Ces aliments qui contiennent de l’alcool «caché»: pourquoi ce n’est pas sans danger pour la santé
La présence d’alcool dans la nourriture ou certains remèdes est liée à des réactions chimiques ou au procédé de fabrication. Et elle n’est pas toujours indiquée sur l’étiquette.
Caché, vraiment? L’alcool présent dans certains produits s’y trouve naturellement. Au cours de la fermentation, de l’alcool est libéré. Quand des micro-organismes (levures, moisissures, bactéries) «digèrent» les sucres des aliments contenant des glucides, ils génèrent inévitablement deux sous-produits: un gaz – le gaz carbonique – et un liquide – l’alcool éthylique, aussi connu sous le nom d’éthanol, l’ingrédient présent dans les boissons à base d’alcool. C’est le cas du pain ordinaire, du kéfir, du kombucha, des jus de fruits frais ou encore des yaourts.
Mais certaines étiquettes sont silencieuses. L’alcool est ajouté dans des aliments par les industriels, y compris les plus inattendus: des crèmes glacées, le pain de mie, des brioches, des moelleux, des pâtes feuilletées et brisées, des confitures, de la sauce soja, des plats cuisinés… Le tout légalement, puisque l’obligation d’indiquer la présence d’éthanol ne porte que sur les boissons et leur vente et non sur l’ensemble des denrées alimentaires et leur consommation.
L’alcool éthylique est en effet utilisé comme support pour les arômes naturels (de vanille, de rhum, de café…) pour en modifier le goût. Il joue également le rôle de conservateur, en bloquant la croissance de micro-organismes, notamment les moisissures et les levures. Certes, il est ajouté en quantité limitée, mais parfois parfaitement décelable à l’analyse: 1,28 gramme pour 100 grammes dans ces sandwichs au lait, 1,21 gramme pour 100 grammes dans ce cake aux fruits, 1,1 gramme pour 100 grammes dans cette panna cota, 0,93 gramme pour 100 grammes dans cette génoise nappée et fourrée de chocolat…
Des groupes à risque
De faibles concentrations d’alcool, certes, mais qui exposent les sujets qui, après une cure de désintoxication, doivent observer une abstinence totale et définitive, les malades (comme les insuffisants hépatiques et les épileptiques) dont l’affection nécessite la même abstinence, ou dont le traitement comporte des médicaments totalement incompatibles avec l’alcool. Aussi, chez les anciens alcooliques, l’ajout d’éthanol peut entraîner une pression addictive, c’est-à-dire une envie impérieuse de boire. Le circuit de la récompense, stimulé par un neurotransmetteur (la dopamine) produit en excès, est en effet très rapidement réactivé. Et cette hyperactivité cérébrale empêche les dépendants de se libérer de leur addiction.
D’autres groupes à risque, les enfants ainsi que les femmes enceintes ou allaitantes, sont également concernés. Chez ces dernières, des expositions, mêmes minimes, peuvent déjà provoquer chez le fœtus des troubles moteurs et des anomalies neurologiques. Une étude, menée en Allemagne et publiée en 2022 dans Journal of Analytical Toxicology, montre qu’aucun aliment analysé ne dépasse le taux légal de 0,5 gramme par litre. En revanche, elle révèle que les jus de fruits, en particulier, présentent un niveau critique d’éthanol pour les enfants et largement supérieur à celui indiqué par l’Agence européenne des médicaments (six milligrammes par kilo de poids corporel).
Dans des «remèdes naturels»
Des produits pharmaceutiques (médicaments, compléments alimentaires, préparations homéopathiques) sont dans le même cas, et certains, en vente sans ordonnance, n’informent pas le consommateur sur la présence et la quantité d’alcool. Qu’il s’agisse de teintures mères (solutions hydroalcooliques issues d’un mélange de plantes fraîches et d’alcool entre 60 et 90 degrés), de concentrés de nutriments (vitamines, etc.), de sirops à base de plantes, l’éthanol est principalement utilisé comme solvant, c’est-à-dire pour dissoudre le principe actif, comme excipient (composant inerte), comme simple conservateur ou encore «sans aucune raison valable», selon le Conseil supérieur de la santé (CSS). Ainsi les «élixirs naturels» de Bach, du nom d’un médecin homéopathe anglais qui prétendent soigner chaque état psychologique négatif, sont tous obtenus après macération alcoolique dans du… brandy.
«Sans plus de précisions, aucune teneur en alcool “acceptable” ne peut être déterminée.»
Jean Nève, expert scientifique en sciences nutritionnelles (Conseil supérieur de la santé).
Consulté par le SPF Santé public, le CSS a remis un avis, en juin 2023, sur la sécurité des compléments alimentaires contenant de l’alcool et susceptibles d’être administrés aux enfants et aux adolescents. Ses experts estiment qu’«à ce stade, un enfant ou un adolescent consommant ce type de remèdes, toutes formes confondues (NDLR: teintures mères, fleurs de Bach, sirops, etc.), peut ingérer des doses non négligeables d’alcool, allant jusqu’à plusieurs grammes par semaine».
Surtout, le rapport épingle la difficulté d’identifier clairement la présence et la quantité d’éthanol dans les produits vendus sans ordonnance. Les données récoltées auprès de fabricants demeurent «incomplètes, non contrôlées et nullement fiables». Ils sont souvent commercialisés sans stipuler la teneur exacte en alcool, la quantité apportée par la posologie journalière et l’impact d’une prise chronique sur la santé. «Sans plus de précisions, aucune teneur en alcool « acceptable » ne peut être déterminée pour ces produits», note Jean Nève, expert en chimie thérapeutique et sciences nutritionnelles auprès du Conseil supérieur de la santé. Les douze experts n’ont évidemment pas pu étudier les milliers de sirops et de remèdes naturels, mais parmi ceux qu’ils ont analysés, certains contenaient jusqu’à… 60% d’éthanol.
L’organe consultatif demande l’obligation pour les fabricants de dévoiler la teneur en éthanol, de calculer précisément la dose d’alcool ingérée selon la posologie recommandée selon l’âge, et de l’indiquer sur l’étiquette ainsi que les risques encourus. A cette obligation s’ajoute celle de devoir démontrer que l’éthanol est absolument indispensable dans ces préparations. Un nouvel avis était entendu en septembre 2023, après les retours de l’industrie. Il n’est pas encore prêt.
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