Burn-out : ne restez pas sur la corde raide
Rien de pire que de ne pas avoir d’emploi… sauf peut-être d’en avoir un ! C’est le paradoxe du burn-out.
1 %: c’est le pourcentage de travailleurs victimes du burn-out en Belgique. Soit 19.000 personnes à peine. Faut-il vraiment en faire un plat ? « Sans aucun doute », tranche Isabelle Hansez, professeur de psychologie du travail et directrice de l’Unité de Valorisation des Ressources Humaines (ValoRH) de l’Université de Liège, qui a récemment coordonné une recherche sur le burn-out à la demande du Service Public Fédéral Emploi et du Fonds social européen. « Non seulement parce que toute souffrance mérite qu’on s’y arrête, mais surtout parce que ce pourcent n’est que la pointe d’un iceberg : celui du mal-être au travail, qui touche déjà 15 à 20 % de la population active et qui est, comme le burn-out, en augmentation constante… »
Présentéisme
La « loi relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail », qui date déjà de 1996, aurait dû empêcher, ou du moins freiner, cette évolution. Mais si beaucoup d’entreprises ont tenté d’améliorer leurs conditions de travail, leurs plans d’action, trop lents, n’ont pas réussi à compenser l’accentuation de la pression. « Restructurations, contrats précaires, menaces de licenciements, insécurité permanente… : les milieux professionnels poussent le travailleur à bout, commente Isabelle Hansez. Il devrait pouvoir s’arrêter, faire le point sur sa situation, réfléchir à une renégociation éventuelle… Mais il n’ose pas. C’est la problématique du présentéisme : le travailleur a si peur de perdre son emploi qu’il ne prend pas le risque de s’absenter, même s’il se sent de plus en plus mal, tant physiquement que mentalement… Et un jour, ça casse ! »
L’humanité en moins
Contrairement aux idées reçues, le burn-out ne s’explique pas seulement par un trop-plein de travail : cet excès doit se situer dans un contexte particulier, où le travail n’a plus de sens, parce que l’individu n’est plus respecté et que les règles du jeu se modifient sans cesse. « L’outil de détection précoce que nous avons mis au point montre qu’une des causes majeures du burn-out est le manque de soutien de la hiérarchie, le manque de reconnaissance et, plus largement, le manque d’humanité, souligne Isabelle Hansez. Une triple lacune d’autant plus pénible aux travailleurs concernés que ceux-ci sont en général ‘surimpliqués’ dans leur vie professionnelle, au point d’idéaliser leur travail et de s’imposer des exigences supérieures à la normale… » Bref, le burn-out s’attaque avant tout à des personnes qui pourraient être des ressources inappréciables pour l’entreprise… si celle-ci ne les brisait pas.
Double journée Le burn-out ne s’installe pas du jour au lendemain, mais au terme d’un long processus. « Dans un premier temps, le travailleur ressent une grande fatigue mentale et physique, il est littéralement épuisé, au bout du rouleau, insiste Isabelle Hansez. Viennent ensuite les changements de comportement : isolement, pessimisme, cynisme, dépersonnalisation, utilisation d’un langage abstrait – de la part du personnel de soins à l’égard des patients, par exemple. Et, pour finir, la personne, qui était fière de ses compétences professionnelles, de son expertise, a l’impression de ne plus être à la hauteur, d’avoir perdu son efficacité. »
Le travailleur se rend-il pour autant compte de ce qui lui arrive ? « Pas d’entrée de jeu. Généralement, il est alerté par une tierce personne. ‘Que se passe-t-il, ça ne te ressemble pas, tu ne réagis plus comme avant…’ Comme il aime son boulot, il s’accroche. La fatigue l’incite à prendre une pause, à se faire mettre en congé, mais l’envie de se battre pour rester en activité est la plus forte. De ce fait, il ne parvient plus à se changer les idées : le soir, à la maison, il retourne – au moins en esprit – vers ses dossiers, de sorte qu’il fait une double journée. Et, un matin, il ne parvient pas à se lever… »
Un signe qui ne trompe pas Entre le moment où la fatigue commence à envahir le quotidien et celui où le travailleur craque, il s’écoule en moyenne six mois. Six mois au cours desquels l’entreprise aurait le temps d’intervenir. « La prévention du burn-out passe par le management de proximité, affirme Isabelle Hansez. Il faudrait former systématiquement les managers et les superviseurs d’équipes à repérer les signes annonciateurs du burn-out. Il y en a un qui ne trompe pas : les changements de comportement. Dès que l’attitude d’un travailleur se modifie au point que ses collaborateurs habituels ne le reconnaissent plus, on peut être sûr que le passage au burn-out est entamé. Mais à ce stade, il est encore possible de désamorcer la bombe en invitant le travailleur à une discussion sur l’environnement de travail – gestion du temps, réduction des heures prestées, ralentissement du rythme… – et en l’aidant à développer ses capacités d’adaptation au stress par l’apprentissage de la relaxation, par exemple, ou une formation aux aptitudes psycho-sociales. Malheureusement, dans beaucoup d’entreprises, le burn-out reste tabou : personne n’en parle, et ce silence est son meilleur allié ! »
Du temps pour se reconstruire Tôt ou tard, une victime de burn-out est amenée à consulter. Le plus souvent un médecin généraliste, parfois un spécialiste – lorsque le burn-out s’accompagne de problèmes physiques comme un mal de dos ou des troubles musculosquelettiques – ou plus rarement un psychologue. « L’ennui, c’est que beaucoup de médecins sont peu familiarisés avec la problématique du travail et des environnements de travail, et peu sensibilisés au burn-out. Même la plupart des psychologues ne perçoivent pas l’impact du travail sur la vie de tous les jours. Or, personne ne consulte pour burn-out : les travailleurs se plaignent de fatigue, de douleurs diverses, d’insomnies, d’anxiété… Il appartient alors aux professionnels de la santé de sentir ce qu’il y a derrière. D’où l’importance de les former dans ce but, si on ne veut pas qu’une personne en burn-out se retrouve avec quinze jours d’arrêt maladie. Car, en cas de burn-out, il faut du temps pour se reconstruire. Quinze jours, c’est insuffisant ! »
300.000 malades du travail
Mais un arrêt maladie plus long suppose un accompagnement adapté. « Abandonner le travailleur à lui-même, c’est oublier que cette souffrance extrême qu’est le burn-out peut mener à la dépression, voire au suicide, ou déboucher sur des patho-logies physiques ou mentales suscep-tibles d’entraîner une incapacité de travail de longue durée… »
En Belgique, ils sont actuellement 300.000 « malades du travail » à percevoir des indemnités pour incapacité de longue durée, soit 30 % de plus qu’il y a dix ans. Et 30 à 50 % des nouvelles demandes de pension d’invalidité sont désormais motivées par une mauvaise santé mentale… « Beaucoup de victimes du burn-out sont terrifiées à l’idée de retourner au travail. C’est pourquoi il faut… travailler ce retour, en proposant des solutions concertées, impliquant le médecin traitant, le psychologue ou le psychiatre, le médecin du travail et le service DRH de l’entreprise : un mi-temps médical dans un premier temps, une renégociation de certaines responsabilités, éventuellement une réorientation professionnelle… Ce qui suppose le développement de structures d’encadrement. »
Comme avant ?
Mais peut-on vraiment « guérir » du burn-out ? « Beaucoup disent que non, qu’on ne redevient jamais comme avant. Le burn-out vous suit, vous change et vous oblige à réfléchir, à lever le pied, à vous ménager des temps de repos, à ne plus négliger votre vie privée. Et lorsqu’il menace de revenir à la charge, vous en reconnaissez les signes et vous parvenez à le bloquer, parce que vous avez appris à vous écouter… »
Par Marie-Françoise Dispa
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