Comment la ménopause est devenue une industrie à plusieurs milliards d’euros
L’essentiel
• La ménopause est aujourd’hui régulièrement abordée dans les médias, mais cette attention accrue sert-elle les femmes ou favorise-t-elle surtout l’industrie de la ménopause?
• Les symptômes de la ménopause restent encore mal connus de nombreuses femmes.
• Crèmes, compléments alimentaires, bracelets rafraîchissants, coachs… L’industrie liée à la ménopause ne cesse de se développer. Le marché devrait atteindre 22 milliard d’euros d’ici à 2030.
• Le traitement hormonal de substitution peut être une option pour certaines femmes, mais le choix doit être individuel et basé sur les facteurs de risque de chaque personne.
La ménopause est un sujet omniprésent ces derniers temps dans les médias. Cette attention accrue conduit-elle pour autant à une meilleure prise en charge des femmes? Ou sert-elle davantage l’éclosion d’un marché florissant?
Mieux vaut vivre sa ménopause aujourd’hui qu’il y a encore 20 ou 30 ans. Dans les années 1970, il n’était pas rare que des femmes déstabilisées par cette période de transition soient internées dans des cliniques psychiatriques. Désormais, la science fait quasiment tous les mois de nouvelles avancées sur les troubles climatériques qui affectent la moitié de la population mondiale. Et la parole se libère.
Si le sujet est davantage abordé, c’est en partie grâce à une génération de femmes émancipées qui, bien souvent, doivent travailler jusqu’à 65 ans –voire plus–, tout en prenant soin de leurs petits-enfants ou d’un parent, en continuant à vouloir paraître jeunes et sans subir les désagréments liés à l’arrêt de leurs règles. Néanmoins, beaucoup de femmes ignorent encore pas mal de chose à propos de la ménopause. De nombreux symptômes, par exemple, n’y sont pas toujours associés par les femmes elles-mêmes: les problèmes de concentration et de sommeil, les états dépressifs, la prise de poids, les palpitations cardiaques, la perte de libido, la sécheresse vaginale, les plaintes urogénitales, la diminution de la force musculaire, le brouillard mental, les muqueuses sèches des yeux et du nez, les saignements des gencives…
Dans le même temps, les livres de cuisine, les podcasts, les ateliers, les conférences, les applis, les cercles de femmes ou même les rituels de hutte de sudation fleurissent. Des célébrités telles que Michelle Obama, Monica Bellucci, Kim Clijsters, Florence Foresti, entre autres, évoquent ouvertement leur ménopause. De manière exagérée? Pas du tout. Enfin la gêne de parler de la transformation de leur corps disparaît. «Mais ne pouvons-nous pas parler d’autre chose?, s’interroge tout de même l’une d’elles. Ça me rappelle ma grossesse, qui a été excessivement problématisée. Subitement, on me proposait toutes sortes de « solutions » pour une phase en réalité naturelle dans la vie d’une femme.»
«Nous ne devons pas attribuer tous les maux à la ménopause, concède Leen Steyaert, consultante et autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet. Elle fait partie du processus de vieillissement. Il est donc normal qu’une femme prenne quelques kilos à 50 ans, qu’elle soit parfois plus fatiguée, qu’elle ait moins envie de sexe qu’à 20 ans ou qu’elle ressente une baisse de moral due à un excès de stress au travail ou à un événement émotionnel.»
«C’est une bonne chose que la ménopause soit davantage exposée, mais il faut rester vigilants face aux abus.»
Bracelets «rafraîchissants», crèmes et hormones pour soigner la ménopause
Il n’empêche… L’industrie propose désormais un produit pour tous les petits maux liés à la ménopause. Une rapide recherche en ligne donne une flopée de résultats: autotests, crèmes, thés, compléments alimentaires… Des coachs vont jusqu’à promouvoir des guides truffés de conseils alimentaires ainsi que le très mystique bracelet garantissant un peu de fraîcheur à celles qui souffrent de bouffées de chaleur.
«Vous n’imaginez pas tout ce que je vois parfois, confirme Chris Van Gaver, praticienne et membre du conseil de l’Association des consultants en ménopause belges. Récemment, une dame m’a montré le résultat de ses achats en ligne: œstrogène, progestérone et même testostérone! Les livres peuvent également être très trompeurs, amenant certaines à prendre des compléments de manière incontrôlée et à déséquilibrer plus encore leurs hormones. C’est une bonne chose que la ménopause fasse l’objet de plus d’attention et d’informations, mais il faut rester vigilants face aux abus.»
22 milliards
d’euros, voire davantage, devraient être dépensés sur le «marché» de la ménopause d’ici à 2030.
«Ça va parfois un peu trop loin, abonde Leen Steyaert. A celles qui veulent équilibrer leurs hormones avec un coach autoproclamé en hormonologie, je souhaite bonne chance. Beaucoup d’entre eux n’ont qu’une formation rudimentaire. Cependant, ce n’est pas nécessairement négatif que l’industrie réponde commercialement à la ménopause. Je suis surtout contente qu’elle attire enfin l’attention. Quand je me suis spécialisée dans cette phase de transition, il y a quinze ans, je me demandais pourquoi les entreprises ne s’intéressaient pas à ce grand marché potentiel. Heureusement, en 2024, les femmes peuvent choisir comment elles souhaitent aborder leurs symptômes: par l’alimentation, des compléments, un soutien psychologique ou une thérapie hormonale.»
Il n’est effectivement pas illogique qu’un nombre croissant d’organisations commerciales et de coachs en santé se lancent dans la course. Les femmes de 40 ans et plus disposent d’un pouvoir d’achat supérieur à celui des adolescentes et des vingtenaires. Selon les estimations, le marché de la ménopause s’évaluera à plus de 22 milliards d’euros à l’échelle mondiale d’ici à 2030. A cette date, ce sont 47 millions de femmes qui, chaque année, entreront dans la ménopause.
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De quelques privilégiées à toutes
Le commerce de la ménopause est en plein essor, mais selon le gynécologue Herman Depypere (UZ Gent), les femmes doivent encore se battre pour obtenir les soins appropriés. «Certains médecins renvoient toujours leurs patientes chez elles en affirmant qu’on ne peut pas présenter de symptômes liés à la ménopause tant qu’on a ses règles. Ils ignorent que des troubles évidents tels que les bouffées de chaleur, l’apathie, la fatigue et les troubles du sommeil peuvent survenir avant. Ces femmes se voient alors prescrire à tort des antidépresseurs, des somnifères, mais aussi des médicaments contre les palpitations cardiaques. De plus, certains continuent à considérer obstinément que la ménopause « fait partie de la vie » et qu’il faut « apprendre à vivre avec les symptômes », car ce n’est tout de même pas « la fin du monde ».»
Et le médecin de poursuivre: «L’idée que la ménopause existe depuis que la femme existe et que son processus « naturel » est exagérément médicalisé, comme le prétendent certains critiques, est fausse. En réalité, cette période de transition est un phénomène plutôt récent. Il y a quelques centaines d’années, seules de rares privilégiées atteignaient la ménopause. Aujourd’hui, les femmes vivent plus longtemps que ce que la nature avait prévu à l’origine. En 1880, l’espérance de vie en Belgique s’élevait à 46 ans; aujourd’hui, elle est de 83 ans. La nature n’a pas suivi cette rapide évolution en décalant également l’âge de la ménopause. Contrairement à l’homme, qui continue de produire de la testostérone et des spermatozoïdes toute sa vie, dès 50 ans les femmes perdent quasi entièrement une composante essentielle: les œstrogènes. Leur corps est donc contraint de rester actif plus d’un tiers de leur vie sans œstrogènes. Il en paie indéniablement le prix. Ce n’est pas un état de fait avec lequel les femmes doivent simplement « apprendre à vivre ».»
A la recherche des hormones perdues
Alors que des jeunes femmes se distancient de la contraception hormonale, de plus en plus de ménopausées se tournent vers la science pour récupérer leurs hormones perdues grâce au traitement hormonal de substitution (THS). Même pour les femmes qui traversent la ménopause sans souci, un corps sans œstrogènes peut poser des problèmes. Le risque d’ostéoporose augmente la mortalité chez les femmes. En outre, à partir de 50 ans, le manque d’œstrogènes protecteurs accroît le risque de mourir d’une maladie cardiaque, comparativement aux hommes.
«Dans une étude récente, nous avons montré que les femmes souffrant de symptômes de ménopause présente un risque accru de burnout, informe le Dr. Depypere. D’autres ont des difficultés à maintenir leur poids, et on note une augmentation de l’accumulation de graisse au niveau de la ceinture abdominale. De plus, la démence est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes.»
Toutes les femmes devraient-elles dès lors entamer une hormonothérapie dès 45 ans pour se protéger contre ces nombreux risques? Ce choix doit rester individuel et personnel, estime le gynécologue. Chaque femme vit la ménopause différemment.
«La thérapie hormonale commencée peu après le début de la ménopause réduit de 30%, en moyenne, le risque de décès prématuré.»
«Pour déterminer si un ajustement est nécessaire, nous devons examiner les facteurs de risque, détaille-t-il. Une étude randomisée impliquant plus de 40.000 femmes a prouvé que la thérapie hormonale, commencée peu après le début de la ménopause, réduit de 30%, en moyenne, le risque de décès prématuré. Les femmes qui font du sport, sans symptômes, avec un faible taux de cholestérol et une pression artérielle normale, en tireront peu de bénéfices. Un mode de vie sain est déterminant pour la prévention de l’ostéoporose, des maladies cardiovasculaires et de la démence. Cependant, on ne peut pas tout résoudre en vivant sainement. Les symptômes sévères de la ménopause doivent être traités. Pour cela, les hormones sont parfaitement appropriées. De plus, les femmes menues sont très sensibles à l’ostéoporose et à la sécheresse des muqueuses, ce qui entraîne souvent des douleurs lors de la pénétration. D’autres recherches sont également en cours pour étudier l’influence des œstrogènes sur le cerveau, les muscles, le cœur, les vaisseaux sanguins et les os. Ainsi, nous pourrons de mieux en mieux décider au cas par cas, pour chaque femme, si les hormones sont utiles, qu’il y ait ou non des symptômes de ménopause.»
Malgré tous les avantages, le marché de l’hormonothérapie de substitution en Belgique n’a (toujours) pas explosé. Vingt pour cent des femmes en âge de ménopause dans notre pays suivent un traitement hormonal, contre 31% en 2001. Et ce, alors que 60% à 80 % des ménopausées souffrent de symptômes.
Cette baisse est attribuée à une célèbre étude américaine, publiée en 2002, sur la thérapie hormonale impliquant 27.000 femmes, parmi lesquelles certaines ont développé un cancer du sein et des thromboses. Toutefois, il s’est avéré que l’étude avait été mal conçue, utilisant des hormones de synthèse à haute dose prises oralement par femmes beaucoup plus âgées qu’une patiente type de thérapie hormonale. De plus, les femmes présentant des symptômes de ménopause avaient été exclues de l’étude.
«Depuis, nous avons accumulé une grande expérience dans ce domaine, et il est clair que la nouvelle génération d’hormones bio-identiques naturelles est plus sûre pour les vaisseaux sanguins et pour les seins, assure Herman Depypere. Elles sont disponibles sous forme de pilule, de gel, de spray ou de patch et coûtent seulement quelques euros pour trois mois. En outre, ces hormones, absorbées par la peau, ne provoquent pas de formation de caillots dans les vaisseaux sanguins et peuvent donc être utilisées en toute sécurité dès 50 ans.»
Cependant, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), la principale agence fédérale des Etats-Unis en matière de protection de la santé publique, avertissent que la thérapie hormonale peut être associée à un risque accru de cancer du sein si elle est utilisée pendant au moins cinq ans. Leen Steyaert plaide donc pour davantage de recherches scientifiques afin d’harmoniser les avis. «Les femmes prennent des hormones de synthèse pendant 40 ans pour mettre leur système reproducteur en veille. Mais lorsqu’elles doivent soudainement se passer d’hormones, y compris d’œstrogènes qui possèdent plus de 400 fonctions, pourquoi ne pourrait-on pas les compléter?, interroge-t-elle. Cela peut vraiment faire une énorme différence. Des femmes qui pensaient que leur vie était finie ont trouvé un nouvel élan grâce à la thérapie hormonale.» Bien que celle-ci ne soit pas la panacée, affirme-t-elle, tout comme Chris Van Gaver. «Une alimentation saine, de l’exercice, le sommeil sont aussi extrêmement importants, ajoute ce dernier. Si l’un de ces piliers est déséquilibré, des symptômes apparaîtront. Il est également essentiel de contrôler le stress pendant la ménopause. Les glandes surrénales ne produisent pas seulement des hormones de stress, elles transforment aussi la testostérone en une hormone très similaire à l’œstrogène endogène. Si les surrénales doivent travailler en surrégime pour produire des hormones de stress, cette transformation à partir de la testostérone sera insuffisante.»
De plus, les femmes peuvent opter pour des compléments alimentaires non hormonaux ou des aliments riches en phytœstrogènes, tels que le soja, le miso et le tempeh. Arrêter de fumer a un effet immédiat sur la réduction des bouffées de chaleur. Il a également été démontré que l’exercice physique peut atténuer certains symptômes.
«Récemment, le fezolinetant a été introduit sur le marché et l’elinzanetant est actuellement testé chez les femmes atteintes d’un cancer du sein, informe Herman Depypere. Ces deux substances non hormonales combattent efficacement les bouffées de chaleur en agissant sur le thermostat interne. Elles sont très efficaces.»
Avec la ménopause, encore le droit de vieillir?
Il est indéniable que tous ces traitements et substituts améliorent la qualité de vie. Mais ne risque-t-on pas d’évoluer vers une société où les femmes, dès 50 ans, devront encore pouvoir rivaliser avec leurs homologues plus jeunes?
Le gynécologue de l’UZ Gent veut surtout éviter que les quinquas ne manquent des opportunités. «Au Royaume-Uni, 10% des femmes actives en période de ménopause ont démissionné parce qu’elles souffraient de troubles du sommeil, de la mémoire et de la concentration et ne pouvaient plus suivre le rythme de travail. Pourtant, ce sont précisément ces femmes qui sont les plus qualifiées. N’est-ce pas dommage? Notre étude menée avec Securex montre que les femmes sans symptômes présentent le moins d’absentéisme et de burnout. Certes, la thérapie hormonale peut ralentir le vieillissement de la peau et réduire la perte de cheveux chez certaines, mais il n’est absolument pas question de la préconiser pour faire paraître plus jeune. L’objectif est que les femmes, grâce à un petit ajustement naturel, se sentent bien dans leur peau, souffrent peu d’une perte de cheveux ou de kilos indésirables et bénéficient d’une libido satisfaisante, ce qui leur permet d’avoir plus de contacts sociaux et de faire plus d’exercice. Le corps des femmes ne doit pas forcément se détériorer rapidement après 50 ans.»
Il est donc nécessaire de dissiper le mythe selon lequel la ménopause marque le début de la fin. Pour certaines, il s’agit même d’une période offrant de nouvelles perspectives, source de sagesse, de confiance retrouvée et peut-être même de choix originaux. Konenki, le mot japonais pour ménopause, signifie littéralement «renouveau» ou «une nouvelle phase de vie». La ménopause, au Japon, est beaucoup moins perçue comme un problème, et les femmes y ont nettement moins de symptômes.
«Le message doit être: après la ménopause, vous devenez une meilleure version de vous-même.»
Chris Van Gaver se concentre également sur les aspects positifs de cette phase de transition plutôt que sur ses difficultés. «Je ne parle jamais de « patientes », mais de « clientes ». La ménopause n’est pas une maladie, c’est un fait physiologique. Il est important que les femmes prennent conscience qu’elles entrent dans une nouvelle phase de leur vie et, surtout, qu’elles agissent face à ces changements. Plus vous résistez au vieillissement, plus les symptômes seront sévères. Le message doit être: après la ménopause, vous devenez une meilleure version de vous-même.»
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