Parmi tous les parents souffrant d’un burnout parental, au moins 70% sont des femmes. © Getty Images

Burnout parental en Belgique: 5% des parents touchés, un fléau qui frappe surtout les femmes

Au moins 5% des parents belges présentent des symptômes graves de burnout parental, et la majorité d’entre eux sont des femmes. «Souvent, ce sont justement les mères qui s’étaient promis d’être la meilleure mère du monde qui finissent par s’effondrer.»

L’étude internationale menée dans 50 pays est toujours en cours, mais selon les premiers résultats préliminaires, au moins 5% des parents belges souffrent d’un burnout parental sévère. La professeure de psychologie Isabelle Roskam (UCLouvain), elle-même mère de cinq enfants, étudie ce phénomène depuis plusieurs années avec des collègues de l’UGent: «Il s’agit d’un épuisement excessif dans le rôle parental. Ce sont des parents qui se vident complètement, qui n’ont plus rien à donner et qui, en réalité, ne peuvent plus continuer à remplir leur rôle, mais qui y sont pourtant contraints, précise-t-elle. Malheureusement, la Belgique a le triste privilège de figurer parmi les pays les plus touchés au monde.»

Parmi tous les parents souffrant d’un burnout parental, au moins 70% sont des femmes. Un constat logique, selon Isabelle Roskam, lorsqu’on sait que les mères assument encore aujourd’hui au moins 70% de la charge éducative, même dans les sociétés les plus égalitaires où les pères participent activement. «Tout comme on ne peut souffrir d’un burnout professionnel si l’on ne travaille pas, on ne peut connaître un burnout parental si l’on n’éduque pas», insiste-t-elle. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les termes burnout parental et mommy burnout sont souvent utilisés de manière interchangeable.

«La Belgique a le triste privilège de figurer parmi les pays les plus touchés au monde.»

Isabelle Roskam

professeure de psychologie

Plus d’amour

Le burnout parental est un problème grave, distinct du stress lié à l’éducation des enfants, qui peut être intense et éprouvant, surtout lorsqu’ils sont jeunes, mais qui fait simplement partie du rôle parental, explique le psychologue du développement néerlandais Steven Pont dans un podcast consacré au sujet. Steven Pont utilise l’image d’un muscle. En temps normal, on peut l’utiliser sans difficulté. Si on le sollicite trop, il peut apparaître une douleur musculaire. Mais un burn-out parental survient lorsque ce muscle se contracte complètement, jusqu’à la crampe, au point où il devient impossible de continuer. Il s’agit donc de parents épuisés dans leur rôle d’éducateurs.

«Lorsque l’on parle des 5% de parents belges touchés, il faut aussi tenir compte du fait qu’un grand tabou entoure encore le burn-out parental. Le chiffre réel est probablement bien plus élevé», explique Isabelle Roskam. « Les gens considèrent que l’éducation des enfants devrait être quelque chose de naturel et d’évident. Si cela ne fonctionne pas, cela génère beaucoup de culpabilité et de honte. Pourtant, ces parents répondent positivement à des affirmations telles que: « Je ne supporte plus mes enfants », « Je voudrais être le plus loin possible d’eux », ou encore « Je ne ressens plus d’amour pour mes enfants. » Il faut du courage pour l’admettre

«Les gens considèrent que l’éducation des enfants devrait être quelque chose de naturel et d’évident. Si cela ne fonctionne pas, cela génère beaucoup de culpabilité et de honte.»

Isabelle Roskam

Professeure de psychologie.

En mode réserve

Caroline Detré a vécu un burn-out il y a sept ans, alors que ses enfants avaient 4 et 6 ans. «Pendant trois mois, j’ai à peine pu fonctionner en tant que mère. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je me retirais émotionnellement, j’étais facilement irritable avec mes enfants, je pleurais tout le temps, je me sentais débordée par des tâches banales, j’avais des douleurs physiques et plus aucune envie de passer du temps avec mes enfants. Je faisais ce que je pouvais, mais c’était strictement le minimum vital

Aujourd’hui, elle anime des groupes de soutien pour les parents souffrant de burnout parental. «En pratique, ce sont presque exclusivement des mères, dit-elle, et surtout des mères célibataires ou des mères qui travaillent, ultraperfectionnistes.» Avec le temps, elle a appris à repérer les signes avant-coureurs de l’épuisement chronique et du stress. «Si, tout à coup, vous oubliez le code de votre carte bancaire ou que vous ne vous souvenez plus d’aller chercher votre enfant quelque part -ce qui arrive à de nombreuses mères dans cette situation— c’est que vous êtes profondément en mode réserve

Les experts distinguent plusieurs stades dans l’usure progressive que provoque un burnout parental sur le corps. Tout commence par une fatigue extrême. Il arrive à tout parent de s’écrouler sur le canapé le soir, soulagé que les enfants soient enfin couchés. Mais la plupart se réveillent le matin avec une nouvelle énergie. Les parents en burn-out, eux, souffrent souvent d’insomnie et commencent leur journée épuisés, vidés.

A un stade suivant, les parents prennent de la distance émotionnelle avec leurs enfants. Ils savent encore que leurs enfants ont des besoins –de l’attention, de l’aide pour les devoirs, une visite chez le médecin, un rappel pour aller se doucher– mais ils n’ont tout simplement plus la force d’y répondre. Les parents à bout évitent et négligent leurs enfants. «Ces parents ne font plus que le strict nécessaire, quand ils y parviennent encore. Mais ils ne peuvent plus ressentir d’empathie pour eux, explique la professeure Isabelle Roskam. Ils en ont assez d’être parents et finissent par s’effondrer.»

© imageBROKER/Berit Kessler

La dernière phase du burnout parental est la dépersonnalisation. «Les parents ne se reconnaissent plus eux-mêmes. Avec, bien sûr, toute la honte et l’autocritique qui accompagnent cette situation. Car ce sont souvent justement ceux qui s’étaient promis d’être les meilleurs parents du monde qui sombrent dans le burnout. Ils voulaient être des parents parfaits, parfois pour compenser un manque dans leur propre éducation. Tout ce qui est en deçà de cet idéal leur semble être un échec.»

La perte d’empathie parentale peut avoir des conséquences extrêmement néfastes pour l’enfant en pleine croissance. Les parents, désespérés et à bout de nerfs, deviennent verbalement, voire physiquement agressifs. Les recherches montrent que le risque de négligence parentale est multiplié par treize et que celui de violences est 20 fois plus élevé chez les parents souffrant d’un burnout parental.

Contrairement à la dépression, où l’individu perd toute envie de faire quoi que ce soit, le burnout parental est un trouble contextuel, ce qui pousse de nombreux parents touchés à développer des stratégies d’évitement.

Ils prolongent leurs journées de travail pour passer le moins de temps possible avec leurs enfants. Ils envisagent le divorce, afin de n’avoir à s’occuper d’eux qu’une semaine sur deux. Ils se surprennent à rêver: «Et si je montais simplement dans ma voiture et partais loin d’ici?»

Les recherches montrent que le risque de négligence parentale est multiplié par treize et que celui de violences est 20 fois plus élevé chez les parents souffrant d’un burnout parental.

Dans les cas extrêmes, ces fantasmes d’évasion prennent la forme de pensées suicidaires. Des études révèlent que le risque de suicide est significativement plus élevé chez les parents en burn-out que chez ceux souffrant de dépression ou de burn-out professionnel.

Lorsqu’une personne fait un burnout professionnel, elle peut se voir prescrire par un médecin plusieurs semaines ou mois de repos. Mais cette porte de sortie n’existe pas pour les parents en burnout. On ne peut pas simplement se détacher de ses enfants.

L’enfant sacré

Des parents désespérés ont sans doute toujours existé, mais les chercheurs considèrent que le burnout parental est un phénomène récent et en pleine expansion, qui touche principalement les pays occidentaux et individualistes. «Cela a beaucoup à voir avec notre regard sur les enfants, qui a évolué», explique Isabelle Roskam.

«Au fil du XXe siècle, cette perception est passée de quantité négligeable à celle de l’enfant en tant qu’être sacré, dont le développement et le bonheur doivent être au centre de tout, et dont les intérêts priment toujours sur tous les autres. Cette vision a culminé avec la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989. A partir de là, l’Europe a même créé des commissions pour réfléchir à ce qu’est un « bon parent ».»

En raison de ce changement de perspective, les parents sont aujourd’hui submergés de conseils en tout genre: alimentation, sommeil, jeux, loisirs, bien-être émotionnel de leur enfant, et bien d’autres aspects encore. Même face à la plus infime crise de colère d’un tout-petit, internet regorge de recommandations provenant de momfluencers expliquant comment réagir correctement.

«Jamais dans l’histoire les parents n’ont été entourés d’autant de prescriptions impératives sur l’éducation. Cela a rendu la parentalité aussi difficile qu’un véritable métier», explique Isabelle Roskam. Aujourd’hui, les parents sont à la fois avides d’informations et, en même temps, souvent envahis par des conseils contradictoires qui les font se sentir incertains, moins compétents et frustrés.

Les professionnels de la santé, eux aussi, semblent parfois focalisés uniquement sur le bien-être de l’enfant, ce qui exerce une pression supplémentaire sur les parents. «Cela commence même avant la naissance, lorsque les femmes sont presque moralement obligées d’allaiter», dénonce la coach en burn-out parental Caroline Detré. «Alors que ce n’est pas forcément la meilleure solution pour toutes les mères, et que, lorsqu’un allaitement se passe mal, cela peut entraîner énormément de souffrance et de détresse. Nous devrions laisser les femmes choisir en toute liberté, sans pression.»

Sens du réel

Dans son cabinet Leading Moms, la psychologue clinicienne et autrice Lies Clerx accompagne des mères, souvent des femmes très diplômées, qui peinent à concilier leur carrière et leur vie familiale. Certaines d’entre elles frôlent ainsi le burnout parental. Les mères qui travaillent doivent généralement jongler en permanence avec plusieurs responsabilités. Cela s’explique en grande partie par le fait que la charge mentale invisible liée à l’éducation des enfants et aux tâches domestiques repose encore largement sur les femmes.

«Même les pères modernes ignorent généralement la pointure de leur aîné, la date d’anniversaire de leur belle-mère ou le mois où il faut planifier le prochain rendez-vous chez le dentiste. Cette gestion constante du quotidien familial est une charge mentale considérable. On pourrait croire que c’est inscrit dans notre ADN, observe Lies Clerx. Mais bien sûr, ce n’est pas le cas: c’est avant tout une construction sociale

«En Belgique, les femmes participent plus souvent au marché du travail à temps plein, mais doivent ensuite assumer une maternité qui, elle, est presque à plein temps.»

Lies Clerx

Psychologue clinicienne et autrice.

Ajoutons à cela que, même dans les pays européens les plus égalitaires, les mères assument encore l’essentiel des tâches éducatives. Lies Clerx a travaillé plusieurs années aux Pays-Bas, où de nombreux pères travaillent à 80% et prennent un jour par semaine pour s’occuper des enfants. Un fait révélateur: beaucoup de ces pères considèrent ce fameux papadag comme de loin la journée la plus fatigante de la semaine. Pourtant, aux Pays-Bas, seuls 2% des parents souffrent de burnout parental, probablement en partie grâce à ces jours dédiés et au fait que les femmes y travaillent davantage à temps partiel.

«En Belgique, les femmes participent plus souvent au marché du travail à temps plein, mais doivent ensuite assumer une maternité qui, elle, est presque à plein temps. Mon public cible, ce sont ces mères qui trouvent du sens dans tous les rôles de leur vie, mais qui se retrouvent coincées, poursuit Lies Clerx, elle-même mère de quatre enfants. Je ne connais aucun parent qui ne ressent aucun stress dans l’éducation de ses enfants. Le problème, c’est quand ce stress ne redescend jamais. A un moment, la corde finit par se briser.»

Outre la pression sociale et les attentes extérieures, le perfectionnisme est, selon Lies Clerx, le grand ennemi d’une vie équilibrée. «Je rencontre des femmes qui veulent exceller dans tous les domaines: leur carrière, leur vie amicale, leur couple et, bien sûr, leur rôle de mère. Ces femmes pensent être superwoman, mais personne ne peut tenir ce rythme. En voulant tout faire à la perfection, elles placent la barre si haut qu’elles ne peuvent que s’effondrer. Les mères en burnout parental ont souvent perdu de vue elles-mêmes. Elles ont tout misé sur le fait de garder ces multiples responsabilités en l’air –et en priorité, leur enfant.»

Dans son travail, Lies Clerx essaie d’aider ces mères à reprendre le contrôle de leur vie et à retrouver un sens du réel. Elever un enfant implique des échecs et des ajustements, et tout ne peut pas être parfait en permanence. «Je pose alors des questions comme: remplis-tu toujours ton assiette à ras bord?, as-tu du mal à lâcher prise et laisses-tu peu de place à ton partenaire?» Souvent, la réponse est «oui», et c’est donc par là qu’il faut commencer.

«Beaucoup culpabilisent dès qu’elles prennent du temps pour elles. Mais les enfants n’ont pas besoin de grandir dans un hôtel où tout est fait pour eux.»

Lies Clerx

Psychologue clinicienne et autrice.

Un bon «life hack» consiste aussi à observer comment font les hommes. Ils sont, pour commencer, bien meilleurs pour délimiter leur temps libre. «Les femmes ont toujours l’impression qu’elles doivent faire quelque chose: préparer à manger, ranger la maison… Les hommes, eux, pensent simplement: « J’ai besoin de me détendre, alors je pars faire du VTT le dimanche matin »», note Lies Clerx.

Elle est convaincue que les femmes devraient s’approprier davantage ce type d’égoïsme sain. «Beaucoup culpabilisent dès qu’elles prennent du temps pour elles. Mais les enfants n’ont pas besoin de grandir dans un hôtel où tout est fait pour eux. Et la plupart des hommes n’ont aucun problème avec le fait que leur compagne parte quelques heures en pleine nature ou à la salle de sport. »

Imiter les hommes

Tout comme le burnout professionnel, le burnout parental s’étend généralement sur plusieurs mois plutôt que sur quelques semaines. «Si rien n’est fait, prévient Isabelle Roskam, le burnout parental a tendance à s’installer. Il ne disparaît pas de lui-même.»

Si l’on souffre déjà de symptômes sévères, il est donc essentiel de demander de l’aide autant que possible à son entourage et de laisser les grands-parents ou les amis prendre temporairement le relais avec les enfants.

Pour éviter l’épuisement maternel, les experts recommandent: abaisser ses exigences, ignorer les conseils éducatifs qui ne correspondent manifestement pas à sa réalité, tirer la sonnette d’alarme dès que l’on sent ses réserves d’énergie s’épuiser… et observer davantage comment les hommes gèrent leur rôle de parent.

 

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