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La césarienne, un acte lourd, un suivi trop léger? «Je suis terrorisée à l’idée de revivre ça»

De 20,5% en 2012 à 22,2% en 2022. Le taux des naissances par césarienne progresse en Belgique. L’encadrement et l’accompagnement de ce geste chirurgical plus vraiment inhabituel restent pourtant flou.

Informée, préparée et accompagnée de manière bienveillante, Isabelle (1), 51 ans, garde un souvenir positif de son accouchement par césarienne. «J’ai une malformation utérine congénitale, il était donc clair dès le début que le bébé aurait très peu de place et qu’accoucher par voie basse présenterait des risques, même si ce n’était pas totalement impossible.» Préscillia, 31 ans, elle, a été césarisée en urgence et se dit «un peu traumatisée». «Le problème n’est pas la césarienne en soi, mais l’absence d’un suivi global et généralisé», estime Audrey Bouyer, fondatrice de Wounded Women, une start-up dédiée à l’approche intégrative du soin pour les femmes césarisées.

De fait, les pratiques peuvent varier d’un hôpital à l’autre. «Toutes les écoles de médecine, les formations, n’ont pas forcément la même approche, confirme Pierre Bernard, responsable du service d’obstétrique des Cliniques universitaires Saint-Luc. Tout dépend aussi de l’état général de la maman et du bébé.» Cette absence de protocole global peut parfois engendrer un sentiment d’arbitraire. «Certaines femmes ont l’impression que leur césarienne n’était pas justifiée, qu’elle a été réalisée pour gagner du temps», rapporte Anna Troisville dans son mémoire réalisé à Sciences Po Lyon. Pourtant, «les césariennes sont effectuées selon des conditions précises», rappelle le Pr. Bernard. C’est le cas quand le bassin de la mère est trop petit par rapport à la taille du bébé (césarienne programmée), lorsque le travail n’avance plus et la dilatation est à l’arrêt, que le bébé ne s’engage pas (césarienne en cours de travail) ou encore en cas de problème cardiaque chez l’enfant de telle sorte que l’accouchement par voie naturelle présente un risque à la fois pour l’enfant et/ou la mère (césarienne d’urgence).

«Les césariennes sont effectuées selon des conditions précises», rappelle le Pr. Bernard. © GETTY

Traumatisante, la césarienne? Des études démontrent en effet qu’elle peut induire une réaction de stress chez les mères, ce qui pourrait augmenter le risque de dépression post-partum. «Je suis terrorisée à l’idée de revivre une grossesse, et une césarienne», concède Préscilla. Selon une recherche publiée en novembre 2024 dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology, 9% des femmes ayant accouché par césarienne autour de 34 semaines de gestation présentent même des symptômes de trouble de stress post-traumatique deux mois après l’accouchement. Si l’acte médical peut être vital, c’est toutefois le manque de cadre, d’information et d’accompagnement qui pour de nombreuses femmes le rend potentiellement traumatique. «Je n’étais pas du tout préparée à l’éventualité d’une césarienne. Personne ne m’a expliqué comment ça se passait», témoigne Préscillia.

Dans le vécu de l’acte chirurgical, la douleur physique et la peur de perdre l’enfant jouent un rôle majeur. Coralie, 38 ans, évoque une césarienne «à vif»: «Je ressentais tout ce qui se passait à l’intérieur de mon ventre, les mains, les agrafes. Ma péridurale ne faisait plus effet et les soignants ne s’en sont pas aperçu tout de suite. La souffrance était indescriptible.» Quant à Préscillia, «ça va passer, ce n’est rien», «si elles avaient toutes mal comme vous, je ne m’en sortirais pas», sont des phrases qu’elle a entendues. L’expérience d’Isabelle est tout autre: «Les deux anesthésistes ont immédiatement détendu l’atmosphère, allant jusqu’à blaguer avec moi. Quant aux deux gynécologues présentes, elles m’ont expliqué chacun de leurs gestes tout au long de l’intervention et m’ont même laissé le choix de la technique pour refermer. Alors certes, on ressent les gestes, mais sans douleur. D’ailleurs, je pense avoir vécu un accouchement bien moins traumatisant que certaines de mes amies qui ont souffert pendant des heures avant d’accoucher de manière naturelle.»

Et le Pr. Bernard de rappeler: «Le consentement éclairé de la patiente, répondre à sa douleur et ne pas la minimiser doivent faire partie du rôle du soignant» Ce qui, au regard des témoignages de Coralie et Préscillia ne semble pas, malheureusement, toujours le cas.

22,8%

des naissances ont eu lieu par césarienne en Wallonie en 2023, contre 22,1% en Flandre et 20,9% à Bruxelles selon le Centre d’épidémiologie périnatale (Cepip).

Une opération loin d’être anodine

Pour Sophie Alexander, ex-conseillère gynécologue à l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE), «s’il y a des arguments pour et contre la césarienne, il faut trouver une juste mesure». Entre conscience des avantages et des risques possibles. L’opération multiplierait ainsi le risque de mortalité maternelle par 3,5, selon une étude de Santé publique France. En cause? Les infections, les thromboses et les aléas liés à l’anesthésie. Les premières causes de mortalité maternelles sont le suicide, les risques cardiovasculaires et les hémorragies, dont la césarienne est le facteur de risque numéro un selon le septième rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018 publié en France en avril 2024. L’étude Planned Caesarean Birth du Royal College of Obtetricians & Gynaecologists, publiée en août 2022 et mise à jour en novembre 2024, recense moins de complications d’incontinence urinaire et fécale pour les femmes césarisées, mais leur enfant aura davantage de risques de présenter de l’asthme, une obésité ou encore des allergies cutanées que les autres. «La césarienne est associée à des risques à court et à long termes pouvant perdurer plusieurs années après l’accouchement et affecter la santé de la femme et de son enfant ainsi que les grossesses ultérieures», résume l’OMS.

Une attention particulière et un suivi systématique adaptés à chaque femme sont donc essentiels. Pourtant, les patientes césarisées retournent généralement chez elles dans les 72 à 96 heures après l’opération, contre dix jours il y a une dizaine d’années. «Si la maman se sent prête et a envie de rentrer chez elle car elle a d’autres enfants qui l’attendent, par exemple, il n’y a pas de problème, mais dans les autres cas, c’est compliqué», déplore Stéphanie Langelez, de l’association Césarine, qui accompagne les parents concernés par une naissance par césarienne.

«La césarienne est associée à des risques pouvant perdurer plusieurs années après l’accouchement.»

Un rapport d’audit des hôpitaux sur la césarienne a mis en lumière certains manquements dans le suivi post-opératoire. Un accompagnement pourtant primordial pour la résilience du corps, notamment. Si Isabelle a pu compter sur la visite régulière d’une sage-femme pendant deux à trois semaines après son retour à la maison, pour d’autres, ce fut plus sporadique voire inexistant. Or, «s’asseoir, être debout, marcher, rire, tousser, porter son bébé qui parfois donne des coups sur la cicatrice, descendre un escalier, tout cela peut s’avérer compliqué», rapporte Audrey Bouyer.

Le rapport à la cicatrice aussi diffère d’une femme à l’autre. «Certaines ont dû mal avec cette marque. D’autres la voient comme la preuve physique qu’elles ont donné la vie», observe Amélie Van der Vieren, psychologue clinicienne à l’UCLouvain. Car à côté des conséquences physiques, quid du suivi psychologique? Un an après son accouchement, l’hôpital où Isabelle a donné naissance à son fils l’a appelée: «On m’a interrogée sur la manière dont j’avais vécu l’acte chirurgical, si j’avais fait une dépression post-partum, si j’avais gardé des séquelles.». Si la quinquagénaire assure avoir «ressenti» donner la vie, ce n’est pas le cas de Lucile, 29 ans, qui s’est «sentie très inutile», «dépossédée de son corps». «Tout est allé vite et ce fut assez difficile de me rendre compte que le bébé était bel et bien sorti de mon ventre», raconte-t-elle.

Dans une société patriarcale où devenir mère reste encore parfois une réalisation de soi pour les femmes, accoucher par voie basse peut constituer une norme, un rite de passage. «La césarienne a été et reste même souvent perçue comme un sous-accouchement. D’où un sentiment d’échec pour certaines patientes», analyse Stéphanie Langelez. Mais pour Sophie Alexander, «une modification de la sociologie de la naissance, de l’idée qu’on s’en fait, aussi bien chez les parents que chez les soignants» est en cours et pourrait expliquer la tendance à une hausse du nombre de césariennes dans le monde. «Une femme qui souhaite accoucher par césarienne verra son souhait réalisé», note la gynécologue.

La césarienne pourrait augmenter les risques de dépression post-partum. © GETTY

Une question de santé publique

Audrey Bouyer, fondatrice de Wounded Women, a élaboré un livre blanc de 30 recommandations pour la création d’un protocole pour une prise en charge physique et psychologique des mères qui accouchent par césarienne. Parmi les piste? Une meilleure formation des soignants et l’allongement du congé de maternité à six mois pour permettre une convalescence plus longue. En Belgique, une travailleuse a droit à quinze semaines de repos.

Parmi les recommandations, également: un suivi généralisé des femmes dès la grossesse. «Il faut expliquer à chaque maman, à chaque couple, que même si tout se présente bien, la césarienne peut être une option, confirme Amélie Van der Vieren. Même en urgence, il faut expliquer calmement pourquoi on y a recours, dédier une personne à l’accompagnement de la mère.»

«Le consentement éclairé de la patiente doit faire partie du rôle du soignant.»

L’audit des hôpitaux sur la césarienne en Belgique liste, lui aussi, des recommandations: éviter autant que possible une première césarienne qui pourrait conduire à d’autres lors de grossesses ultérieures, établir une procédure pour les actes à pratiquer dans un délai critique et les intégrer dans un trajet de soins ou encore favoriser la concertation entre médecins et l’autoévaluation qui contribuent à ajuster la politique médicale concernant les accouchements. Dans le Plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre 2021-2025, si la question des violences obstétricales et gynécologiques et de la nécessité de leur prévention se pose, aucune mention spécifique de la césarienne n’est faite. Selon la docteure Clotilde Lamy, directrice de la Clinique de l’obstétrique à l’hôpital Erasme à Bruxelles, «l’opération est considérée comme une voie d’accouchement» et «doit rester dans les politiques de la naissance», mais «mérite qu’on s’y intéresse en particulier».

(1) Le prénom a été modifié.

Des chiffres en hausse

En Belgique, le taux de naissances par césarienne s’élevait à 22,2% en 2022 contre 20,5% dix ans plus tôt, selon Statbel, l’institut national de statistique. Des chiffres bien loin de ceux qu’enregistrent d’autres pays, comme le Brésil, par exemple: 56%. Pour l’Organisation mondiale de la santé, le pourcentage idéal d’accouchements par césarienne se situerait entre 10% et 15%. Pourtant, les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)  révèlent qu’il augmente partout dans le monde.

En 2023, selon le Centre d’épidémiologie périnatale (Cepip), la proportion de césariennes était de 22,8% en Wallonie, 22,1% en Flandre et 20,9% à Bruxelles et varie en fonction des établissements de santé. «Le pourcentage des césariennes par rapport au nombre total de naissances varie fortement d’un hôpital à l’autre: en 2019, il oscillait entre 13,5% et 30,6%», selon le rapport d’audit des hôpitaux sur la césarienne publié en 2022. En cause? Des facteurs médicaux et majoritairement le fait que la patiente ait déjà eu recours à une et surtout plusieurs césariennes par le passé.

Mais pour la gynécologue Sophie Alexander, ces disparités ne s’expliquent pas vraiment. «Ce qui détermine ces taux ne vient ni des femmes, ni de leurs besoins, ni d’un intérêt financier. A part peut-être gagner un peu de temps, on ne les explique pas», précise la professeure invitée à l’ULB, ex-conseillère à l’ONE, en se basant sur les résultats de l’étude Effect of Maternity Characteristics on Cesarean Section Rates in Belgium: A Robson Classification Approach à laquelle elle a contribué. En Belgique, un accouchement avec ou sans césarienne est en effet facturé de la même façon.

Bénévole à l’association Césarine, Stéphanie Langelez nuance: «On observe parfois des différences qu’on n’explique pas, mais un hôpital universitaire qui va recevoir des patientes avec des pathologies aura un taux plus important que les autres.» La transparence totale des établissements de santé concernant ces données fait partie des revendications de la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée. Rendre public les chiffres, de manière systématique, permettraient aux patientes d’avoir davantage de choix», sourit Stéphanie Langelez.

Par Marion Brodier

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