Coronavirus: a-t-on sacrifié les jeunes au profit des aînés ou l’inverse?
Le clivage entre les générations a été ravivé par la crise pandémique. Mais un nouveau pacte intergénérationnel peut-il se dessiner ?
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» Après la crise, nous aurons beaucoup de choses à nous pardonner « , a prévenu un ministre allemand. En Belgique, le regret le plus cuisant sera probablement lié au nombre de décès du Covid-19 dans les maisons de repos : Sur les 8 761 personnes décédées au 12 mai dernier, 48 % sont mortes à l’hôpital, 51 % dans une maison de repos et de soins. Les décès à l’hôpital sont tous des cas confirmés. Les décès ayant eu lieu dans des maisons de repos et de soins concernent des cas confirmés (22 %) ou des cas suspects (78 %). Toutefois, l’institut de santé publique Sciensano ne mentionne pas la provenance des seniors décédés à l’hôpital. Selon le député Georges Dallemagne (CDH), un quart de ces derniers vivaient auparavant en collectivité. La population des homes décédée dans la pandémie serait alors de plus de 5 500 personnes à ce jour. Un chiffre à confirmer. A affronter.
Qu’elle était fraîche et joyeuse, la guerre des générations, quand elle opposait les jeunes pour le climat aux OK boomer, les moins de 35 ans, soit les millennials et autres générations Y ou Z, aux baby boomers nés entre 1946 et 1964 (56 à 74 ans), soit grosso modo leurs parents ou jeunes grands-parents, même si bon nombre de ceux-ci ont également participé aux marches pour le climat. Une guerre des mots qui ne froissait que les susceptibles. Les » accusés » n’avaient-ils pas reproché à leurs parents d’avoir profité du miracle économique des Trente Glorieuses (1946-1975), détruit l’environnement (déjà) et transmis une dette colossale à leurs descendants ?
La crise du Covid-19 a brouillé ces repères basés sur le paradigme climatique. De qui parle-t-on ? » Les jeunes vieux entament tout fringants leur retraite (60-65 ans) et rendent d’éminents services à la société – qu’on pense à la garde des enfants. Et puis, il y a les vieux-vieux, parfois même avant l’âge, qui se caractérisent par de multiples fragilités et, donc, leur dépendance. Ils renvoient à ce qu’on appelle le coût du vieillissement en soins de santé et de pensions « , pose la sociologue Marie-Thérèse Casman (ULiège). Mais l’époque élève aussi au rang d’icônes des personnes très âgées : les centenaires guéris du Covid-19, de vrais trèfles à quatre feuilles pour les hôpitaux ; Elisabeth II, 94 ans, habillée en vert-j’espère lors de son discours télévisé de circonstance ; ou son vaillant sujet, Tom Moore, 100 ans, dont la marche en déambulateur dans son jardin a rapporté 35 millions d’euros, de quoi ouvrir un nouvel hôpital pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Ils sont devenus des » trésors nationaux vivants « , comme disent les Japonais, les gardiens d’un bien immatériel de grande valeur.
Les morts ordinaires des maisons de repos et de soins seront-ils décorés à titre posthume, puis oubliés ? » Le déni de la mort entraîne un déni de la vieillesse « , craint le démographe Michel Loriaux, professeur émérite de l’UCLouvain et président de l’asbl Génération.
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L’âgisme dès 55 ans
S’il est encore trop tôt pour dire sur quel pied la société se réorganisera, Marie-Thérèse Casman espère que des leçons seront tirées. » Après la canicule de 2003 (NDLR : qui a causé entre 1 258 et 1 297 décès supplémentaires, les structures de soins belges n’ayant pas été débordées, à la différence de la France et de ses quelque 15 000 décès), il y a eu une prise de conscience de la problématique de l’isolement des personnes âgées et du manque d’hydratation dans les maisons de repos. Aujourd’hui, énumère-t-elle, il faut ouvrir les maisons de repos dans le village ou le quartier, afin qu’il y ait un flux dans les deux sens entre le dedans et le dehors. Faire de l’intergénérationnel qui ne soit pas un gadget, par exemple en amenant de temps en temps une classe dans une maison de repos. Prévoir une transition plus douce entre la vie professionnelle et la retraite. Essayer de lutter contre l’âgisme et ses clichés pour que les vieux restent des citoyens qui comptent. »
Le psychologue Stéphane Adam (ULiège), spécialiste de la sénescence, définit l’âgisme comme bienveillant (sur-protéger) ou malveillant (ignorer). » L’Eurobaromère montre que, à partir de 55 ans, l’âgisme arrive en tête des discriminations devant la race et le sexe, indique-t-il. Les 65 ans et plus ont été scandalisés lorsque le président Macron leur a demandé de rester confinés après le 11 mai. Devant la « révolte des papy-boomers » comme le titrait le Nouvel Obs, le pouvoir a fait marche arrière, mais l’enseignement majeur de cette crise est que vieux égale malade. L’intériorisation de cette équation risque de conduire à plus de solitude, plus de syndromes de glissement, car l’âge ressenti est prédictif de la manière dont la santé physique et psychologique va évoluer avec le temps. Car, c’est prouvé, la longévité a un lien avec le sentiment de se sentir utile à ses proches, à la société. »
Pour mémoire, seulement 21 % des plus âgés vivent en institution. Le modèle actuel des maisons de repos (MR) et des maisons de repos et de soins (MRS) fera probablement l’objet d’une discussion, dont la question du financement ne sera pas absente. Leur taux d’encadrement s’est avéré cruellement insuffisant durant la pandémie. L’habitat groupé intergénérationnel est l’une des idées qui a le vent en poupe, manière de lutter contre l’exclusion.
Sacrifier les jeunes ?
La détérioration de l’économie risque, en effet, de réveiller l’antagonisme entre les générations actives qui » paient pour » les soins de santé et les pensions, et celles qui en bénéficient après avoir soutenu leurs prédécesseurs. Le philosophe français André Comte-Sponville n’y a pas été par quatre chemins : » Avec la récession économique qui découle du confinement, ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut, que ce soit sous forme de chômage ou d’endettement. Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. » Pile le combat intergénérationnel que pronostique depuis longtemps le démographe Michel Loriaux. » Tout le monde est braqué sur ses avantages personnels, observe-t-il. L’excès d’individualisme aggrave la méfiance envers les autorités et entre les générations. La solidarité en pâtit, même entre les pays. On a mis tous les moyens sur le médical. Le social ne va pas résister. » A moins qu’un nouveau pacte intergénérationnel se dessine.
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