Charles Pépin : « Nous sommes des êtres qui doutons parce que nous sommes intelligents »
Face aux gourous du développement personnel qui entretiennent l’illusion de « reprogrammer pour le succès », le philosophe français exhorte à approfondir la connaissance de soi et à composer avec ses incertitudes et sa complexité pour forger la véritable confiance en soi.
Dans La confiance en soi, une philosophie (1), vous distinguez la confiance en ses capacités, dans les autres et en la vie. Comment les articuler pour acquérir la confiance en soi ?
Il faut développer les trois. La confiance en son savoir-faire parce que cette maîtrise autorise une forme d’abandon et de présence. La confiance dans les autres parce que nous avons besoin d’être rassurés, sécurisés, aimés. Enfin, la confiance en la vie, plus difficile à définir mais qui est la vraie confiance. Quand vous avez connu une blessure d’ego et que vous craignez un nouvel échec mais qu’une promenade en bord de mer vous remplit soudain de confiance, est-ce de la confiance en vous, dans le monde, dans la nature ? On ne peut pas répondre.
La rencontre avec le beau serait-elle source de confiance ?
Cela peut être le beau comme le monde. La confiance en soi s’alimente à cette source première qu’est la confiance tout court. Les chrétiens l’appellent Dieu ; les mystiques, la vie ; les stoïciens, le cosmos ; les romantiques, la nature ; Henri Bergson (NDLR : philosophe français, 1859 – 1941), l’élan vital ; Friedrich Nietzsche, la volonté de puissance… Cette simple énumération suffit à convaincre que le nom importe peu. La confiance en je ne sais quoi est sûrement la vraie confiance.
La confiance en soi s’apprend-elle ?
Elle se retrouve plus qu’elle se conquiert. Comment ne pas avoir confiance dans le monde dans lequel on est né ? En la vie alors que l’on est vivant ? Dans les autres alors que l’on vit avec eux ? Il y a un degré de confiance minimale pour que le monde soit vivable. Si vous n’avez pas confiance en votre boucher, votre enfant, votre président parce que vous pensez qu’ils vous mentent, la vie n’est pas possible.
Apprendre à s’écouter aide à développer de la confiance, écrivez-vous. Comment y parvenir ?
L’expérience, l’habitude, la répétition permettent de devenir intuitif à force d’incorporation d’une maîtrise. Roger Federer peut s’écouter quand il joue un match de tennis. Le médecin urgentiste avec une expérience de trente ans peut s’écouter lorsqu’il doit désigner une priorité entre deux blessés. Moi, sur un court de tennis ou dans une ambulance, il vaut mieux que je ne m’écoute pas. Il ne faut pas valoriser l’intuition dans l’absolu. Elle est souvent une illusion. La maîtrise est le moment où la compétence se métamorphose en confiance. Alors, on peut s’écouter. La maîtrise permet l’immaîtrise.
Vous écrivez qu’il n’a jamais été aussi difficile de construire cette confiance parce que dans notre existence ultraconnectée, nous manquons d’occasions concrètes de la trouver. La liberté qu’offrent les nouvelles technologies est-elle difficile à assumer ?
Incriminer la liberté est un peu vague. Etre coupé des actions concrètes les plus élémentaires, voilà ce qui est déstabilisant. Auparavant, quelqu’un qui avait connu des désillusions avait des occasions très concrètes de retrouver un peu de la confiance perdue : en réparant un pan de sa maison, en allant couper du bois pour entretenir le feu ou en arrachant quelques légumes de son potager pour nourrir sa famille. Faire met en confiance. Or, on a perdu cette capacité de faire. A la place, on se contente de régler le thermostat du radiateur. Comment voulez-vous avoir confiance en vous quand vous ne faites plus rien d’observable directement ? L’action manuelle est un travail intelligent. La main de l’homme prolonge son cerveau. Or, nous sommes coupés de nos mains. Voilà pourquoi tant de cadres diplômés et intelligents font des burnout : ils ne savent plus ce qu’ils font. Ils assistent à des réunions, répondent à des mails, surveillent leurs subordonnés et font des rapports à leurs supérieurs.
Réaliser des actions observables met en confiance. Or on a perdu cette capacité de faire
Deuxième facteur qui contribue à la crise de confiance : la comparaison avec les autres exacerbée par les réseaux sociaux. Le phénomène est inédit dans l’histoire de l’humanité. Quoi que vous fassiez, vous pouvez, en surfant sur votre smartphone, vous comparer à des gens qui le font très bien dans tous les coins du monde. Vous voyez défiler devant vous les images tyranniques du triomphe des autres, en libre accès et comme un bombardement. C’est très douloureux et très dangereux pour la confiance en soi. Nos parents ne subissaient aucunement cette pression.
Enfin, dernière caractéristique de notre époque, on ne nous donne plus à » admirer » que des figures médiocres qui ont fait le buzz sur les réseaux sociaux ou qui ont été montées en épingle par des producteurs de téléréalité. On a pourtant besoin d’admirer quelqu’un pour se développer et pour prendre confiance en soi…. Apprécier la singularité d’un écrivain, d’un professeur, d’un chanteur nous enseigne que nous pouvons développer la nôtre dans un monde très conformiste et très normé. Si nous ne faisons plus rien de nos mains, si nous nous comparons sans cesse sur Instagram à tous ceux qui réussissent mieux et si nous n’admirons plus aucune personnalité, nous sommes très fragilisés.
Le cadre démocratique est-il indispensable à la confiance en soi ?
La confiance en soi est un idéal démocratique. Quand dominait une société d’ordre et de pure reproduction sociale dans laquelle les anciens maîtrisaient tout le savoir achevé, comment vouliez-vous avoir confiance en vous ? Le temps démocratique ouvert par la Révolution française va la valoriser. Le paradoxe est que, parallèlement, on va retirer beaucoup de l’assise sur laquelle on aurait pu la fonder. Je n’irai cependant pas jusqu’à affirmer que la démocratie est une condition nécessaire à son éclosion.
La confiance en soi, est-ce ce qui manque aux jeunes attirés par les sirènes du djihadisme ou du radicalisme en général ?
Oui, ils sont sensibles à ce type de discours parce qu’ils sont en crise de confiance, en crise identitaire. Mais elle est accrue par notre façon de présenter l’identité comme fixe, claire et solide. Nous sommes des animaux humains, compliqués, protéiformes, hétérogènes, ambigus, paradoxaux, contradictoires… Bref, nous n’avons pas une seule identité. La confiance en soi implique la capacité à composer avec cette multiplicité. Nous n’avons pas besoin d’être définis par une identité fixe pour nous aventurer dans le monde. Ce serait un déni du réel. Si on arrêtait de dire aux jeunes » vous devez être ceci ou cela « , peut-être certains échapperaient-ils au djihad. L’identité est violente. Le comprendre est compliqué parce qu’une fois que l’on a fait le deuil de l’identité, que reste-t-il ? Il demeure ce pour quoi je milite de livre en livre : une sagesse et de la complexité. Les nombreux psychologues, coachs et pseudo-gourous qui proposent de retrouver de la confiance en soi sur Internet ont un discours beaucoup plus simple. Ils assènent : » En vous, il y a cette personne géniale, ce bijou, ce joyau, cette essence. Et vous devez l’extérioriser. » La tarte à la crème de la pensée positive. Il y a là un déni de la vie humaine en tant qu’aventure de la rencontre, du lien, de la relation.
En quoi cette illusion peut-elle faire des ravages ?
Quand vous tapez » confiance en soi » sur Google, vous voyez apparaître une série de personnes qui prétendent pouvoir » réinitialiser votre logiciel » ou » vous reprogrammer pour le succès « . Il ne faut pas avoir fait quinze ans de psychanalyse lacanienne pour comprendre ce vocabulaire. Il signifie : » Vous n’êtes pas des humains. On va vous programmer comme des machines. » Eh bien non, nous ne sommes pas des machines. Nous sommes plus compliqués. Nous sommes des subjectivités humaines, des êtres qui doutons parce que nous sommes intelligents. Nous avons raison d’être anxieux. L’apprentissage de la confiance inclut aussi d’accepter la possibilité de la crise de confiance et de composer avec elle. A chacun de trouver son rythme. Si, à la faveur d’une enfance heureuse, on a été accompagné, protégé et aimé, on aura moins besoin de se rassurer régulièrement dans sa zone de confort. Ce qui sera davantage le cas si on a connu une enfance difficile. D’où l’importance de la connaissance de soi, préalable à la confiance. A ceux qui ne cessent de chercher sur Internet les sept techniques et les trois clés de la confiance en soi, je leur conseille de se déconnecter et d’aller faire une psychanalyse. Cela prendra trois ans. Mais ils sauront mieux qui ils sont et ils acquerront de la confiance. Je ne suis pas en opposition avec le développement personnel mais bien avec le pire de ce qu’il peut produire.
L’échec, auquel vous avez consacré votre précédent livre, peut-il aussi donner confiance ?
Oui, sous certaines conditions. La confiance en soi, ce n’est pas être sûr de soi, c’est oser s’aventurer dans le réel même s’il est complexe et même si la réussite n’est pas assurée. Or, l’échec nous apprend cela. Donc, la sagesse qui en découle y contribue, si toutefois la personne qui y a été confrontée n’a pas été trop blessée et si elle n’a pas confondu l’échec de son entreprise avec l’échec de sa personne.
Vous continuez à enseigner en classe de terminale, l’équivalent de notre dernière année du secondaire. Que vous apporte cette relation avec les étudiants ?
A peu près tout. Mes idées, des émotions parce que la philosophie est aussi un échange d’affects, enfin, le plaisir d’être utile, et notamment de donner confiance à autrui. La philosophie que j’aime est pratique et existentielle.
Bio express
1973 Naissance à Saint-Cloud, à l’ouest de Paris.
1999 Publication de son roman Descente (Flammarion).
2013Quand la Beauté nous sauve (Robert Laffont).
2015La Joie (Allary). 2016Les Vertus de l’échec (Allary).
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