Cessons de comparer variole et variole du singe: « Ce sont deux maladies de sévérité très différente » (infographie)
La variole, qui a aujourd’hui complètement disparu, est considérée comme l’une des pires épidémies que le monde ait connues. La variole du singe, beaucoup moins contagieuse, semble pour l’instant cantonnée à une certaine partie de la population.
L’émergence du virus de la variole du singe dans plusieurs pays occidentaux fait ressurgir le spectre d’une des maladies les plus meurtrières de l’Histoire, la variole. Si les deux maladies portent un nom similaire et présentent quelques similitudes, les confondre serait mal venu. D’autant que la variole a été complètement éradiquée en 1980, après une campagne de vaccination réussie.
Pourquoi les comparer, dans ce cas ? Au regard de leurs origines, les deux virus sont génétiquement proches. À savoir qu’ils font partie de la même famille : celle des poxviridés. « Ce sont tous deux des Orthopoxvirus, c’est-à-dire des virus à ADN assez gros. Mais attention, ce n’est pas le même virus qui donne la variole et la variole du singe », précise Emmanuel Bottieau, expert en maladies infectieuses à l’Institut de Médecine tropicale. L’un est une zoonose, l’autre ne touche que les êtres humains. « Il n’y avait pas de réservoir animal pour la variole, c’est une différence non négligeable », selon l’expert de l’IMT Anvers.
Variole, l’un des plus grands tueurs du 20e siècle
Mais la plus grande différence réside certainement dans leur létalité. « La variole du singe est quand même une maladie beaucoup moins sévère que la variole. Il y a eu très peu de décès avec la variole du singe alors qu’il y en a eu beaucoup plus avec la variole. C’est ça la différence essentielle », affirme le professeur Michel Moutschen, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Liège et professeur d’immunologie.
Au 20e siècle, celle que l’on appelle aussi « la petite vérole » aurait tué à elle seule entre 300 et 400 millions de personnes dans le monde, faisant d’elle l’un des plus grands fléaux de ce siècle, après le cancer et autres maladies non transmissibles. « Cette maladie a été terrible dans l’Histoire, avec un taux de mortalité qui approchait les 20-30% et une contagiosité extrêmement élevée, beaucoup plus élevée que la variole du singe actuelle », soutient lui aussi Emmanuel Bottieau. Il parle même de la variole comme d’un « superbug » : « C’est vraiment le genre de maladie qu’on n’a pas envie de revoir. »
À quel point la variole du singe est-elle mortelle ? L’est-elle seulement ? Pas d’inquiétude à avoir pour l’instant, rassurent les deux experts. La variole du singe n’entraîne que très peu de décès: 12 morts ont été comptabilisés jusqu’à présent dans le monde. Aucun mort n’est à déplorer en Belgique.
La létalité de la variole du singe dépend en général des conditions de prise en charge, des comorbidités et probablement aussi de la souche responsable de la maladie. Jusqu’à présent, on en connaît deux: la souche d’Afrique de l’Ouest et la souche du Bassin du Congo. La première, qui semble beaucoup moins virulente (létalité inférieure à 1%), serait à l’origine de l’épidémie actuelle en Europe.
« Au Congo, on parle parfois d’une mortalité qui atteint 10%, mais cela me semble excessif, au regard des cas étudiés dans des projets de recherche », selon Emmanuel Bottieau. « Le problème est que c’est parfois difficile de savoir si c’est vraiment à cause de la variole du singe qu’une personne meurt ou s’il y a eu d’autres problèmes sous-jacents. »
Des symptômes similaires, mais…
Pour la variole comme pour la variole du singe, le tableau clinique commence de la même manière: fièvre, maux de tête, ganglions, douleurs musculaires, fatigue, éruptions cutanées… Dans le cas de la variole du singe, cependant, on constate des différences notables en matière de sévérité des symptômes.
« Pour la variole classique, les lésions cutanées étaient vraiment diffuses et très nombreuses. Elles avaient tendance à commencer au niveau du visage, puis se répandaient sur le reste du corps: le tronc, les jambes, les bras, y compris les mains et la plante des pieds. C’était vraiment une éruption généralisée », détaille l’expert de l’Institut de médecine tropicale. Toutes ces lésions devenaient évidemment des portes d’entrée idéales pour les bactéries graves, qui provoquaient alors des infections généralisées. C’est d’ailleurs l’une des causes de mortalité de la petite vérole. Selon Emmanuel Bottieau, 5 à 10% des gens développaient des formes extrêmement sévères de la variole, et certaines lésions présentes sur tout le corps avaient tendance à saigner sous la peau. On parle alors d’évolution maligne de la maladie, avec aussi une très forte mortalité.
Dans le cas de la variole du singe, le bilan est moins négatif. « On a un état grippal, des ganglions, des lésions cutanées mais souvent limitées et une évolution qui, dans la majorité des cas, reste bonne », rassure le professeur Michel Moutschen. Le nombre de lésions serait également limité: elles ne se localiseraient que dans la zone génitale. Il y aurait mêmes des formes asymptomatiques, qui montrent donc qu’on peut être infecté sans le savoir.
Contagiosité, une différence notable
Dans les deux cas, les maladies se transmettent par contact rapproché. « C’est à la fois le contact avec la peau infectée et probablement aussi les sécrétions respiratoires » qui sont responsables de la circulation des deux virus, précise Michel Moutschen. Grosse nuance, en revanche: la variole du singe est nettement moins contagieuse que son cousine éloignée. Son R0 (taux de reproduction du virus) serait inférieur à 1, alors que celui de la variole était situé entre 5 et 10.
« Dans l’épidémie actuelle en Europe, la transmission intervient chez les gens qui ont des contacts étroits. Mais on n’a pas encore vraiment étudié de cas de transmission qui se serait faite à des gens qui vivent ensemble, sous le même toit, sans dormir dans le même lit », ajoute l’expert de l’IMT Anvers.
Qui dit plus faible contagiosité, dit également meilleur « contrôle » de l’épidémie. Jusqu’à présent, la variole du singe reste limitée à une certaine partie de la population. « Le virus débarque dans nos régions et il reste cantonné à des réseaux de personnes où les contacts de peau à peau sont particulièrement fréquents », explique le chef du service des maladies infectieuses. « Ce variant se répand partout dans le monde, essentiellement chez les homosexuels. Mais si un jour, ces jeunes hommes ont des contacts avec des femmes, il n’y a pas de raison qu’elles ne soient pas infectées », précise encore son confrère de l’Institut de médecine tropicale, Emmanuel Bottieau.
D’où l’importance de contenir au mieux le virus et ainsi prévenir sa propagation à une population plus générale. Cela demande bien sûr un vaccin efficace – celui autrefois employé pour lutter contre la variole – et de bonnes mesures de prévention. Au point d’éradiquer à son tour la variole du singe? Pas si sûr, selon Emmanuel Bottieau. « La variole n’était pas une zoonose, et c’est ce qui fait qu’on a pu l’éradiquer. Et c’est ce qui fait que l’on ne pourra sans doute jamais éradiquer la variole du singe. Quand ça ne touche que les humains, c’est plus facile à contrôler… »
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