Coronavirus, Sras, pestes, grippe espagnole… la perpétuelle peur des pandémies
Le coronavirus ne fait pas figure d’exception. Que ce soient les différentes formes de pestes au Moyen Age, la grippe espagnole en 1918, le Sras en 2003, les pandémies ont effrayé à travers l’histoire. Mais le Covid-19 n’est pourtant pas tout à fait comme les autres. Décryptage.
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Regards suspicieux, écharpe remontée, sièges vides autour d’Asiatiques, depuis l’apparition du coronavirus, ces actes se sont décuplés. Un racisme médical qui a déclenché le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus, avec des milliers de témoignages d’Asiatiques sur les réseaux sociaux. Un phénomène de bouc émissaire loin d’être nouveau. Une constante même, qui accompagne les épidémies : la recherche de coupables. Ainsi, pendant les quatre siècles – du xive au xviiie siècles – durant lesquels la peste sévissait en Europe, les fautifs désignés ont toujours été les mêmes : l’étranger, le pauvre, le vagabond, le juif ; des cibles parfaites et facilement repérables. Les pays voisins étaient aussi incriminés, de préférence ceux avec lesquels on était en guerre. Plus tard encore, dans les années 1980, les homosexuels étaient accusés d’avoir propagé le virus du sida. Il n’y a pas d’épidémie sans pestiféré.
Le covid-19 ravive une crainte ancienne des maladies venues de Chine,
Il y a évidemment des peurs objectives, liées à la cruauté potentielle d’un virus et à son aspect contagieux. C’est un autre classique dans l’histoire des épidémies : face aux maladies virulentes, l’imaginaire d’une pandémie incontrôlable, dévastatrice, reprend vie. » Une épidémie est toujours précédée par d’autres récits. L’homme est déjà hanté par celles qui précèdent et par la projection de ce qu’elle peut devenir « , relève Guillaume Lachenal, historien des sciences à l’université Paris-Diderot, dans Libération.
Mais, voilà, le Covid-19 n’est pas tout à fait comme les autres. Il se montre emblématique, symbolique, dans la mesure où il associe à lui tout seul des craintes anciennes et des frayeurs modernes liées à la globalisation. Une simple toux, un simple éternuement suffiraient pour propager ce virus très contemporain. Il voyage par avion et prend pour cible les hommes d’affaires, les touristes et, par ricochet, le personnel soignant. Epidémie mondiale du xxie siècle, son histoire s’écrit partout, dans des pays, des régions qui multiplient les échanges. » Les épidémies contemporaines mettent en scène une peur de la mondialisation : l’autre n’est plus l’étranger qui vit parmi nous, comme par exemple dans l’imaginaire moyenâgeux ou antisémite, mais l’étranger qui prend l’avion pour commercer avec nous « , avance Frédéric Keck, anthropologue au CNRS et auteur de Sentinelles des pandémies.Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, à paraître en avril 2020 aux éditions Zones Sensibles.
L’homme, ce coupable
En même temps, la provenance de cette nouvelle épidémie ravive une crainte ancienne des maladies venues de Chine, et de » l’Orient » en général. Dans la deuxième moitié du xxe siècle, les grandes pandémies sont en effet surtout venues de Chine – de la » grippe asiatique » en 1958 au Sras en 2003. S’y ajoutent aussi des fantasmes sur » l’Orient » qui remontent à plus loin. Ainsi les premiers dispositifs de surveillance sanitaire internationale, établis au xixe siècle, visaient déjà à protéger les pays occidentaux du risque de maladies » exotiques » venues de l’Est – la Chine, mais aussi les pèlerins de La Mecque, par exemple – au moyen, notamment, de quarantaines. » Les Etats européens commencent à se soucier de la santé de leurs populations, et on pense alors que les maladies vont venir des colonies, des tropiques « , résume Frédéric Keck.
Les virus issus du réservoir animal réveillent également des peurs anciennes envers les bêtes. Car ces agents pathogènes causent des réactions immunitaires imprévisibles chez les humains. Ils rappellent surtout que l’homme a perturbé les écosystèmes dans lesquels il évolue depuis la domestication de l’animal. » Il a fallu beaucoup de morts humains pour apprendre à vivre avec nos animaux domestiques, comme le montre l’effondrement des populations amérindiennes sous l’effet des virus apportés par les Européens avec leurs animaux « , déclare ainsi l’historien Frédéric Keck. La déforestation et l’élevage industriel constituent des transformations similaires : les oiseaux et les chauves-souris apportent dans les villes des nouveaux pathogènes et réintroduisent le sauvage dans le domestique au sein d’une société occidentale de plus en plus hygiénisée et contrôlée.
La « fin de la géographie »
Il n’existe pas de vaccin contre le Covid-19. Un élément supplémentaire venant ébranler la confiance dans la science, selon Emmanuel André, médecin microbiologiste à la KULeuven, membre du centre de référence sur le coronavirus. Il évoque ainsi le choc psychologique » historique » qu’a été pour les Européens la découverte de nouveaux virus mortels : » Au début des années 1980, nous pensions avoir vaincu toutes les grandes épidémies, tuberculose, choléra, variole. Depuis, nous sommes confrontés, décennie après décennie, à des nouveaux agents pathogènes qui défient notre savoir médical : VIH-sida, syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), fièvre du Nil occidental, grippe aviaire, Mers, Ebola… »
Mais une fois connus les principes d’infection et de contagion, la peur changerait-elle de nature ? Pas vraiment. Le Covid-19 est un virus, pas une bactérie. La virosphère est un monde découvert récemment, uniquement visible au microscope électronique. Surtout, il demeure bien plus sournois qu’une bactérie : un virus a besoin d’utiliser notre propre machinerie cellulaire pour se reproduire. » Sa définition scientifique est donc assez anxiogène, car il fait partie de nous et cela d’une manière d’autant plus insidieuse qu’il peut parfois rester totalement silencieux « , explique Emmanuel André. Pour Paul Virilio, urbaniste et philosophe décédé en 2018, il y a pourtant bien de quoi avoir peur. Aujourd’hui, cette peur ferait même partie des données immédiates de notre conscience. Elle serait devenue notre environnement quotidien dans un monde saturé d’événements, de virus, de phobies : un sentiment dû à une hypermodernité qui abolit les distances, pollue l’espace et plonge les sujets connectés à l’actualité dans un live permanent. » Nous ne vivons pas la fin de l’histoire, mais la « fin de la géographie » » , conclut-il ainsi joliment dans son ouvrage L’administration de la peur (chez Textuel). A méditer.
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