Pourquoi la chair de poule ne nous sert plus à rien
C’est l’un des muscles les plus variables de l’espèce humaine: le muscle long palmaire. Il est désormais absent chez 20% de la population. La chair de poule, que tout le monde connaît, est devenue tout aussi inutile.
Faites le test. Posez le dos de la main sur une table, puis faites en sorte que le bout de votre pouce et celui de votre auriculaire se touchent. Si un tendon apparaît à la base du poignet, c’est que vous êtes équipé du fameux muscle long palmaire, appelé également palmaris longus, s’étirant du coude au poignet. Si ce n’est pas le cas, vous faites partie des quelque 20% de la population qui en sont dépourvus. En effet, certains n’en possèdent pas sur un (généralement à gauche) ou deux de leur avant-bras. Car le muscle long palmaire, qui sert à la flexion du poignet, est sous-développé chez l’être humain. Mais ce n’est pas le seul, plusieurs muscles de l’avant-bras ayant la même fonction. Il est d’ailleurs si peu nécessaire qu’il est parfois utilisé en chirurgie reconstructive et ophtalmologique pour remplacer un tendon défaillant. Les tendons les plus souvent remplacés ou renforcés par le muscle long palmaire sont ceux du muscle fléchisseur commun des orteils et du muscle long fléchisseur du pouce.«Il sert de banque de greffons de choix car c’est un long tendon qui autorise une bonne revascularisation, détaille Jean-Luc Voisin, docteur en paléontologie humaine et chercheur à l’université de la Méditerranée Aix-Marseille (1). Les patients se demandent alors si la fonction de leur poignet ne va pas se trouver altérée par ce prélèvement chirurgical. Au contraire, les études montrent qu’ils ne la perdent pas.» Le fait que ce muscle ne puisse plus être mobilisé à la suite de l’ablation du tendon n’entraîne pas non plus de perte de force.
20% de la population est dépourvue du muscle long palmaire.
Evolution régressive
Il s’agit de l’un des muscles les plus variables de l’espèce humaine. A l’échelle mondiale, son absence s’élève à 20,25% mais de grandes différences apparaissent selon les ethnies. Ainsi, 63% des Turcs n’en possèdent pas contre 1,5% à peine de la population est-africaine. C’est évidemment un héritage de l’histoire de l’évolution. Les scientifiques ont montré que le muscle permet à certaines espèces de sortir leurs griffes au niveau de leurs pattes. On le retrouve très facilement chez les primates, qui utilisent énormément leurs avant-bras pour se déplacer. Les espèces de singes arboricoles, les non-homininés, comme les lémuriens, les gibbons ou les cercopithèques, présentent un muscle long palmaire bien plus développé et plus long que les primates terrestres, comme les gorilles et les chimpanzés. «Le palmaris longus est considéré comme un muscle dont l’évolution est régressive, probablement à cause du développement de la préhension et de la diversification de la fonction de la main au fil de l’évolution», poursuit Jean-Luc Voisin. Autrement dit, en abandonnant la niche arboricole et en devenant bipèdes, les ancêtres des humains ont cessé de se servir de leurs mains pour la locomotion et ont pu ensuite développer une dextérité accrue.
Toujours sur les bras humains, d’autres muscles sont inutiles et pourraient disparaître, notamment les horripilateurs, qui s’activent sous un frisson de peur, une émotion intense, une température un peu trop froide. Les poils alors se hérissent, la peau se recouvre de «chair de poule», en référence à l’apparence caractéristique de la peau d’un poulet déplumé. Une réaction si habituelle qu’elle n’interroge jamais, tout juste valide-t-elle un état physique ou émotionnel. La chair de poule, pourtant, est un phénomène très ancien, sans doute hérité de lointains ancêtres plus poilus, et qui n’a plus guère d’utilité.
Pour nommer ce mécanisme réflexe, les scientifiques utilisent les termes d’«horripilation» et de «piloérection». Ce phénomène est déclenché par les muscles horripilateurs, ou arrecteurs, situés à la base de chaque poil et dépendant du système nerveux autonome, hors du contrôle volontaire. S’ils hérissent les poils, c’est pour une raison physiologique simple: en se dressant, les poils emprisonnent une fine couche d’air. L’air étant un bon isolant thermique, il permet ainsi de conserver plus facilement la température corporelle. D’autres mécanismes, comme la constriction des vaisseaux sanguins et la diminution de la transpiration, l’aident dans cet objectif, la chair de poule seule ne pouvant suffire. Or, la pilosité de l’humain s’est considérablement réduite au cours de l’évolution, au point que la chair de poule ne procure plus aucun avantage – peu d’air étant effectivement conservé par les poils.
Un mécanisme de défense
Si la chair de poule est déclenchée lors d’un changement de température, elle l’est également lors d’une émotion. L’hypothèse est qu’en se dressant, les poils nous rendaient plus imposants. A l’image des animaux à fourrure, auxquels la chair de poule permet d’augmenter de volume et donc de paraître plus gros qu’ils ne le sont aux yeux de leur ennemi. Un mécanisme utilisé chez les chats, par exemple, pour faire fuir leurs congénères ou un chien. Le même processus est aussi à l’œuvre chez le hérisson, pour lequel le redressement des piquants sert à la fois d’avertissement et de défense.
Plus étonnamment, avoir la chair de poule à l’écoute de musiques qui «remuent» ou à la contemplation d’un beau tableau pourrait relever du même processus, d’après des chercheurs qui étudient les réactions physiques provoquées par la musique.
Un son inattendu émanant d’un morceau de musique –une voix surprenante, un changement de rythme– entraîne la même réaction. Etre ému rend tout simplement plus vulnérable et nécessiterait d’enclencher les mêmes réflexes défensifs qu’en cas de danger. Cependant, le cerveau, bien malin, analyse rapidement que ce n’est pas une situation dangereuse. Tout bénéfice pour les oreilles.
(1) « Influence du muscle long palmaire sur la force de flexion du poignet », Kinésithérapie, La Revue, 2016.
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