Les filles consomment beaucoup plus d’antidépresseurs que les jeunes garçons. Ces médicaments sont d’autant plus utilisés si elles sont bénéficiaires de l'intervention majorée (BIM). © imageBROKER/Andy_Gin

Comment les ados belges ont modifié leur usage des médicaments en 10 ans: «Ils figurent parmi les plus gros consommateurs en Europe»

Si certaines classes de médicaments sont moins prisées par les adolescents qu’auparavant, d’autres par contre suivent une tendance inverse. Parmi les hausses les plus marquantes: les antidépresseurs.

Une étude XXL des Mutualités Libres a passé au peigne fin tous les remboursements de médicaments afin d’identifier l’évolution de leur usage parmi les adolescents. Point positif: le pourcentage de jeunes de 12-18 ans consommant des médicaments a baissé de 10,2%, pour atteindre un total de 49,3% en 2022. Le pourcentage d’ados consommant des antibiotiques recule également, passant de 30,4% à 23,3% entre 2013 et 2022.

Une série de signaux alarmants

Par contre, si les antibiotiques sont généralement administrés pendant de courtes périodes, ces produits restent de loin les médicaments les plus utilisés. Trop, selon Güngör Karakaya, expert scientifique aux Mutualités Libres: «Les Belges restent, après les Croates, les plus gros consommateurs de médicaments en Europe, avec une prévalence 25% supérieure à la moyenne continentale. Ce qui est particulièrement dommageable, étant leurs effets secondaires

La deuxième classe de médicaments la plus couramment utilisée par les ados est celle des anti-inflammatoires non-stéroïdiens. Là aussi, l’heure est à la baisse: 11,4% des ados en consommaient en 2022, contre 16% en 2013. «Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des anti-inflammatoires non remboursés, comme le Dafalgan et le Nurofen, précise Güngör Karakaya et sont donc sous-estimés par rapport à la réalité.».

Suivent les antihistaminiques et antiasthmatiques, dont l’utilisation est globalement stable ou en très légère hausse. Même constat pour le reste du classement, à une exception: les antidépresseurs. «Entre 2013 et 2019, seul 1% des ados y avaient recours. La crise du Covid a fait grimper ce chiffre de 60%, pour atteindre 1,6%. Bien que le reste de la population consomme beaucoup plus d’antidépresseurs, avec un taux total de 9,4%, une augmentation de cette ampleur ne se retrouve que chez les jeunes. Il sera intéressant de vérifier si ce phénomène perdure ou pas après 2022, les confinements étant derrière nous.»

Les ados pas tous à égalité

Certaines catégories d’adolescents consomment davantage de médicaments. Les filles notamment. Leur utilisation d’antidépresseurs a bondi de 80% lors de la crise sanitaire, contre 12,5% pour les garçons. Ces derniers en consomment désormais 2,5 fois moins que la gent féminine. Paradoxal, puisque les hommes sont près de deux fois plus nombreux à se voir prescrire des médicaments de la part de psychiatres. «Ces spécialistes administrent surtout des psychostimulants, par exemple pour traiter des troubles du déficit de l’attention, ce qui concerne beaucoup de garçons».

Les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) achètent eux aussi plus de médicaments que le reste de la population. «Cela tend à confirmer que les personnes ayant un profil socioéconomique plus faible ont, en général, davantage besoin de soins que les autres», analyse Claire Huyghebaert, pharmacienne et co-auteure de l’étude des Mutualités Libres.

Güngör Karakaya et Claire Huyghebaert, experts des Mutualités Libres.

Le détail par région est contrasté. Les Flamands utilisent légèrement plus d’anti-inflammatoires et d’antidépresseurs que la partie francophone du pays. Mais en ce qui concerne les antibiotiques, la Wallonie repasse devant avec 28,4% d’ados concernés, contre 22% dans les deux autres régions.

Mieux informer: le nerf de la guerre

La forte consommation d’antibiotiques dans le sud, et plus globalement dans la Belgique entière, constitue une des principales préoccupations des Mutualités Libres. «Des campagnes ont déjà été menées pour sensibiliser la population sur leur usage inapproprié, par exemple via le site parlonsantibiotiques.be», relève Claire Huyghebaert, pour qui il faudrait aller encore plus loin. «Les écoles pourraient jouer un rôle dans la prévention. Nous souhaiterions notamment qu’elles prévoient un cours sur la santé.» Priorité devrait y être donnée aux informations sur la résistance bactérienne.

L’automédication abusive représente un autre point d’attention. «Les pharmaciens doivent informer sur le bon usage des médicaments en vente libre, notamment pour le paracétamol et l’ibuprofène, et déconseiller leur utilisation prolongée sans avis médical», relèvent les deux experts des Mutualité Libres.

Les prestataires de soins sont eux aussi rappelés à l’ordre. Il leur est demandé de bien signaler aux ados les bénéfices et les risques des produits consommés, de favoriser les traitements non-médicamenteux et de rappeler les règles de bon sens pour rester en forme.

«Chacun a son rôle à jouer pour favoriser une utilisation rationnelle des médicaments», résume Claire Huyghebaert. «L’exemple des Pays-Bas montre que cela est possible, expose son collège Güngör Karakaya. Là-bas, six consultations sur dix chez un médecin n’aboutissent pas sur une prescription. Il faut changer nos habitudes, arrêter de voir dans les médicaments le remède à tous nos problèmes, et supprimer in fine cette pression exercée sur les médecins pour qu’ils prescrivent.»

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