
Et si l’ennui était toxique? «Il est glorifié tout à fait à tort»
Yoga, méditation, visite à l’église… Les gens s’ennuient étonnamment souvent pendant ces pauses spirituelles, selon le psychologue de l’éducation Thomas Götz. Mais il met en garde: l’ennui n’est pas seulement désagréable, il est surtout nuisible, a-t-il découvert lors d’une étude.
Les gens s’ennuient bien plus souvent que ce que les chercheurs imaginaient. Lors d’une étude, le psychologue de l’éducation Thomas Götz et son équipe, à l’université de Constance, en Allemagne, ont examiné cinq situations de pratique spirituelle: le yoga, la méditation, l’écoute de sermons, les retraites silencieuses et les pèlerinages. Ils ont interrogé plus de 1.200 personnes pour savoir, sur une échelle de 1 à 5, à quel point elles s’étaient ennuyées au cours de leur pratique. En moyenne, la valeur obtenue s’élevait à 1,9.
Pour une activité choisie volontairement, la note moyenne semble assez élevée… Laquelle est davantage source d’ennui?
Les sermons catholiques affichaient la valeur la plus élevée, avec 3,6. L’ennui était le plus faible lors des pèlerinages. Là, les participants ont indiqué une moyenne de 1,4. Probablement parce qu’il s’agit d’une activité assez variée. Le paysage change, on peut adapter son propre rythme.
Comment avez-vous mesuré cet ennui?
Pour chacune des cinq pratiques, nous avons mené deux études. Nous avons d’abord posé une question générale: à quel point vous ennuyez-vous pendant cette activité? Ensuite, nous avons interrogé les personnes directement après la situation, en nous postant par exemple avec nos questionnaires devant l’église après le service. Ou en leur demandant de remplir le questionnaire en ligne juste après une séance de yoga.
Pourquoi s’ennuie-t-on pendant une activité délibérément choisie? Personne ne nous y oblige…
Je ne pense pas que tout le monde fasse cela entièrement de son plein gré. Aller à l’église reste encore pour beaucoup une routine. Pareil pour la méditation ou le yoga, certaines personnes estiment que ces activités font partie d’un style de vie; elles se sentent en quelque sorte poussées ou obligées d’y participer. Mais même si l’on s’engage de manière entièrement volontaire dans une activité spirituelle, les causes générales et fondamentales de l’ennui peuvent se manifester: on se sent dépassé, sous-stimulé. Ou l’activité semble dépourvue de sens.
«Même les personnes extrêmement actives peuvent s’ennuyer.»
Thomas Götz
psychologue de l’éducation
Qu’est-ce qui caractérise l’ennui?
Lorsqu’on s’ennuie, on se sent mal. On a l’impression que le temps passe plus lentement, on souhaite sortir de cette situation et vivre autre chose. Cela se mesure aussi physiologiquement: la tension artérielle, par exemple, est plus basse, le rythme cardiaque ralentit. Cela se voit aussi extérieurement: une personne qui s’ennuie s’affaisse sur sa chaise, par exemple.
Pourtant, ces dernières années, on n’a cessé de chanter les louanges de «l’ennui»: l’oisiveté serait une chance de découvrir quelque chose de nouveau, de développer sa créativité.
On confond volontiers l’ennui avec la contemplation. L’ennui est clairement une sensation désagréable. Et il est nuisible. Il existe aujourd’hui de nombreuses études qui démontrent que l’ennui est associé à des comportements malsains. Cela va du grignotage jusqu’à des actions à risque. Et cela débouche souvent sur des actes délictueux. A l’école, on observe que les enfants qui s’ennuient ont de moins bons résultats. L’ennui est donc glorifié à tort. Il faut également savoir que même les personnes extrêmement actives et très occupées peuvent s’ennuyer.
«On confond volontiers l’ennui avec la contemplation.»
Thomas Götz
psychologue de l’éducation
Comment cela?
Lorsqu’elles ont l’impression que ce qu’elles font n’a pas de sens. Le célèbre psychologue viennois Viktor Frankl a illustré cela par l’image de Sisyphe: dès que le rocher qu’il a fait rouler jusqu’au sommet de la montagne redescend, il a le temps de réfléchir à l’absurdité de sa tâche. C’est précisément à ce moment que l’ennui devrait l’envahir. C’est une vision un peu différente de celle transmise par Camus, selon laquelle il faut imaginer Sisyphe heureux.
Le Sisyphe de Frankl est un homme qui s’ennuie?
Comme quelqu’un qui, dans la vie quotidienne, court sans cesse dans son travail, mais qui, le week-end ou en vacances, a le temps de prendre conscience du peu de sens que revêt son activité. Si un sentiment massif d’ennui surgit alors, cela peut rejaillir jusque dans la vie professionnelle. Nous avons étonnamment constaté dans l’étude que c’est précisément pour cette raison que les gens se tournent vers la spiritualité: parce qu’ils sont en quête de sens dans leur vie. Ils s’adonnent alors à ces pratiques puis interrompent leur cheminement spirituel. Par ennui.
Quel serait l’antidote?
En tant que chercheur en sciences de l’éducation, j’ai trouvé très intéressant que les causes et les effets de l’ennui dans la spiritualité sont absolument identiques à ceux observés à l’école. L’apprentissage spirituel est un processus similaire. On peut s’y ennuyer tout autant qu’en classe, lorsque l’enseignant ne nous apprend rien, que l’on ne suit pas, ou que l’on ne comprend pas pourquoi on est assis là. Dans ce genre de situation scolaire, on sait ce qui peut aider: former des groupes individualisés, dans lesquels chacun progresse à son rythme, est reconnu et encouragé.
Cela risque d’être difficile à mettre en œuvre à l’église…
Pas seulement là. Aussi lorsqu’on est censé rester assis une demi-heure dans un groupe de méditation pour observer ses pensées. Celui qui n’y parvient pas, qui ne voit aucun sens à l’exercice, ne participera pas. La réponse ici est qu’il faut adapter la pratique spirituelle aux capacités individuelles.
Que peut-on faire concrètement?
Ne pas se sous-estimer ni se surestimer. Celui qui n’a encore jamais médité n’est pas obligé de commencer directement par une heure. On peut y aller progressivement et augmenter peu à peu. Pour les personnes qui guident, il est important d’insister sur le but de l’exercice. Non pas en énonçant de manière simpliste à quoi cela sert, mais par le dialogue et en posant des questions. Cela permet de découvrir où se situent les attentes de chacun. Une phrase comme «fermez les yeux et observez vos pensées» n’est utile que si l’on comprend pourquoi on devrait faire une telle chose.
Entretien: Kerstin Kullmann
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici