anomalie peut résulter d’une pathologie vasculaire, comme le diabète, mais aussi d’une compression par un anévrisme. Une autre cause, plus rare, est une maladie auto- immune appelée myasthénie.
«Une anomalie de taille des pupilles, congénitale chez 20% de la population, de moins d’un millimètre et stable à la lumière et à la pénombre, est rassurante. Il ne s’agit là que d’une simple variante anatomique. Par contre, si l’anomalie n’est pas congénitale mais acquise, elle doit faire redouter un certain nombre de pathologies neurologiques graves comme un anévrisme, une dissection vasculaire, un traumatisme crânien ou, chez l’enfant, un neuroblastome (NDLR: tumeur maligne solide extracérébrale). Bien sûr, il faut au préalable exclure des causes locales comme une uvéite ou une lésion du sphincter de l’iris», expose encore Cécile Andris. Les yeux vairons, comme ceux d’Alexandre le Grand, sont quant à eux liés à une anomalie pupillaire congénitale mais ne sont le signe d’aucune pathologie sous-jacente.
L’étude détaillée de la motricité oculaire est également importante pour dépister un déséquilibre du regard (phorie oculaire) pouvant entraîner un état de fatigue chez les personnes habituées à travailler devant un écran d’ordinateur. «L’approche d’un patient sujet aux vertiges peut permettre d’étudier le tremblement des yeux et parfois de l’aider à compenser son déséquilibre en améliorant sa correction optique et en le corrigeant au moyen de prismes. Le but est d’améliorer ce qu’on appelle l’afférence visuelle.» Toutefois, une personne qui se mettrait brutalement à voir double doit impérativement se faire examiner, car il pourrait s’agir d’un anévrisme, d’un AVC ou d’une tumeur.
Plus de la moitié des fonctionnalités de notre cerveau est dédiée à la vision.
Détecter la maladie d’Alzheimer
L’examen du fond d’œil contribue aussi à révéler les conséquences d’une hyper- tension artérielle ou d’un diabète sur les artères de la rétine. «Il existe un lien entre l’état des vaisseaux de la rétine et ceux du cerveau, confirme la neuro-ophtalmologue. Certaines lésions comme des druses – des amas jaunâtres visibles au fond de l’œil et liés au vieillissement – se rencontrent dans la maladie d’Alzheimer. Par contre, si ces amas sont observés dans la zone centrale de la rétine, et non en périphérie, ils ne sont pas le signe d’un Alzheimer mais d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) pouvant mener à la perte de la vision centrale.»
A noter que des lésions ophtalmo- logiques, une conjonctivite ou encore une atteinte de la rétine, ont souvent été observées chez des patients atteints d’une forme sévère de Covid-19. En février 2021, une étude menée par des neuroradiologues français et publiée dans la revue Radiology, dévoilait que des anomalies du globe oculaire ont aussi été détectées à l’IRM chez certains patients.
« Une perte de vision partielle ou totale, même si elle temporaire, n’est jamais anodine ».
Cécile Andris, neuro-ophtalmologue au CHU de Liège
Le nerf optique, enfin, peut lui aussi être la cible d’une multitude de pathologies neurologiques et systémiques. «Le gonflement du nerf optique révélera une hypertension intracrânienne liée à une tumeur, une hémorragie, une thrombophlébite cérébrale ou une pathologie bénigne, principalement chez la jeune femme en surpoids et qui présente des variations hormonales. L’atteinte du nerf optique peut être vasculaire, inflammatoire comme dans la sclérose en plaques, ou imputable à d’autres pathologies immuno-inflammatoires plus rares liées à certains anticorps et pour lesquelles les traitements sont totalement différents. Il est important pour les neurologues qu’une inflammation du nerf optique, même discrète, soit diagnostiquée pour permettre un traitement précoce de la maladie neurologique sous-jacente.»
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A nouveau, la tomographie en cohérence optique (OCT) offre la possibilité d’émettre des hypothèses sur l’origine de cette inflammation du nerf optique. Il peut s’agir de causes génétiques, comme c’est le cas pour la neuropathie optique héré- ditaire de Leber (NOHL), une maladie génétique mitochondriale rare dont la prévalence est estimée à une personne sur 30 000 à 50 000 en Europe du Nord et pour laquelle un nouveau traitement a été mis au point.
L’atteinte du nerf optique peut également être traumatique, infectieuse ou résulter d’une compression exercée par une tumeur cérébrale. «L’étude du champ visuel et de l’OCT du nerf optique permettra de déceler des compressions lentes du nerf optique par des tumeurs bénignes comme les adénomes de la glande hypophyse ou des méningiomes en cas de mauvaise vision mal expliquée. Il est même possible de prédire la récupération après l’opération neurochirurgicale grâce à l’étude des cellules ganglionnaires.»
Une perte de vision partielle ou totale, même si elle temporaire, n’est jamais anodine et ne doit jamais être prise à la légère, conclut Cécile Andris. Il est important de garder en tête que plus de la moitié des fonctionnalités de notre cerveau est dédiée à la vision. Et que les aires visuelles communiquent en permanence avec d’autres aires cérébrales dédiées à la mémoire, au langage ou encore aux émotions. Nos yeux sont bien plus que deux fenêtres sur le monde extérieur.
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