Ces parties de corps vouées à disparaître? Le coccyx, plus qu’un reliquat de la queue ancestrale
Le segment terminal de la colonne vertébrale ne nous permet plus de sauter de branche en branche comme le faisaient nos prédécesseurs primates. Mais il remplit toujours des fonctions importantes.
Constitué de quatre ou cinq vertèbres atrophiées et soudées entre elles, le coccyx ne se rappelle à notre bon souvenir que lorsque nous faisons une mauvaise chute, que nous restons trop longtemps mal assis ou après un accouchement. La douleur ressentie peut alors s’avérer particulièrement pénible, voire invalidante, et remonter jusque dans les hanches ou le bas du dos. Tout ça pour un chapelet d’os qui ne sert plus à rien?
L’idée selon laquelle le coccyx (qui tient son nom de sa ressemblance avec le bec du coucou, ou kokkux en grec) n’est qu’un vestige de la queue de nos ancêtres que l’évolution a rendu inutile est assez répandue. Elle est pourtant fausse. Car si les humains sont effectivement des primates sans queue, ce n’est pas l’abandon de notre mode de locomotion arboricole pour un mode de locomotion terrestre qui nous l’a fait perdre.
Nos plus proches cousins, les grands singes (chimpanzés, bonobos, gorilles, orangs-outans, gibbons et siamangs) sont des animaux arboricoles et pourtant, ils n’ont pas de queue, fait remarquer Michelle Drapeau, professeure au département d’anthropologie de l’université de Montréal. Si nous avons perdu notre queue, pense l’autrice de 27 caractéristiques humaines façonnées par l’évolution (Les Heures bleues, 2021), c’est parce qu’elle n’était plus essentielle à notre survie.
Le coccyx ne se présente pas comme un ensemble de vertèbres isolé du reste du système.
«Selon les lois de la sélection naturelle, la disparition de la queue s’explique si l’animal n’en a jamais besoin ou si la somme des inconvénients dépasse celle des avantages. En plus des grands singes et de l’humain, quelques autres primates ont perdu leur queue. Soit ils sont principalement terrestres, soit ils ont un mode de locomotion arboricole dans lequel ils ne sautent jamais. […] On croit que l’ancêtre commun des humains et des grands singes était de grande taille et qu’il évitait de sauter de branche en branche. En effet, plus un animal est gros, plus cet exercice devient difficile et dangereux.»
Chez ces gros animaux qui ont intérêt à se déplacer sans sauter pour éviter les chutes, la queue, qui sert principalement de balancier lors des sauts, a donc perdu son utilité.
Mutation d’un gène
Une récente étude relayée par le New York Times suggère une autre hypothèse, celle d’une mutation génétique qui aurait fait perdre leur queue à nos ancêtres. L’équipe de chercheurs new-yorkais a passé au crible 31 gènes impliqués dans le développement de la queue chez différentes espèces, dans le but d’identifier une variation génétique associée à sa perte chez les hominoïdes (grands singes).
Pour tracer ces mutations, elle a comparé l’ADN de six espèces de singes sans queue à celui de neuf espèces de singes à queue. Elle a fini par découvrir dans l’un des gènes une mutation commune aux grands singes et aux humains, mais absente chez les singes à queue. Des tests ont ensuite été réalisés sur des souris. Il est apparu que les embryons des souris porteuses de cette mutation n’avaient pas de queue, ou alors très courte. Pour les auteurs de l’étude, cette mutation aurait frappé au hasard un singe il y a environ vingt millions d’années.
L’animal sans queue aurait non seulement survécu mais aurait même prospéré, transmettant la mutation à sa progéniture. Au fil du temps, l’absence de queue serait ainsi devenue la norme chez les singes et les humains.
Si la queue a disparu en raison de son inutilité ou d’une mutation génétique, pourquoi avons-nous gardé le coccyx? Parce que cet alignement de vertèbres n’est pas seulement un vestige de la queue de nos ancêtres, il est aussi le segment terminal de la colonne vertébrale. Et malgré sa petite taille, il remplit plusieurs fonctions importantes.
«Bien qu’il s’agisse d’un reliquat de la queue, le coccyx ne se présente pas comme un ensemble de vertèbres isolé du reste du système», expose le Pr Thierry Thirion, chargé de cours dans le domaine de l’anatomie de l’appareil locomoteur et chirurgie de l’appareil locomoteur à l’ULiège.
Ce que nous appelons la colonne vertébrale est en effet constitué de différentes parties: les sept vertèbres cervicales (rachis cervical), les douze vertèbres thoraciques (rachis dorsal), les cinq vertèbres lombaires (rachis lombaire), les cinq vertèbres sacrées fusionnées (sacrum) et les quatre ou cinq vertèbres coccygiennes fusionnées (coccyx). Ce dernier s’articule par sa base avec le sacrum.
De la posture au plancher
«En posturologie, on s’intéresse beaucoup à son rôle dans l’équilibre statique du corps. Le coccyx est également décrit comme le troisième élément d’appui, aux côtés des deux tubérosités ischiatiques (NDLR: points d’attache de ligaments et de muscles ischio-jambiers), quand nous nous trouvons dans la position assise. C’est aussi une zone importante fonctionnellement parlant puisque le coccyx joue un rôle dans le soutien du plancher pelvien. Cet aspect fait néanmoins débat dans la littérature scientifique. On a en effet constaté que chez les rares patients souffrant de douleurs au coccyx – et chez qui les séances de kiné et les anti- inflammatoires ne produisaient pas d’effets – à qui on a proposé une ablation, les conséquences sur le plan fonctionnel ne sont pas trop mauvaises.»
Le peu de cas observables ne permet toutefois pas de tirer la moindre conclusion sur la manière dont l’être humain vivrait une éventuelle disparition de ce dernier morceau de queue, souligne le spécialiste de l’appareil locomoteur. «Il est possible que d’autres changements surviennent au cours de l’évolution mais, à ce stade, vu l’importance qu’a encore le coccyx, je ne vois pas pourquoi il disparaîtrait.»
Se rappeler l’utilité de son coccyx n’atténuera pas la douleur en cas de chute, mais ça peut toujours consoler.
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