Le Journavx, nouvel anti-douleur non opioïde va faire son apparition aux Etats-Unis (illustration) © Getty Images

Comment les opioïdes pourraient être détrônés: ce qu’il faut savoir de la suzetrigine, ce tout nouvel anti-douleur

L’agence américaine des médicaments vient d’autoriser un tout nouvel anti-douleur, le Journavx. Une petite révolution dans le milieu pharmaceutique car il ne serait pas addictif, contrairement aux opioïdes qui font des ravages aux Etats-Unis.

L’aube d’une révolution dans le monde des médicaments. Le 30 janvier dernier, la Food and Drug Administration (FDA, l’agence américaine du médicament) a autorisé un nouvel anti-douleur non opioïde, le Journavx, développé par le laboratoire Vertex Pharmaceuticals. C’est le premier antalgique d’une toute nouvelle classe qui, contrairement aux opioïdes qui font des ravages aux Etats-Unis, ne serait pas addictif.

Le principe actif est la suzetrigine, dont le mécanisme est différent des autres analgésiques, puisqu’il cible les canaux de transmission du signal de la douleur et non pas directement le cerveau. «C’est clairement une avancée majeure», salue le professeur Vincent Seutin, docteur en pharmacologie à l’ULiège.

Cible précise

La suzetrigine «arrive à bloquer sélectivement des canaux sodiques», explique le pharmacologue. Il s’agit d’un type de canaux ioniques perméables au sodium, reliés spécifiquement aux neurones nociceptifs, qui enregistrent la douleur. «Quand on se pince la peau, il y a une excitation générée localement, ces canaux sodiques permettent à l’excitation de circuler jusqu’au système nerveux central» qui envoie au cerveau le signal de la douleur, illustre-t-il.

Les canaux ioniques agissent sur plusieurs processus du corps comme la contraction du cœur, la sécrétion d’insuline, l’activation des neurones… Auparavant, d’autres médicaments ciblaient déjà les canaux sodiques pour le traitement de la douleur, comme la procaïne, mais ils bloquaient tous les canaux sans distinction, alors qu’il en existe neuf. Ces médicaments devaient donc être administrés localement, par injection, pour éviter qu’ils atteignent d’autres fonctions. L’avantage de la suzetrigine est qu’elle touche uniquement un sous-type de canaux sodiques, les «Nav1.8».

«C’est vraiment impressionnant à quel degré le produit va se fixer sélectivement sur la cible, sans bloquer les canaux liés au cœur ou au système nerveux central. Il n’y a donc pas de risque d’effets indésirables comme des troubles du rythme cardiaque ou d’atteinte au fonctionnement cérébral», souligne Vincent Seutin.

Les opiacés quant à eux agissent sur le cerveau en ce qu’ils miment les propres opiacés du corps humain, comme l’endorphine (hormone du bonheur), inhibiteurs de l’activité des neurones, et donc de la douleur. Ils stimulent par contre le circuit de récompense, qui libère en excès de la dopamine (l’hormone du plaisir immédiat), responsable des addictions.

Un anti-douleur moins efficace

Seul bémol, pour l’instant: «L’effet analgésique est modeste», déplore Vincent Seutin. L’essai clinique de la firme pharmaceutique s’est porté sur des patients ayant subi une intervention chirurgicale (ici abdominale ou de l’hallux valgus) ou une blessure. A ce stade, il semble que la suzetrigine n’est efficace que dans les cas de douleurs aiguës, et non de douleurs chroniques où la demande en médicaments plus sûrs pour la santé est plus urgente. Vertex a lancé d’autres essais pour confirmer son efficacité sur les douleurs chroniques.

Mais la recherche est très active. «Il y a déjà d’autres firmes qui ont d’autres produits de ce type dans le pipeline, qui pourraient se révéler plus efficaces sur le canal NaV1.8», assure le spécialiste. Et le produit reste utile puisque 80 millions d’Américains reçoivent chaque année une prescription pour un médicament contre la douleur aiguë modérée à sévère, selon la présidente de Vertex, Reshma Kewalramani.

La fin des opioïdes n’est pas pour tout de suite

Si la suzetrigine est une avancée considérable, elle ne va pas encore faire oublier les opiacés, qui «vont vraisemblablement garder une place car ils sont tellement efficaces pour les douleurs post-opératoires, ou dans les soins palliatifs, estime le pharmacologue. Mais si on pouvait éviter d’utiliser des morphiniques pour des douleurs qui n’en valent pas la peine, ce serait un progrès».

Surtout que le coût du Journavx est assez élevé. Vertex a fixé son prix à 15, 50 dollars par pilule de 50 mg, ce qui est plus cher que les opioïdes génériques. Mais son utilisation permettrait de réduire les dépenses de santé liées à la dépendances aux opioïdes, qui concerne plus de 1,7 million d’Américains. L’overdose de fentanyl est la première cause de mortalité chez les Américains de 18 à 45 ans.

Le Journavx pourrait-il arriver bientôt en Europe? Selon Vincent Seurin, peut-être d’ici un ou deux ans, voire plus. «Quand la FDA approuve un médicament, c’est un signal fort pour que l’EMA (NDLR: l’équivalent européen) l’accepte aussi. Mais il y a toute une autre série d’étapes à passer pour le remboursement».  Affaire à suivre.

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