L'activité des neurones se mesure désormais avec une très grande précision temporelle. © getty images

« C’est un réel espoir »: qu’est-ce que le neurofeedback, cette technique qui pourrait aider les TDAH, l’épilepsie ou les insomnies?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les progrès de l’imagerie fonctionnelle et de l’électroencéphalographie ont permis de faire avancer les recherches sur le neurofeedback. Ses applications semblent prometteuses.

Troubles déficitaires de l’attention avec ou sans impulsivité (TDAH), épilepsie, mais aussi insomnies, douleurs chroniques, dépression… La technique d’autocontrôle du cerveau par neurofeedback émerge et fait l’objet d’études universitaires et d’essais cliniques. Elle se base sur une idée simple: le cerveau ne se remodule pas seul, mais, comme un muscle qui se renforce grâce à la kiné, une fonction cognitive pourrait s’améliorer en la faisant travailler. En pratique, l’individu apprend à percevoir, en temps réel, son activité cérébrale et à modifier son comportement en cas de trouble, selon les informations qu’il reçoit, le plus souvent sous forme visuelle ou auditive (lire plus bas).

La technique repose sur le principe du renforcement positif.

Quand la technique s’est développée, dans les années 1970, ces informations étaient issues de données d’électroencéphalogrammes (EEG). Mais, faute d’évaluations et d’encadrement des pratiques, elle a décliné. La numérisation des EEG, le développement de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) en temps réel et celui des interfaces cerveau-machine lui donnent un nouvel élan. Plus d’un millier d’études scientifiques ont cherché à évaluer l’intérêt de cette méthode dans des pathologies touchant à l’éveil – épilepsie, trouble de l’attention, problème de concentration, insomnie, etc.

Pour l’heure, son efficacité a été démontrée dans le traitement des déficits de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et l’épilepsie, les deux affections regroupant le plus grand nombre de recherches. L’une des plus robustes, une méta-analyse incluant 1 149 sujets TDHA, a été conduite, en 2009, par Martijn Arns, directeur de l’institut privé de recherche Brainclinics, aux Pays-Bas. Ses résultats démontrent une amélioration des symptômes d’inattention et d’impulsivité et une action plus modérée sur l’agitation. Contrairement aux médicaments, ses effets augmentent avec le temps et se maintiennent. Depuis, d’autres études ont confirmé l’effet de la thérapie.

Moins de médicaments

En Europe, à l’inverse des Etats-Unis où le neurofeedback est reconnu comme une thérapie non pharmacologique avec un niveau de preuve 1, il n’est pas validé pour le TDAH ni même recommandé pour d’autres pathologies par les autorités sanitaires, faute d’éléments probants suffisants. Les chercheurs, eux, ignorent toujours s’il fonctionne au moins aussi bien que le méthylphénidate (Rilatine). Un groupe d’experts issus de neuf centres cliniques en Europe, dont la Belgique, les a comparés et a chapeauté un essai randomisé, avec un dispositif (logiciel et casque EEG) développé par une start-up française. Leurs conclusions, très attendues (et remises très en retard), ont été livrées en juin 2021. Elles indiquent d’abord que le neurofeedback présente une efficacité moindre que le médicament, lorsqu’il est utilisé comme traitement autonome. En revanche, les experts ont observé des bénéfices, notamment une baisse de la prise de psycho- stimulants chez les sujets entraînés, en parallèle, au neurofeedback.

Certains pratiquent le neurofeedback avec un logiciel clé en main appelé Neuroptimal. Les spécialistes fustigent ce système.
Certains pratiquent le neurofeedback avec un logiciel clé en main appelé Neuroptimal. Les spécialistes fustigent ce système. © getty images

La technique possède un intérêt thérapeutique dans l’épilepsie résistante au traitement (environ un tiers des cas). Deux tiers des patients rapportent ainsi une diminution de la fréquence des crises. Et cet effet bénéfique perdure six mois.

D’autres chercheurs soulignent son utilité pour la dépression. Chez les personnes dépressives, on observe des différences au niveau de l’activité cérébrale, notamment une asymétrie des ondes alpha: on en produit tous davantage dans l’hémisphère droit, mais chez les dépressifs, la production est inversée. S’entraîner à réduire cette asymétrie atténuerait significativement les symptômes. Chez ceux souffrant d’un trouble dépressif majeur non anxieux (c’est-à-dire récurrent), la rémission de ces symptômes était associée à une augmentation de l’estime de soi, soulignent les auteurs d’une étude, menée en 2021 par l’Institut de psychiatrie, psychologie et neurosciences du King’s College. «C’est un réel espoir, mais il faut qu’on arrive à identifier les sous-groupes de dépression pour lesquels ça fonctionne le mieux, et à standardiser des protocoles», précise le Dr Roland Zahn, coordinateur principal de l’étude.

Le neurofeedback n’a pas l’ambition de guérir le patient. Il améliore ses conditions de vie.

Un apprentissage

Ses résultats sont plus modestes dans la lutte contre l’insomnie. On ignore si son effet sur le sommeil se révèle durable. Les études, menées en double aveugle (ni les participants ni les chercheurs ne savent qui fait partie des groupes témoin et test) ne le démontrent pas. Selon Olivier Pallanca, psychiatre et neurophysiologiste, spécialiste des pathologies du sommeil et des troubles attentionnels à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, à Paris, «établir des “profils” d’insomniaques et, pour chacun, savoir quels signaux doivent être renforcés permettrait d’affiner la technique et, partant, d’obtenir de meilleurs résultats».

«Tous les troubles pour lesquels il est possible d’identifier de manière très spécifique une différence au niveau des signaux cérébraux pourraient, en principe, faire l’objet d’un traitement par neuro- feedback», avance Roland Zahn. A terme, selon lui, cette thérapie pourrait aussi être utile dans d’autres pathologies: état de stress post-traumatique, les troubles obsessionnels compulsifs…

Pour les experts, la priorité est de poursuivre les études, de structurer les pratiques scientifiques et cliniques. Aux Etats-Unis, au Canada et en Europe du Nord, à l’exemple de l’Allemagne et des Pays-Bas, le neurofeedback a progressé au sein d’une large communauté médicale et scientifique. Des cliniques sont installées, dirigées par un corps médical, généralement des psychiatres et des neurologues, et reconnues par les autorités sanitaires. Mais très peu en Belgique, où parallèlement aux études universitaires, se développent depuis quelques années des cabinets privés proposant, sans contrôle médical, des séances de neurofeedback à prix fort (de soixante à quatre-vingts euros, sans prise en charge par la sécurité sociale) à partir d’un système clé en main appelé Neuroptimal et dont les performances affichées laissent les scientifiques sceptiques. Le matériel et le logiciel peuvent être achetés pour dix mille euros et utilisés par des non-professionnels, sans aucune formation. La grande majorité des thérapeutes belges affirmant pratiquer le neuro-feedback utilisent en réalité ce dispositif. Les spécialistes fustigent ce système «passif», paramétré de la même manière pour tous les patients. «Le neurofeedback est un apprentissage qui exige une exposition répétée, au minimum trente à quarante séances par patient, de l’ordre de trois à quatre séances hebdomadaires, selon un protocole précis», conclut Roland Zahn. Sinon, rien, aucune chance d’enclencher un changement.

Comment ça fonctionne?

Quelle que soit la technologie utilisée, le sujet s’entraîne à contrôler ses activités cérébrales, en les augmentant ou en les diminuant. Pour ce faire, un signal enregistré est converti en une animation sur un écran (un jeu vidéo le plus souvent) ou en un son (de la musique) dans des écouteurs. Par exemple, sur un ordinateur, une montgolfière s’élève ou descend quand le signal cérébral augmente ou diminue. Grâce à ce feed-back en temps réel, le participant développe et perfectionne des stratégies mentales lui permettant d’augmenter ou de diminuer volontairement l’activité de telle ou telle aire cérébrale – et de déplacer la montgolfière. Dans le cas d’un TDAH, il s’agit ainsi d’équilibrer le ratio entre les ondes thêta et bêta, soit stimuler les bêta, représentatives de la concentration et de la vigilance et brider les thêta, associées à la distraction, la rêverie.

Au cours de l’apprentissage, l’individu est encouragé ou découragé à produire certaines ondes. La technique repose en effet sur le principe du renforcement positif: comme le sujet doit chercher ses propres stratégies mentales pour atteindre l’objectif et qu’il «visualise» leur efficacité en temps réel, il réalise qu’il est capable de modifier son activité cérébrale et, ainsi, d’améliorer lui-même sa santé et son bien-être.

La technique existe sous deux formes: le neurofeedback par EEG, le plus répandu, qui mesure l’activité des neurones avec une très bonne précision temporelle à l’aide d’électrodes placées sur le crâne et reliées à un écran d’ordinateur ; et le neurofeedback par IRMf en temps réel, plus récent et moins fréquent, qui se caractérise par une bonne précision spatiale.

Augmenter la capacité du cerveau à s’autoréparer

Il existe, chez l’homme, une «pouponnière à neurones» qui continue à en produire à foison, y compris au-delà de 80 ans. Si la quasi-totalité des régions cérébrales ne crée aucun neurone après la naissance, deux zones, le gyrus denté de l’hippocampe – structure cérébrale dédiée notamment à la mémoire et à la navigation spatiale – et la zone sous-ventriculaire, située au cœur du cerveau, contiennent des cellules souches capables de se différencier en véritables neurones, appelés néo-neurones. Mieux: lors d’un traumatisme ou d’un AVC, de nouvelles cellules nerveuses ont été observées dans le cortex (la matière grise), sans que leur origine ne soit établie. Autrement dit, le cerveau a la capacité de s’autoréparer.

Par conséquent, avec un espoir fou, les scientifiques ont tenté des essais de greffe de ces cellules souches, notamment dans la maladie de Parkinson. Les résultats, jusqu’ici, sont peu probants. Les recherches s’orientent, désormais, vers d’autres pistes. L’une d’entre elles consiste à maîtriser le comportement de ces cellules de secours, en quelque sorte. Bref, de les dérouter vers les zones lésées du cerveau grâce, par exemple, à une «molécule aimant» (mise au point à l’Institut Pasteur sur l’animal). Pour l’heure, les cellules nouvellement implantées ne survivent que quelques semaines. Augmenter leur durée de vie fait toujours l’objet d’études.

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