Corona: un été de répit, et après ?
Particulièrement contagieux, le variant Delta se propage. Pour l’heure, il n’inquiète pas les experts. Ceux-ci veulent surtout contenir une quatrième vague qui se dessine à l’automne et que d’aucuns estiment » inévitable « .
Réagir face au variant Delta sans casser l’ambiance estivale : voilà le dilemme des autorités sanitaires. Car les indicateurs restent nettement favorables. Au 6 juillet, le nombre d’admissions à l’hôpital s’élèvait à 15 par jour, 262 personnes étaient hospitalisées, dont 115 en soins intensifs.
Si les contaminations connaissent une remontée – parce que la Belgique renoue avec la liberté -, elles ne devraient pas, à court terme, affecter la dynamique épidémique. Pas de quoi s’affoler, en théorie. Pourtant, les mises en garde des experts, sans être alarmistes, se multiplient. Comme attendu, ce variant représente désormais la moitié des nouvelles contaminations en Belgique. Comme partout où il a pris pied.
Ailleurs, en Europe, une vingtaine de pays ou régions sont classés zones rouges, c’est-à dire que le risque d’infection à la Covid-19 y est très élevé et que des variants préoccupants y circulent largement. Aussi, le Portugal a rétabli un couvre-feu dans 45 communes, dont Lisbonne et Porto. Les cafés, les restaurants, les commerces doivent réduire leurs horaires d’ouverture. Le mutant s’y propage vite et, surtout, parmi les jeunes qui ne sont pas vacci nés.
En Espagne également, dans les régions d’Andalousie et de Catalogne, la souche touche par ticulièrement les jeunes. Des travaux, menés au Royaume-Uni et en Israël, confirmés par l’Agence européenne des médicaments (AEM), montrent que seules deux doses (sauf pour le Johnson & Johnson, qui n’en nécessite qu’une) offrent un pouvoir protecteur contre Delta, de 40 % à 60 % plus contagieux que son prédécesseur, Alpha. Selon des données plus précises encore, tout juste livrées par le gouvernement britannique, les deux doses ne sont efficaces qu’entre 55 % et 71 % pour prévenir les infections du variant Delta (ce qui explique que les conta minations continuent à monter). En revanche, elles sont efficaces à 90 % pour prévenir les hospitalisations et à 96 % pour réduire la mortalité. La première urgence : ne pas faiblir dans les rythmes de vaccination.
Peur de ne pas tenir l’ambition
Toujours au 6 juillet, selon Sciensano, 79,3 % des Belges de 18 ans et plus ont reçu une dose de vaccin, soit 63 % de la population totale. Mais la couverture vaccinale complète ne concerne que 45,2 % de la population adulte. Les modélisateurs de la task force vaccination prévoient 70 % de primo-vaccinés fin juillet et 100 % en septembre. Mais la peur de ne pas tenir l’ambition est palpable. A Bruxelles, d’ailleurs, elle ne sera pas atteinte. Là, 56 % de la population ont reçu, au moins, une première dose. La cadence ralentit et les publics les plus jeunes prennent moins vite rendez-vous qu’espéré. L’objectif d’une immunité collective, qui nécessite de vacciner totalement de 80% à 85% de la population, semble, pour l’instant, difficilement atteignable grâce à la seule vaccination des adultes.
« Ouvrir la vaccination aux 12-15 ans peut aider », déclare Niko Speybroeck, épidémiologiste et professeur à la faculté de santé publique de l’UCLouvain. Le Conseil supérieur de la Santé (CSS), qui vient de remettre un avis (consultatif), ne recommande de les vacciner que si ceux-ci sont vulnérables ou s’ils vivent dans l’entourage de personnes qui le sont particulièrement. Une stratégie baptisée « Cocooning ». Le gouvernement flamand souhaite, lui, « utiliser » les plus jeunes comme un levier d’action potentielle pour augmenter la couverture vaccinale. Les 12-15 ans et les 16-17 ans représentent 4,5 % et 2,16 % de la population et leur vaccination pourrait donc indirectement réduire les hospitalisations et les décès.
« Il faut une couverture non seulement élevée mais aussi homogène », explique Niko Speybroeck. Car l’effet est bien connu : à partir du moment où les personnes les plus âgées sont largement vaccinées, la transmission aura lieu dans les classes d’âge où la vaccination n’est pas encore très développée, donc chez les jeunes.
Réduire le temps entre deux doses
Tout est d’ailleurs mis en oeuvre pour accélérer la vaccination et entretenir l’enthousiasme des débuts : la vaccination sans rendez-vous, avec des créneaux de vaccination spécifiques pour le vaccin unidose Johnson & Johnson et la possibilité de choisir son vaccin. Depuis le 2 juillet, à Bruxelles et en Wallonie, ceux qui souhaitent avancer leur seconde dose de vaccin pourront le faire alors que, dans le même temps, les délais entre deux injections ont à présent été raccourcis à trois semaines pour le vaccin Pfizer et huit semaines pour celui d’AstraZeneca, une mesure qui vise plus particulièrement les vacanciers. La crainte existe, parmi les médecins, que les vacanciers renoncent à leur première dose ou sautent leur seconde dose. Or, « plus tôt on se vaccine, plus tôt on peut espérer avoir une couverture complète en septembre », insiste Jean-Michel Dogné, directeur du département pharmacie à l’UNamur et membre de la task force. Autrement dit, on se situe désormais dans la phase du dernier kilomètre. C’est simple : puisque la protection atteint son maximum d’efficacité deux semaines après la deuxième injection, en se vaccinant à la mi-juillet et en recevant la seconde injection à la mi-août, les vaccinés seront parés pour la rentrée.
Le tourisme, source majeure de contamination
Une étude publiée dans Nature le 30 juin et réalisée par les deux épidémiologistes Simon Dellicour (ULB) et Philippe Lemey (KULeuven) montre qu’à la mi-août 2020, l’essentiel des chaînes de contamination observées dans dix pays d’Europe occidentale provenait de virus importés au cours des deux mois précédents. Soit l’effet de voyages hors des frontières. En effet, dans six des dix pays étudiés, plus de la moitié des chaînes relevées proviennent d' »événements d’intro duction uniques », c’est-à-dire des virus importés. La Belgique est de ceux-là, avec la Suisse, les Pays Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. Second élément majeur de l’étude : plus l’incidence locale de la Covid était faible pendant l’été, plus l’importation a joué de façon décisive dans l’alimentation de l’épidémie. Les auteurs l’expliquent par une image : « Dans une forêt en feu, craquer des allumettes ne change pas grand-chose ; en revanche, s’il ne reste que quelques foyers, ça peut contribuer au redémarrage de l’incendie. » Quel risque, alors, pour cet été ? Cette fois, les vaccins jouent les pare-feu. Mais, les variants, par ticulièrement Delta, deviennent, partout, majoritaires. Une drôle de bataille, donc, entre les campagnes de vaccination et le variant.
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Un paramètre, d’ailleurs, pourrait faire mentir des projections trop optimistes : un relâchement trop rapide des mesures et des gestes barrières. « Il y a un décalage entre ce qui est dit et ce qui est réellement fait par les gens », note Erika Vlieghe, infectiologue et présidente du Gems, l’organe consul tatif du gouvernement.
Masques baissés ou sous le nez, bises qui claquent, mètre cinquante absent, contacts sociaux très larges… Dans l’esprit de certaines personnes, c’est un « sentiment de libération », de « relâchement des comporte ments » après la première dose. L’infectiologue insiste sur la nécessité de ne pas baisser la garde, de mettre un peu le pied sur le frein et d’avancer par étape jusqu’à l’au tomne, voire jusqu’à l’hiver, pour arriver à une situation d’équilibre grâce à la vaccination. Trop tôt, en tout cas, pour tout desserrer. Dans ces conditions, il faudra revoir certaines mesures, comme le port du masque à l’intérieur, qui ont déjà fait leurs preuves contre les autres variants.
Et pour affronter une quatrième vague qu’elle juge « inévitable », à l’automne, il faut renforcer, encore, des outils. D’abord, remonter les chaînes de contaminations pour identifier l’origine des infections et identifier ainsi les événements superpropagateurs. C’est ce qu’on appelle le traçage « rétrospectif » développé à Taïwan, en Corée du Sud ou au Japon. Or, selon Emmanuel André, microbiologiste à la KULeuven, « le système de santé en Belgique ne permet pas d’identifier ces événements supercontaminateurs » au cours desquels les Belges sont potentiellement infectés, indique-t-il dans un tweet. « Avec un nou veau variant et de plus en plus de regroupements sociaux qui sont organisés (assouplissements, Euro, vacances…), cette faiblesse va deve nir particulièrement handicapante et nous expose à une reprise plus rapide de l’épidémie. »
Avec un nouveau variant et que de plus en plus de regroupements sociaux qui sont organisés (assouplissement, Euro, vacances, …), cette faiblesse de notre système va devenir particulièrement handicapante et nous expose à une reprise plus rapide de l’épidémie
— Emmanuel André (@Emmanuel_microb) July 1, 2021
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Ensuite, consolider le triptyque « isoler-tester-mise en quarantaine ». Casser les contaminations sans mesures strictes d’isolement serait inefficace. De fait, le message est toujours le même : restez à la maison au moindre symptôme, mettez-vous en quarantaine. Il n’est cependant pas prévu de contraindre ceux qui refuseraient de se soumettre à ces règles. Le gouvernement compte sur la responsabilité de chacun.
Contrôles
Faut-il se montrer plus strict, par exemple avec les personnes rentrant du Portugal ? C’est le choix de l’Allemagne, qui leur impose une mise à l’isolement. Encore faut-il que le contrôle soit effectif à l’entrée sur le sol national. Sophie (qui a souhaité rester anonyme), 26 ans, est rentrée d’une zone rouge espagnole, en passant par Murcie. Au regard de la régle mentation belge, elle devait se faire tester, n’étant pas complètement vaccinée. « Les douaniers belges ne m’ont rien demandé. S’ils avaient regardé, ils auraient vu que j’arrivais d’une zone rouge. J’ai quand même fait attention dans les jours qui ont suivi mon retour, mais je ne me suis pas fait tester », avoue t-elle. Quant aux voyageurs, par voie terrestre, des témoignages rapportent qu’ils échappent aux tests. « Toutes les prédictions supposent qu’une nouvelle vague arrivera à l’automne, peut-être même dès la fin de l’été », conclut Steven Van Gucht, virologue chez Sciensano. Septembre, voire un peu plus tard, sans doute : « On va brasser des gens qui rentrent de vacances, les écoles vont rouvrir, la météo sera moins favorable, les gens se retrouveront à l’intérieur et l’aération sera moins bonne. Le risque de contamination sera donc élevé. » « Beaucoup sont déjà complètement vaccinés, mais beaucoup ne le sont pas encore », prévient le porte-parole interfé déral, qui craint qu’avec l’été leur message se perde dans l’euphorie ambiante.
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