Coronavirus: la menace des maladies émergentes est-elle prévisible ?
D’où viendra la prochaine pandémie meurtrière ? Comment le Covid-19 va-t-il évoluer ? Prédire l’évolution des maladies émergentes reste un défi pour les scientifiques et les décideurs. Les collectes des données des épidémies passées et les modèles mathématiques sont censés les y aider.
Quel sera le prochain virus tueur en série ? Où, quand et comment frappera-t-il ? Quels seront ses complices – vertébrés, moustiques ? Pour s’y préparer, les scientifiques épluchent en toute logique les pandémies d’hier. On sait, par exemple, que le virus de la grippe espagnole a tué en 1918-1919, 1 % à 2 % des personnes infectées, soit 50 millions d’individus à travers le monde. Mais pourquoi a-t-il décimé des sujets jeunes (de 20 à 40 ans) ? Pourquoi les personnes âgées y ont-elles échappé ? Quant au Covid-19, pourquoi sévit-il chez les sujets âgés, cardiaques ou davantage masculins ? Pourquoi épargne-t-il les enfants ? Les mystères restent entiers.
Mais la menace est-elle prévisible ? Comment de nouveaux virus apparaissent-ils ? Peut-on les prévoir et modéliser leurs évolutions ? Sujet polémique, sur lequel les experts s’opposent. Pour Peter Daszak, spécialiste des maladies infectieuses, prédire le risque est possible grâce à l’analyse des écosystèmes. A la tête d’EcoHealth Alliance, organisme américain dédié à la recherche sur la prévention des épidémies, Peter Daszak et son équipe ambitionnent de constituer une gigantesque base de données regroupant – jusqu’ici – près de mille virus inconnus, récoltés auprès de plusieurs centaines de mammifères sauvages » réservoirs « , ceux qui portent et transmettent les virus sans en être eux-mêmes infectés. Une fois ces virus prélevés, ces chercheurs dressent leur génome. Et à partir de cette information, essaient de déterminer les facteurs qui rendent des virus plus susceptibles de franchir la barrière des espèces, c’est-à-dire passer de l’animal à l’homme, puis d’être transmissibles entre humains.
Nous devons être prêts pour traiter toutes sortes de maladies qui peuvent nous atteindre.
» Une goutte d’eau dans l’océan, estime le professeur Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie au sein de la faculté des sciences de l’ULB. Il existe des centaines de milliers de virus, et seule une infime partie d’entre eux pourrait passer à l’homme. Si cette base de données permet sans doute de mieux comprendre les virus et leur évolution, elle ne permet pas de repérer celui qui pourrait nous infecter. » Une pêche à l’aveugle et une course sans fin, estime-t-il.
L’histoire des épidémies récentes semble lui donner raison. » Prenons Zika, raconte Steven Van Gucht, virologue chez Sciensano et président du comité scientifique pour le coronavirus. Quand l’épidémie a démarré en 2016 en Amérique du Sud, le virus et les symptômes qu’il provoque étaient archiconnus depuis les années 1950. Or, personne n’a vu venir l’épidémie. » Du coup, disposer d’un catalogue de virus hébergés par la faune sauvage n’aurait servi à rien.
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Difficile d’anticiper
Une certitude : prévoir les pandémies serait possible, simplement parce qu' » il n’existe pas de nouveaux virus chez l’homme et chez l’animal « , selon le docteur Emmanuel André, médecin microbiologiste à la KULeuven, membre du centre de référence sur le coronavirus. Ainsi, le Covid-19 circulait déjà chez les animaux avant sa transmission à l’homme. Le monde entier savait donc qu’il reviendrait un jour. Mais sans dire quand. C’est la difficulté majeure à laquelle sont confrontés les scientifiques : prédire à quel moment va (re)surgir un virus. Depuis longtemps, les virologues savent qu’un virus ne meurt pas, il reflue, il se cache et réapparaît un jour. Mais sa survenue reste un événement rare, accidentel, aléatoire.
Si les épidémiologistes ne peuvent donc anticiper quand un virus va se déclarer, ils peuvent » tenter de limiter ce qui relève du probable « , selon le professeur Marius Gilbert. Voici les armes dont ils disposent.
D’abord, ils suivent les virus à la trace. Un peu comme la surveillance des tremblements de terre, mais en plus compliqué. Ils surveillent ainsi les zones à risque, celles d’où les maladies sont le plus susceptible d’émerger. Où sont-elles localisées ? Là où vit une faune sauvage et un grand réservoir de mammifères. Ces régions sont fortement corrélées aux facteurs économiques (densité humaine et croissance de la population) et environnementaux (latitude, pluviométrie). Elles constituent dès lors des hotspots, de véritables portes d’émergence dans le monde, situées dans les zones tropicales d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. » Là où hommes et animaux sauvages cohabitent aussi dans une inquiétante promiscuité « , ajoute le professeur Marius Gilbert. D’où la surveillance internationale de ces » lignes de faille » où les humains et les animaux se rencontrent – parce qu’ils abattent des forêts, créent des marchés d’animaux denses, chassent des créatures sauvages pour leur viande, ou se déplacent beaucoup à cause de l’instabilité politique.
Moustiques et chauve-souris
Ensuite, avec le recul historique, les scientifiques commencent également à isoler les facteurs aggravants, des conditions qui favorisent l’apparition d’une épidémie. » Les moteurs de l’émergence d’une nouvelle maladie infectieuse sont des changements affectant le climat, l’exploitation agricole (la déforestation), les comportements humains (les déplacements, les migrations, les marchés d’animaux vivants et sauvages) « , liste Emmanuel André. L’épopée de la pandémie d’Ebola en a fourni une éclatante confirmation. Apparu en 1976 et d’abord circonscrit à l’orée des forêts, le virus n’a cessé de voir sa dangerosité croître à mesure qu’il a passé les frontières, touché le Liberia, la Sierra Leone voisine et menacé l’Europe et les Etats-Unis. » Car le virus avait emprunté d’autres routes, celles des humains, en l’occurrence il avait atteint les centres urbains, les grandes villes, où la densité de la population se révèle forte, et gagné un potentiel de contagion cataclysmique. »
Enfin, les scientifiques dressent des listes de possibles coupables. Le plus grand risque de transmission de virus sont des zoonoses virales – des maladies infectieuses qui se transmettent naturellement des vertébrés à l’homme. Et celles-ci, en particulier, connaissent un essor exponentiel, indépendamment de l’amélioration de la surveillance. Des travaux récents émergent des éléments marquants. Ainsi, les animaux les plus proches de l’homme, tant sur le plan géographique (comme les rats) que génétique (comme les singes), ont plus de risques de transmettre des virus. Les animaux grands réservoirs viraux d’une manière générale, comme les chauves-souris. ont également de plus grands risques de porter des virus capables de nous atteindre. Enfin, les virus transmis par les moustiques, tels la fièvre jaune, la dengue, le Zika et le chikungunya, qui peuvent infecter une grande variété d’espèces, tendent aussi à passer vers l’humain de manière plus efficace. De ces observations, les chercheurs ont cartographié les points chauds. Sont par exemple concernés les populations de chauve-souris en Asie et en Afrique ainsi que les rongeurs en Amérique du Nord et du Sud. » Ces cartes ne sont pas des prédictions mais elles permettent de mieux diriger les recherches « , précise Peter Daszak sur le site d’EcoHealth Alliance.
Autrement dit, le risque demeure toujours présent. » C’est pourquoi nous devons être prêts pour traiter toutes sortes de maladies qui peuvent nous atteindre « , avance Steven Van Gucht.
Une fois l’épidémie là, comment va-t-elle évoluer ? Dans quelles régions va-t-elle proliférer ? Pour répondre à ces questions, les scientifiques utilisent alors des modèles mathématiques, qu’il s’agisse du Covid-19 ou de la » classique » grippe. L’outil est désormais incontournable pour les choix des politiques de santé publique. Dans les situations de maladies émergentes devenues courantes, des décisions doivent être prises dans l’urgence afin de contenir la propagation de l’agent infectieux alors que les données sur la maladie manquent encore pour avoir une vision juste de la situation.
Simple en théorie mais, en pratique, le modèle se montre en effet éminemment complexe. Il repose sur deux facteurs : le taux de transmission d’un virus (le nombre d’infections causées par un individu porteur de l’agent infectieux) – de l’ordre de 3 pour le Covid-19 – et sa sévérité (le nombre de décès et de cas ayant nécessité une hospitalisation). Ces chiffres sont calculés à partir de ceux collectés sur le terrain. Les experts ajoutent à ces deux facteurs principaux différentes variables : le temps d’incubation (une moyenne de quatorze jours ici), les modes de transmission, l’existence ou non d’un vaccin… Or, au début d’une épidémie, les chiffres manquent et font transparaître alors des scénarios catastrophes. Par exemple, une projection estime que d’ici un an, 60 % de la population mondiale sera touchée par le Covid-19.
Tracer les déplacements
» Le rêve de tout modélisateur est d’avoir les meilleures données, signale Emmanuel André, de la KULeuven. Mais leur utilisation permet avant tout de se préparer au pire, de montrer là où il faut concentrer les efforts. » » L’avantage de ces modèles, c’est qu’ils testent différents scénarios, du plus alarmiste au plus optimiste, mais surtout, ils sont établis avant toute intervention et toute mesure de restriction de la part des autorités sanitaires. Tout l’enjeu est d’identifier les moyens de faire chuter le taux de transmission à une valeur inférieure à 1, seuil en dessous duquel une épidémie s’arrête « , explique le professeur Marius Gilbert de l’ULB.
A mesure que l’épidémie s’installe et que les données s’accumulent, les mathématiciens perfectionnent leur modèle et le calibrent en comparant les prédictions avec les données. Autrement dit, pour obtenir une modélisation fiable, la règle est simple : plus on connaît le virus, plus les hypothèses seront proches de la réalité. Mais ces modèles ne résistent toutefois pas à des phénomènes inattendus. S’ils aident à comprendre une épidémie, ils ne comprennent pas les comportements humains – le hasard, en fait. Ainsi lors de l’épidémie Ebola en République démocratique du Congo (RDC), les modèles n’avaient pas pris en compte la défiance de la population locale à l’égard du gouvernement central de Kinshasa.
Face à un instrument utile, mais imparfait, que faire ? Exploiter d’autres données désormais disponibles : le numérique et les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas ici d’utiliser les mots clés introduits dans Google et les consultations Wikipédia : cette méthode, expérimentée lors de la pandémie de 2009, s’est révélée peu fiable. » Il est certain qu’aujourd’hui s’il fallait procéder de la sorte, cela nous conduirait à des erreurs d’appréciation, souligne Steven Van Gucht. Etant donné le niveau d’alerte pour le Covid-19, il y a une volonté d’information au sein des populations. »
L’intérêt se situe ailleurs. Grâce à l’analyse des données gsm et gps, les chercheurs pourraient par exemple retracer les contacts d’un patient au cours des vingt derniers jours. Leur examen permettrait également d’observer, en temps réel, les déplacements des individus d’une ville à l’autre, les connexions les plus fréquentes et les zones à risque. » Ces critères nous aideraient à estimer quand il faudrait instaurer une mise en quarantaine et évaluer son efficacité réelle « , affirme Emmanuel André, dont l’université vient de déposer l’autorisation de tester un modèle de récolte de données – en Europe, celles-ci relèvent en effet de la vie privée. Car, au fond, » un microbe ne fait pas l’épidémie. Ce qui fait la catastrophe, c’est la diffusion du microbe dans la population, conclut l’expert. Par ses conduites, l’homme est, dans l’immense majorité des cas, responsable de la diffusion de l’agent délétère. »
Le système de santé publique utilisé en routine (comme d’ailleurs dans le reste du monde) forme la base de la sécurité sanitaire. Ce système de surveillance est alimenté par les consultations de patients chez le médecin ou à l’hôpital, les examens en laboratoire et les diagnostics, et la notification aux structures de veille sanitaire. Enfin, il est complété par les données sur l’absentéisme à l’école ou au travail, les appels et les hospitalisations dans les services d’urgences. » Dès qu’un pays constate un outbreak (NDLR : les signes d’une éventuelle épidémie), il doit obligatoirement communiquer ses données aux autres pays « , détaille le virologue. L’information est alors transmise aux médecins et aux hôpitaux. Si nécessaire, l’OMS diffuse un message d’alerte par le réseau ProMED. Comptant des milliers d’abonnés, ce dispositif international permet de répercuter au plus vite l’apparition de maladies émergentes. En cas de crise sanitaire, le système de santé publique utilisé en routine est ajusté à l’échelle supérieure, » parce qu’il s’adapte plus facilement et plus rapidement aux circonstances changeantes « .
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