Luc Bonneux © Debby Termonia

« Boire jusqu’à 20 verres par semaine protège contre la mortalité cardiovasculaire »

Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Pour vivre sainement, mieux vaut prendre un chien que de se plonger dans la dernière tendance santé. Luc Bonnieux, épidémiologiste et médecin, se méfie de tous les conseils prodigués. « Vous voulez vivre sainement ? Alors, choisissez des parents en bonne santé », conseille-t-il. Entretien avec nos confrères de Knack.

L’annonce était plutôt surprenante: chaque verre d’alcool diminue l’espérance de vie humaine d’une demi-heure. La source de cette information inquiétante : une étude internationale qui a suivi des milliers de buveurs d’alcools publiée dans The Lancet, une revue scientifique qui bénéficie d’une excellente réputation. Pour la plupart des gens, il était donc temps de réfléchir à leur consommation d’alcool.

Épidémiologiste et voix dissonante dans pratiquement tous les débats sur la santé, Luc Bonneux met l’étude en doute. Quel mythe avait été déboulonné ? « Le seul mythe qui a été brisé, c’est que les médias sont une source fiable pour l’actualité relative à la santé », écrivait le quotidien De Standaard. Quand nous lui rendons visite chez lui à Boechout, il en est toujours convaincu. Il n’y a pas de mal à prendre une bière ou un verre de vin ?

Luc Bonneux: Mais non. Boire quelques verres d’alcool par semaine est même plus sain que de ne pas boire. Cette nouvelle étude du Lancet m’en a convaincu. La consommation de 15 à 20 verres d’alcool par semaine protège contre la mortalité cardiovasculaire. Les résultats le montrent très bien, et ce n’est pas sans importance. Autrefois, cet effet était même encore plus grand : en Belgique, pendant longtemps, 35% des hommes sont morts d’un infarctus. C’est beaucoup plus qu’aujourd’hui, donc la consommation de quelques verres par semaine réduisait encore ce risque. Un jour, j’ai cherché dans les études quels étaient les plus grands risques pour la santé. Eh bien, pour les protestants anglo-saxons blancs, c’était de boire trop peu d’alcool. 55% de ce groupe de puritains ne boivent pas du tout, donc là il y a un excédent de mortalité important de maladies cardiovasculaires.

Pourquoi écrit-on dans les journaux qu’un seul verre réduit l’espérance de vie?

L’Université Erasmus de Rotterdam a écrit cela dans son communiqué de presse, et c’était tout simplement faux. Je trouve ça dramatique. J’ai fait un doctorat à cette université, et une fois ils ont essayé d’écrire un résumé de mon étude pour la presse. Je leur ai dit qu’ils n’avaient pas intérêt à recommencer. Mais les journalistes scientifiques n’ont pas bien fait leur boulot non plus. Tant le résumé que les conclusions affirmaient qu’il n’y a pas de hausse de mortalité quand on boit 10 verres par semaine. Jusqu’à 20 verres, il y a une hausse, mais celle-ci n’était pas significative. Au fond, il n’y a pas de preuve. Manifestement, ils n’ont pas pris la peine de lire l’article original, et ils n’ont regardé que le communiqué de l’université. J’ai pourtant trouvé le texte sur internet en dix secondes. À mes yeux, c’est une erreur fatale.

Est-ce si fou de prendre les communiqués de l’université pour argent comptant ?

Les études scientifiques liées aux sujets médicaux génèrent énormément d’argent. Il y a énormément d’intérêts, et donc il faut se montrer prudent. Ce serait bizarre aussi que tout ce que l’on sait soit miné par une seule étude. Nous étudions les effets de l’alcool depuis plus de septante ans, donc nous savons pratiquement tout sur le sujet. L’étude nous a-t-elle appris quelque chose de nouveau ? Non. Cette étude devait-elle forcément avoir lieu ? Pourquoi pas. Je l’ai trouvée élégante à lire. J’aime la beauté et la clarté d’une bonne recherche. Et c’est la plus grande étude qui a été menée sur la consommation d’alcool.

Osez-vous encore recommander une quantité d’alcool?

Jusqu’à 20 verres par semaine, il n’y a pas d’effet significatif. Soyons prudents, et disons 15 unités. Profitez d’une bière, et n’exagérez pas : boire davantage est mauvais pour le coeur, le cerveau et bien d’autres choses encore. Et il ne faut évidemment pas boire tous ces verres le samedi soir, c’est une atteinte au cerveau. Je vais de toute façon ne pas faire de publicité pour l’alcool et inciter les gens qui ne boivent pas du tout à boire. Finalement, les bénéfices pour la santé de la consommation d’alcool sont réduits : pour les hommes c’est de mourir à 89 ans au lieu de 88 ans en moyenne. Je ne m’inquiète pas pour ça. Ils ne pèsent rien face aux dangers de l’alcoolisme. J’ai été touché par ça dans ma vie privée, j’ai perdu des proches à cause de la boisson. C’est l’aspect tragique de l’alcool. Le problème ce ne sont pas ces risques vagues pour les buveurs modérés. Non, certaines personnes sont incapables de modérer leur consommation, et nous ne pouvons malheureusement pas prédire lesquelles.

Combien de verres buvez-vous par semaine ?

J’ai la grande chance d’être malade avant d’être ivre. (rires) Mais j’aime bien boire une bière, un verre de vin ou un petit cognac. Mais je compte toujours mes verres. Je bois environ 14 à 15 verres par semaine, et je ne bois jamais plus de trois consommations par soirée.

La raison pour laquelle tout le monde aime tant lire ces articles, c’est parce que nous voulons tous savoir comment vivre sainement, non?

Récemment, l’hebdomadaire catholique flamand Kerk & Leven m’a demandé d’écrire un article sur les modes en matière de santé. Celles-ci commencent doucement à ressembler à la religion. Nous vivons plus longtemps que ce que nous n’avions jamais osé imaginer, et pourtant les gens cherchent toujours des leçons. Autrefois, c’était le prêtre qui appelait à vivre sobrement, travailler dur et bien se comporter. À présent, ce sont les gourous de la santé qui nous disent de faire beaucoup d’exercice. Je n’ai rien contre les gens qui courent des marathons. Si Bart De Wever (N-VA) aime ça, grand bien lui fasse, mais je doute sérieusement que ce soit si bon pour la santé.

Tout le monde est obsédé par les risques pour la santé. Regardez l’attention accordée aux particules fines. À mon avis, on peut dire à présent que les preuves scientifiques d’un lien entre les particules fines et la santé humaine sont très minces. Il y a un lien avec les personnes démunies qui vivent dans de mauvais quartiers où l’air est pollué. Elles fument plus que les autres, et travaillent dans de plus mauvaises conditions. Cela ne concerne pas forcément l’effet de la mauvaise qualité de l’air. L’humain est d’ailleurs exceptionnellement bien adapté à la pollution. L’espèce humaine a appris à vivre autour de feux à bois fumants.

Aujourd’hui, énormément d’enfants souffrent d’asthme. On incrimine souvent la mauvaise qualité de l’air.

Si la pollution de l’air était la cause principale, les enfants qui ont grandi dans les années soixante et septante seraient tous asthmatiques. Les gens ne se rendent pas compte que l’air se purifie tous les jours, même si évidemment le diesel ne bénéficie pas à la qualité de l’air. Je n’ai jamais roulé en diesel, et je ne comprends pas pourquoi les camions ne disposent pas d’un tel filtre. Mais comparé à ce que les poêles à charbon polluaient, ce n’est rien. Quand j’étais petit, je devais parfois rouler à vélo à travers un smog jaune épais, très lentement parce qu’on ne voyait strictement rien. Ces phénomènes ne se produisent plus depuis longtemps, et pourtant beaucoup de gens ont l’impression que la situation s’aggrave.

Comment expliquez-vous la hausse du nombre d’asthmatiques ?

Il y a de nombreuses études qui incriminent l’hygiène. Les enfants qui grandissent pour ainsi dire dans un thermos stimuleraient trop peu leur système immunitaire. Le surdiagnostic joue certainement un rôle. Les enfants atteints d’asthme ont souvent des voies respiratoires plus étroites, un problème qui disparaît avec l’âge. Là aussi, c’est un signe du temps. Le moindre toussotement doit être diagnostiqué. Il faut coller une étiquette à tout, les barrières pour déclarer quelqu’un malade, baissent tous les jours.

Avez-vous des conseils pour les gens qui veulent vieillir en bonne santé ?

Je conseillerais aux gens de bien choisir leurs parents. Mais c’est un conseil inutile sans doute ? (rires)

Assez, oui.

C’est pourtant extrêmement important: l’environnement dans lequel on grandit. Rien que parce que c’est si déterminant pour les prestations scolaires. Le décrochage scolaire des jeunes est un des plus grands problèmes de santé du pays. C’est en tout cas le pronostiqueur principal de l’espérance de vie : celui qui quitte l’école sans diplôme meurt beaucoup plus tôt. Un autre conseil totalement inutile que je donnerais, c’est de naître un peu plus tard. Ces dernières décennies, l’espérance de vie a augmenté de deux ans et demi tous les dix ans. Si quelqu’un qui m’avait raconté ça dans les années quatre-vingt, je l’aurai traité de fou. Nous avons longtemps pensé que l’homme était fait pour vivre jusqu’à 75 ans : son rôle évolutionnaire est alors à terme, car généralement ses petits-enfants sont alors assez grands pour ne plus avoir besoin de l’aide des grands-parents. D’autre part, je comprends la hausse de l’espérance de vie. Quand j’étais directeur de l’Agence pour la Sécurité alimentaire, Piet Vanthemsche m’a dit un jour : si aujourd’hui on entrait dans un supermarché des années 60, on devrait retirer 70% des produits. La nourriture n’était pas bien conservée, et était souvent moisie.

Est-il utile aujourd’hui de veiller à son alimentation?

L’idée que nous devons notre santé à notre comportement est dangereuse. Je connais une femme qui vivait de manière extrêmement saine : elle veillait à son alimentation, elle faisait du sport quatre fois par semaine, et exploitait un magasin santé. Eh bien, elle a eu un infarctus. Désespérée, elle m’a demandé ce qu’elle faisait de mal, et je ne pouvais que lui dire qu’elle a eu de la malchance. C’était dû à ses gènes. Et elle n’y peut rien. À ma connaissance, il n’y a aucun lien entre alimentation saine et durée de vie.

Pas même quand on est en surpoids ou obèse à cause de son alimentation ?

C’est compliqué. Les enfants et jeunes n’ont pas intérêt à être gros, c’est certain. En prenant de l’âge, les gens ont tendance à grossir, et c’est bien aussi. Mais quelqu’un qui est déjà gros en étant jeune aura des problèmes. Nous constatons que les gens ne meurent prématurément que s’ils ont un indice de masse corporelle (IMC) de 33 (18,5 à 25 est normal, NLDR) ou plus. Les problèmes dont ils souffrent avant se résolvent à l’aide de médicaments. Il n’y a que la charge qu’on impose aux hanches qui peut être douloureuse. Heureusement, ces personnes peuvent bénéficier d’une nouvelle hanche.

Mais quel type de gens réussit à vivre le plus longtemps?

Je vais vous donner trois indices. Il faut d’abord avoir envie de vivre. Je le constate aussi dans les maisons de soins où je travaille : les femmes de plus de 90 ans sont toutes encore très vives et joyeuses.

Une deuxième indication, c’est un QI élevé. Une autre étude américaine révèle que les gens au QI élevé vivent dix ans de plus en moyenne que les personnes qui ont un QI faible. Je ne me prononce pas sur le calcul de cette échelle – l’éducation joue un rôle important – mais les chiffres sont ce qu’ils sont.

La dernière est liée à la fiabilité, et au rapport avec les autres. Les humains sont des animaux incroyablement sociaux, mais mettez un troupeau de chimpanzés dans un tram, et le sang coulera. Eh bien, les gens qui ont un bon contact avec leur entourage vivent plus longtemps.

En résumé: les gens joyeux et intelligent vivent plus âgés. Est-ce plus important que le sport ?

Oui, je joue au volley-ball. Vous savez pourquoi? Parce que j’aime ça, et qu’après je peux boire une bière avec mes amis à la cafétéria. Ce contact social est plus important que ce que nous faisons sur le terrain. Et les scientifiques britanniques ont étudié les différences entre les gens avec et sans chien.

Devinons : les gens qui ont un chien vivent dix ans de plus ?

Ils deviennent nettement plus âgés, oui. Un chien il faut le sortir, le promener régulièrement, et c’est aussi une façon de rencontrer d’autres gens.

Une autre question que beaucoup de gens se posent: comment prévenir le cancer?

En ne fumant pas. Fumer est de loin la cause principale de cancer. Tous les autres facteurs sont très loin derrière. Ce que vous mangez n’importe pas grand-chose non plus.

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