L’intensité de notre «pelage» est gouvernée par la testostérone. © getty images

Bientôt tous glabres ? A quoi nous servent encore les poils (analyse)

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Nos poils sont plus courts et moins épais que ceux de nos ancêtres. Et ce qui reste de notre fourrure ne sert plus à nous protéger du climat. Pour autant, deviendrons-nous glabres?

Il y a ceux qui les taillent, les épilent, les rasent ou, au contraire, les exhibent avec fierté, en font un symbole de masculinité ou une revendication féministe. Les poils, en tout cas, laissent rarement indifférents. Ils ont toujours fait partie du corps et, surtout, de l’apparence. Mais, au fond, en quoi sont-ils utiles?

L’homme aurait déjà commencé à perdre ses poils il y a près de deux millions d’années, ce qui correspond à la période à laquelle il s’est mis à se déplacer plus souvent et plus loin. Jusque-là, la fourrure qui recouvrait son corps lui servait de protection contre le soleil. Les poils étaient alors plus longs, plus épais et plus crépus que ceux qui poussent aujourd’hui sur le corps. A l’exception de ceux de la tête, des aisselles, des parties génitales et, surtout chez les hommes, du visage.

«En réalité, nous ne sommes pas moins poilus que nos ancêtres. Nous avons la même densité de poils que les chimpanzés. Mais nous avons effectivement perdu notre fourrure dans le sens où elle est passée de dense à discrète, décrit Antoine Balzeau, paléoanthropologue au CNRS et au Musée national d’histoire naturelle de Paris. Cette évolution est une adaptation liée au fait que l’homme a commencé à se déplacer plus loin et plus souvent et qu’il a acquis une capacité de marche et de course plus importante. La grande différence entre l’australopithèque et Homo erectus, c’est que ce dernier est le premier grand marcheur. Il est sorti d’Afrique pour s’étendre dans toute l’Asie alors que l’australopithèque restait sur des zones restreintes et homogènes. Chez Homo erectus, la réduction de la taille des poils a permis une dissipation de la chaleur plus importante que chez les chimpanzés et les australopithèques. Ces derniers avaient d’ailleurs les glandes sudoripares moins développées.»

Aujourd’hui, le corps n’a plus vraiment besoin de s’acclimater à la chaleur et au froid. Ne pourrait-il pas se passer de tous ces poils? «Nous avons toujours besoin de transpirer même si l’humain s’est effectivement extrait d’un cadre biologique naturel. Nous vivons dans des maisons, nous nous habillons, nous avons la climatisation, poursuit Antoine Balzeau. Ces adaptations ne sont pas neuves. Je ne pense d’ailleurs pas que le changement climatique puisse apporter de nouvelles évolutions. Sur le plan scientifique, il est de toute manière impossible de prédire quelles seraient les conséquences d’un changement de contexte ou d’environnement sur la pilosité. Nous commettons souvent l’erreur de confondre évolution et progrès. Les avancées technologiques n’ont rien à voir avec l’évolution de l’être humain qui, elle, est en grande partie due au hasard.»

Pour que nous devenions imberbes, il faudrait que les poilus n’aient plus aucune descendance.

Pourquoi les poils sont détestés

Une entreprise américaine a toutefois développé une projection de ce à quoi l’homme pourrait ressembler dans un millier d’années et de la manière dont l’utilisation intensive des nouvelles technologies pourraient modifier son apparence. Crâne difforme, dos voûté, doigts crochus, cou épaissi: cette modélisation inspire plus la régression que l’évolution. Et ne s’appuie sur aucune certitude scientifique, répète le paléoanthropologue. «On peut tout au plus imaginer que nos pouces deviennent plus mobiles ou plus musclés, mais ce ne sont pas des caractéristiques qui peuvent se transmettre génétiquement».

Revenons à notre toison. Etant donné que tous les hommes ont évolué au même rythme et de la même façon, comment expliquer qu’il y ait autant de disparités entre les différents types de populations et pourquoi les poils sont-ils valorisés dans certaines cultures et masqués dans d’autres? Alain Froment, médecin, anthropologue et spécialiste de l’évolution de l’homme moderne, fait remarquer que certaines populations amérindiennes, asiatiques ou africaines ne présentent pas de différences de pilosité entre hommes et femmes. Par contre, dans d’autres sociétés, on peut observer une grande variabilité dans la pilosité, surtout chez les hommes (barbe, moustache, poils sur le thorax, le dos, les membres, les oreilles…) car l’intensité de ce pelage est gouvernée par la testostérone. Par ailleurs, selon les cultures, les poils seront soit encouragés (barbes, cheveux longs), soit rasés, en fonction des normes religieuses ou hygiéniques en vigueur. L’anthropologue poursuit son développement: si s’épiler ou se raser les jambes, les aisselles et le pubis pour afficher une peau lisse et par crainte des odeurs corporelles est une mode bien installée chez les femmes euro-américaines, il n’en a pas toujours été ainsi en Occident. Finalement, conclut-il, cette obsession du poil varie selon les pratiques esthétiques et les représentations sociales, souvent artificielles, véhiculées dans certaines sociétés.

Imberbe à l’origine?

Pour l’anthropologue Priscille Touraille, l’idée que le poil est un trait masculin de l’espèce relève d’un européocentrisme préoccupant: «N’oublions pas que l’espèce humaine est née en Afrique. En fait, il y a de fortes chances que l’espèce soit, à l’origine, imberbe comme le pensait Darwin – et non poilue, comme nos représentations des hommes préhistoriques veulent le laisser croire.» Le genre, évalue la chercheuse, est un dispositif qui impose une différenciation sociale artificielle sur la base du sexe. La présence de poils sur le corps et le visage a pu être érigée en marqueur biologique permettant de différencier les hommes des femmes et devenir un critère majeur dans le choix de partenaire et donc dans le «succès reproducteur» des hommes poilus. Cette manie européenne et américaine de faire disparaître les poils permettrait de contrer les effets d’une telle sélection, «mais les poilus continueront de donner naissance à des poilus». Pour que tous les hommes (et les femmes) d’Europe deviennent imberbes, il faudrait envisager un processus évolutif inverse. Autrement dit, que les poilus n’aient plus aucune descendance.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire