Située près du gros intestin, la petite excroissance mesure, en moyenne, neuf centimètres. © BIU Santé

Ces organes qui pourraient disparaître: l’appendice, allié de notre longévité

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Au cours de l’évolution, le corps humain s’est modifié. Certaines parties pourraient même, à terme, ne plus avoir aucune utilité, comme l’appendice. Jusqu’à disparaître?

C’est une petite excroissance de neuf centimètres de moyenne qui peut vous plier en deux de douleur lorsqu’elle est enflammée. Situé près du gros intestin, l’appendice n’est pas considéré comme un organe majeur et son utilité a longtemps été remise en cause, au point que l’on se demande s’il pourrait disparaître un jour. Le nombre d’appendicectomies réalisées chaque année en Belgique (environ quinze mille) pour éviter que l’inflammation dégénère en péritonite, démontre non seulement qu’il est tout à fait possible de vivre sans appendice et que c’est même courant.

De là à considérer, comme le formulait le romancier et chroniqueur français Alexandre Vialatte, que l’appendice, comme la conscience, «ne sert à rien, sauf à rendre l’homme malade»? Que ce diverticule du tube digestif ne serait qu’un vestige de l’évolution, comme l’affirmait Darwin? Si l’utilité de l’appendice est longtemps restée une énigme, notamment parce qu’il n’est pas présent chez tous les mammifères et qu’il varie dans sa forme d’une espèce à l’autre, de récentes études ont mis en évidence son rôle dans le système immunitaire.

Les inflammations de l’appendice seraient le résultat de changements sociétaux.

Première découverte majeure en 2007. Les expériences et les observations du professeur William Parker et de son équipe, attachée au Duke University Medical Center (Caroline du Nord), les amènent à penser que des bactéries bénéfiques contenues dans l’appendice facilitent la digestion et peuvent survivre à d’importants troubles gastriques.

Une fois la tempête passée, ces bactéries quittent leur réservoir pour venir repeupler l’intestin avant que d’autres bactéries nocives ne s’y installent. Dans ses conclusions, le Pr Parker ajoute que «dans les sociétés industrialisées dotées de soins médicaux et de pratiques sanitaires modernes, le maintien d’une réserve de bactéries bénéfiques n’est peut-être pas nécessaire. Cela concorde avec l’observation selon laquelle l’ablation de l’appendice dans les sociétés modernes n’a pas d’effets négatifs perceptibles.» L’organe continuerait par contre de jouer un rôle important dans les régions dépourvues de pratiques sanitaires et d’assainissements modernes.

Des marsupiaux aux lemmings

Poursuivant leurs recherches, les scientifiques se sont penchés sur la présence de l’appendice à travers les âges. Ils ont établi que non seulement il était apparu dans la nature beaucoup plus fréquemment qu’on ne le pensait, mais qu’il existe depuis bien plus longtemps qu’on ne le soupçonnait. En combinant plusieurs données, notamment génétiques, afin d’évaluer les liens biologiques à travers le temps, l’équipe américaine a découvert que l’appendice avait évolué au moins deux fois: chez les marsupiaux australiens, puis chez les rats, les lemmings et d’autres rongeurs, des primates sélectionnés et les humains.

Et que l’apparition de l’appendice remonterait à au moins quatre-vingts millions d’années. Darwin, lui, pensait que l’appendice était utilisé par des ancêtres aujourd’hui disparus pour digérer les aliments et qu’il n’est présent que chez un nombre limité d’animaux.

Par ailleurs, les inflammations de l’appendice ne seraient pas le résultat d’un dysfonctionnement, mais de changements culturels associés à la société industrialisée et à l’amélioration de l’hygiène, ce qui aurait laissé à notre système immunitaire «trop peu de travail et trop de temps libre», conclut l’étude publiée en 2009 dans Journal of Evolutionary Biology.

L’appendice, réservoir de bactéries

Une troisième étude, publiée dans Journal of Anatomy en 2021, étaye les travaux du Pr William Parker et apporte un nouvel éclairage. Elle a cette fois été menée par un chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Eric Ogier-Denis, et Michel Laurin, du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, sur la base de données relatives à 258 espèces de mammifères. L’appendice, nous apprend l’étude, serait apparu au moins seize fois au cours de l’histoire évolutive des mammifères et sa fonction conférerait un avantage sélectif positif à ceux qui le possèdent.

Sa présence serait corrélée à l’accroissement de la longévité maximale observée pour l’espèce. «Comparé à un mammifère de même poids qui n’a pas d’appendice, un mammifère qui présente cette structure anatomique a une durée de vie plus longue», ont-ils observé. Ils avancent la même hypothèse du «réservoir de bactéries», selon laquelle l’appendice limite les risques de mortalité par diarrhée infectieuse en favorisant la recolonisation rapide des espèces bactériennes essentielles à l’hôte.

L’appendicectomie si fréquemment pratiquée chez l’homme serait-elle dès lors néfaste à la longévité? L’hypothèse des chercheurs est la suivante: si la fonction principale de l’appendice est d’agir comme un réservoir bactérien limitant le risque de diarrhée infectieuse mortelle, l’appendicectomie ne devrait pas avoir d’incidence sur la longévité, notamment en raison de l’amélioration de la qualité de l’eau et de l’administration d’antibiotiques.

De plus, l’appendicectomie intervient le plus souvent après les premières années de vie. Si l’une des fonctions principales de l’appendice est l’optimisation de l’exposition antigénique, l’appendicite peut être un excellent stimulant de la fonction immunitaire, et comme l’appendicectomie survient souvent après cette inflammation intense, elle ne devrait pas avoir de conséquences.

Pas si inutile, l’appendice fera-t-il toujours partie demain de notre anatomie? Probablement, répond avec prudence Michelle Drapeau, professeure au département d’anthropologie de l’université de Montréal et autrice de 27 caractéristiques humaines façonnées par l’évolution (Les Heures bleues, 2021). «Un organe peut disparaître en raison d’une pression sélective négative mais si, en contrepartie, il existe un avantage à le garder, il est possible qu’un équilibre se fasse en raison de la pression sélective positive conférée par cette fonction. Dans nos sociétés occidentales, on recense relativement peu d’appendicites mortelles, la sélection naturelle sur la base de cette caractéristique ne serait donc pas très forte. Ça pourrait l’être davantage parmi les populations non occidentales où l’appendicite représente un risque plus grand. Par ailleurs, si l’appendice est apparu plusieurs fois dans l’évolution, c’est certainement qu’il présente une réelle utilité.» Tout comme la conscience, oserait-on espérer.

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