Les "troisièmes molaires" n'ont plus beaucoup de fonction. © getty images

Ces parties du corps vouées à disparaître: pourquoi les dents de sagesse sont condamnées

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Au cours de l’évolution, le corps humain s’est modifié. Certaines parties pourraient même, à terme, ne plus avoir aucune utilité. Jusqu’à disparaître?

Les dents de sagesse percent généralement entre 17 et 25 ans, mais elles peuvent pousser à n’importe quel âge. Certains en ont quatre, d’autres deux, trois, voire aucune. Parce qu’elles sont les troisièmes de la série des molaires, elles sont considérées comme des dents de faible valeur, potentiellement plus fragiles. Qui ne sortent pas toujours correctement, qui parfois poussent à l’horizontale, souffrent souvent de caries et d’infections, d’inflammations, d’abcès, de névralgies, parce que tout au fond de la bouche, on nettoie moins bien, tant avec la brosse que la langue.

Surtout, la valeur fonctionnelle des dents de sagesse est devenue assez relative. Comme toutes les molaires, elles servent à mastiquer. Nos ancêtres avaient un avantage sélectif à avoir beaucoup de dents et à les garder. Chez l’homme moderne, devenu adepte d’une alimentation de plus en plus tendre, une grande mâchoire robuste n’est plus un bénéfice évolutif. En revanche, si elles percent sans poser de problèmes, autant les garder: elles peuvent servir si les autres viennent à manquer, ou à la pose future d’un bridge.

Dans une alimentation moderne, ces «troisièmes molaires» n’ont plus beaucoup de fonction. Pourtant, bizarrement, elles ne s’atrophient pas, à l’instar d’autres organes dont l’utilité n’est plus. La mâchoire, par contre, se réduit par rapport à celles des premiers hominidés. Ce qui explique que, parfois, les dents de sagesse peuvent peiner à trouver leur place. Pour l’anthropologue biologiste américain Clark Spencer Larsen, spécialiste reconnu de l’histoire de la santé et des modes de vie, «la pression moindre sur le visage et la mâchoire a entraîné des modifications de la forme du crâne». Concrètement, l’évolution de la face humaine tend à «se verticaliser». L’homme n’a plus la mâchoire en avant, contrairement au singe, laissant nettement moins de place aux dents. Il ajoute que, à l’échelle mondiale, «l’augmentation des malocclusions dentaires, du chevauchement des dents et de l’impact sur les molaires sont également des signes de ces changements».

Vingt-huit dents seraient, aujourd’hui, suffisantes.

Ces mâchoires trop étroites ne pourraient plus accueillir 32 dents. Vingt-huit dents seraient, aujourd’hui, suffisantes. Deux hypothèses sont évoquées. Au cours de l’évolution, il semble que la diminution de la mâchoire a été plus importante que celle de la taille des dents. D’après des anthropologues, cette réduction de la mâchoire pourrait se poursuivre et l’humain pourrait voir certaines dents disparaître. Près d’un tiers de l’humanité naît déjà sans dents de sagesse, avec, cependant, des disparités géographiques: aucun Mexicain autochtone n’en a, alors que tous les natifs de Tasmanie en ont.

D’autres suggèrent une autre possibilité, qui ne s’oppose pas à la première: l’usure dentaire. A force de mastication, nos ancêtres avaient, durant l’enfance et l’adolescence, le temps d’user leurs dents définitives avant l’apparition des dents de sagesse, laissant une place suffisante pour ces dernières. Là encore, le mode alimentaire, plus mou, ne sollicite plus assez les dents et lorsque les troisièmes molaires surgissent, la place n’est plus toujours libre. Seules les populations ayant conservé des habitudes alimentaires plus anciennes, utilisant des nourritures plus simples et surtout moins cuites, donc plus dures, ont encore des mâchoires capables d’accueillir sans problème toutes leurs dents.

En avoir ou pas

Selon la littérature scientifique, de 1% à 15% de la population – jusqu’à 25% en ce qui concerne les dents de sagesse – est touchée par l’agnésie dentaire, à savoir l’absence d’une ou plusieurs dents. Chez un individu, il peut ainsi manquer d’une à six dents, parfois davantage. Les causes demeurent méconnues. Des spécialistes avancent la théorie de l’évolution. Moins de mastication, une mâchoire moins forte, l’organisme s’habitue. Les dents nécessaires à la mastication, alors, disparaîtraient. Une théorie qui ne fait pas l’unanimité. Pour l’heure, il n’y a pas, dans la littérature scientifique, de constat d’une évolution manifeste rapide des agénésies dentaires. Les scientifiques ne rejettent cependant pas qu’il puisse peut-être s’agir d’une évolution sur plusieurs siècles. En revanche, ils savent que les agénésies dentaires peuvent être liées à des facteurs génétiques. Ainsi, il n’est pas rare de voir des membres d’une même famille à qui il manque les mêmes dents.

Longtemps, les chirurgiens-dentistes ont extrait préventivement les dents de sagesse pour prévenir l’encombrement des dents antérieures. Ils se sont finalement aperçus qu’elles n’entraînent pas le déplacement des incisives et des canines vers l’avant. Les autres dents forment un blocage mécanique et ce n’est pas une simple dent de sagesse qui sera en mesure de les pousser. L’extraction des dents de sagesse n’est donc plus systématique. Elle ne se fait qu’en présence d’un symptôme ou d’une pathologie liés à cette dent. Seule exception, plus esthétique que thérapeutique, si l’adulte souhaite entamer un traitement orthodontique. L’extraction dégagera alors de la place pour permettre un réalignement correct des dents. Les caries font partie des motifs d’extraction les plus fréquents. Les dents de sagesse peuvent également être la cible d’une péricoronarite, une inflammation de la gencive, qui peut s’accompagner d’une infection, puis d’un abcès. Si les péricoronarites se répètent, l’extraction de la dent devient inévitable.

Une poussée à l’horizontale de la dent ne justifie pas, à elle seule, l’extraction, sauf si sa position gêne l’emboîtement correct des mâchoires.

L’intervention n’est pas sans risque. Un ou les deux nerfs dentaires inférieurs risquent d’être lésés. Ce qui peut entraîner une perte définitive de la sensibilité d’une partie de la mâchoire et de la lèvre inférieure.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire