«Ce ne sont pas des tricheuses»: pourquoi les sportives avec des taux de testostérone élevés ne sont pas forcément avantagées
Trop «masculines» pour concourir? A chaque grand événement sportif, le débat refait surface: certaines athlètes, présentant des taux de testostérone élevés, biaiseraient les résultats de la compétition. Cette particularité génétique, souvent d’origine pathologique, n’entraîne pourtant pas systématiquement une amélioration des performances.
Quarante-six secondes et puis s’en va. La boxeuse italienne Angela Carini n’aura pas fait long feu sur le ring parisien. Opposée à l’Algérienne Imane Khelif en huitièmes de finale des Jeux Olympiques en catégorie -66kg, la Napolitaine a abandonné après avoir reçu un direct puissant au visage. Une élimination que de nombreux observateurs, Georgia Meloni en tête, ont attribué aux caractéristiques «trop masculines» de son adversaire. Pour la Première ministre italienne, le combat était tout simplement «inéquitable». Emus par les pleurs de la boxeuse italienne, certains internautes ont même été jusqu’à accuser l’athlète algérienne d’être transgenre.
Originaire de Tiaret, Imane Khelif est pourtant bel et bien née femme. Biologiquement, administrativement et sportivement, elle a toujours coché la case du sexe feminin. Depuis 2018, elle a d’ailleurs participé à plus d’une dizaine de compétitions officielles dans la catégorie féminine, alternant entre podiums et résultats plus décevants. Mais sa disqualification aux Championnats du Monde féminins de boxe amateurs en 2023, justifiée par un échec aux «tests d’élégibilité» pour la compétition féminine, ont alimenté les polémiques sur son physique. Bien que la nature de ces tests, jugés illégitimes et peu crédibles par le Comité international olympique (CIO), n’ait jamais été révélée, il apparaîtrait qu’Imane Khelif présente simplement un taux de testostérone plus élevé que la moyenne. De quoi avantager l’athlète par rapport à ses rivales?
Un taux variable
La testostérone est une hormone stéroïdienne, souvent appelée hormone mâle car elle participe au développement du phénotype masculin (changement de voix à la puberté, pilosité…). Produite majoritairement par les testicules chez l’homme, elle est également secrétée chez les femmes, en concentration moindre, par la glande surrénale et les ovaires. Le taux de testostérone chez l’humain varie en fonction de nombreux facteurs: les particularités génétiques, l’âge (un pic de production est enregistré au cours de la puberté, et durant la vie intra-utérine chez l’homme), le cycle menstruel, voire même la période de l’année.
Alors que les concentrations de testostérone varient généralement entre 10 et 30 nanomoles par litre de sang chez l’homme adulte (entre 20 et 45 ans), elles sont comprises entre 0,5 et 3,1 nmol/l chez la femme. «Toutefois, certaines pathologies entraînent une production plus élevée d’hormones mâles chez la femme par rapport à la population générale, note Axelle Pintiaux, endocrinologue et gynécologue au CHU de Liège. On parle alors d’hyperandrogénie.» La professeure recense trois pathologies responsables d’une production anormale de testostérone:
- Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK): très fréquent chez les femmes (il touche entre 8 et 13% de la population féminine en âge de procréer, selon l’OMS), il désigne le développement d’une multitude de follicules sur les ovaires, entraînant notamment des troubles de l’ovulation.
- Les tumeurs ovariennes
- L’hyperplasie surrénalienne: anomalie des glandes surrénales, liée à un déficit enzymatique.
Dans la majorité des cas, la surproduction de testostérone entraînée par ces maladies reste limitée, mais peut résulter en des problèmes de fertilité, des troubles menstruels ou de l’hirsutisme (apparition d’une pilosité dans des zones dites masculines). «Quand les taux de testostérone deviennent vraiment très importants – on parle de taux supraphysiologiques – le clitoris peut augmenter de taille, la poitrine disparaître, et la masse musculaire augmenter», explique le Dr. Axelle Pintiaux.
Un avantage controversé
Un taux de testostérone très élevé peut donc être un facteur favorisant dans le développement musculaire, reconnaît la professeure. «Mais sans exercices intensifs, cette masse musculaire ne se développe pas, nuance-t-elle. Parmi mes patientes souffrant d’hyperandrogénie, la plupart ne sont pas spécialement musclées». A l’inverse: le SOPK entraîne du surpoids:«50% des patients souffrant de ce syndrome sont obèses.» Scientifiquement, le lien entre un taux important de testostérone et de meilleurs résultats sportifs n’a jamais été clairement établi. Dans de nombreuses disciplines, la testostérone ne peut d’ailleurs être considérée comme le seul élément comptant d’une victoire: au-delà des muscles, les sportifs doivent développer des qualités techniques (agilité, coordination, souplesse…) et mentales indispensables à leur réussite.
Malgré tout, un taux important de testostérone peut conférer un avantage en termes de force, de puissance, voire de récupération physique, estime Marc Francaux, professeur en physiologie du sport à l’UCLouvain. Les injections de testostérone, auxquelles s’adonnent certains bodybuilders, sont d’ailleurs considérées comme du dopage par l’Agence mondiale antidopage en raison de ses effets anabolisants. Mais dans le cas de taux hormonaux naturellement élevés, faut-il légiférer? «C’est une problèmatique compliquée à gérer pour le monde sportif, avec une dimension éthique importante, estime Marc Francaux. Car il faut bien comprendre que ces sportives ne sont pas des tricheuses. Ce sont simplement des femmes qui ont un particularisme génétique, qui leur confère un avantage physique.»
Coordination internationale
D’autant qu’une flopée d’athlètes à succès présentent eux aussi des particularismes génétiques ou physiologiques exceptionnels. Le nageur américain Michael Phelps produisait très peu d’acide lactique au moment de l’effort, ce qui lui conférait des capacités de récupération bien supérieures à celles de ses adversaires. Le basketteur français Victor Wembanyama mesure 2,24m et est doté d’une envergure de 2,43m, un atout considérable sur les parquets. «Tous les athlètes d’élite ont un avantage compétitif, sinon ce ne seraient pas des athlètes d’élite», résumait le Dr Joe Leigh Simpson, ancien président de l’American College of Medical Genetics. Faut-il alors également réglementer ces caractéristiques pour rendre le sport de haut niveau plus «équitable»?
Dans le cas de la testostérone, Marc Francaux estime qu’il faudra un jour «avoir le courage» de légiférer, avec une coordination indispensable entre toutes les fédérations sportives internationales. Pour l’heure, seule la fédération d’athlétisme (IIAF) a imposé un plafond de 2,5 nanomoles de testostérone par litre pour concourir dans la catégorie féminine.
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